Suite au décapage intempestif du monument aux morts de 1870, Didier Rykner, directeur de la Tribune de l’art (qui avait publié un papier le 23 février 2012, Des « restaurations » décapantes à Poitiers, suivi le même jour Droit de réponse [de la ville de Poitiers] sur l’article Des « restaurations » décapantes à Poitiers et d’une Réponse au droit de réponse de la Mairie de Poitiers), est venu passer une journée à Poitiers, qu’il a pu visiter de long en large. Il a tiré de cette visite une première impression générale dans cet article, et annonce toute une série d’articles détaillés à venir. Il commence par la question du Clos Saint-Hilaire, un immeuble très moche et mal construit qui a fait beaucoup parler de lui tout au long du chantier, avec une très mauvaise prise en compte du patrimoine historique et archéologique. Je ne vous en avais pas encore parlé ici, car je pensais que c’était une affaire classée, même si je sais par des voisins qu’il reste des lots à vendre et que les travaux ne sont toujours pas réceptionnés suite à de multiples malfaçons.
La visite de Didier Rykner relance la question… puisqu’il a pu constater que les prescriptions du permis de construire n’ont pas été respectées. Ainsi, des piliers provisoires en béton, qui n’étaient pas dans le permis de construire et pour lesquels le préfet avait certifié qu’ils seraient enlevés à la fin du chantier, sont toujours en place. Une grosse poutre du 13e siècle, qui devait être préservée dans l’ancien réfectoire, finement sculptée sur ses bords, a été sciée (voir les photographies dans son article Saint-Hilaire dénaturé). Il n’y a donc eu aucun contrôle de l’administration préfectorale ou des monuments historiques à l’issue du chantier? (Didier Rykner souligne que ces deux administrations ont refusé de lui répondre, se cachant derrière le devoir de réserve en période électorale…).
Je vous rappelle juste que nous sommes au sud de l’église collégiale Saint-Hilaire, où se trouvait le cloître et auparavant à l’époque romaine le cimetière où avait était enterré Saint-Hilaire. L’église est classée monument historique sur la première liste établie sous l’égide de Prosper Mérimée en 1840, revoir sur ce blog par exemple son beau chevet roman, la mort d’Hilaire sur un chapiteau, la charité de Saint-Martin peinte à l’époque romane. Un étroit jardin public borde de ce coté l’église, où se trouve l’enfeu de Constantin de Melle avec ses graffitis médiévaux (dont un alphabet). Ce tombeau et la statue de la Vierge qui est toujours dans l’angle du square étaient au début du 20e siècle dans la cour de l’école privée dite institution des demoiselles d’Auzay, comme on peut le voir sur cette carte postale ancienne.
Et la vue aujourd’hui, à part le mur de clôture qui a été percé pour laisser passer l’escalier qui rejoint le chevet, ça n’a pas beaucoup changé.
Dans le cloître et les anciens bâtiments monastiques se trouvait la cour principale de l’institution puis de l’école qui lui a succédé et avait quelque peu modifié le bâtiment (adjonction de préfabriqués, le grand toit que l’on voit à l’arrière du préau avait été remplacé par un toit en terrasse). Le mieux aurait été, au moment de la vente (la congrégation religieuse avait de l’argent) que la ville préempte ce terrain (adossé à un monument historique, voir plus haut, l’église est également inscrite depuis 1998 sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, parmi 77 édifices au titre des » chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France « ). Mais elle n’en a rien fait et accepté un premier permis de construire qui aurait enterré un parking dans l’ancien cloître. Les sondages archéologiques ayant confirmé la présence du cimetière et le coût des fouilles préventives étant dissuasif (plus que les protestations des historiens locaux), un deuxième permis de construire a été déposé, le parking a été aménagé en surface, les couches archéologiques étant protégées par un géotextile et une couche de sable (cela gèle les fouilles mais protège assez efficacement les sédiments pour des fouilles dans un lointain futur).
Pour compléter la documentation sur cette institution, elle occupait aussi le bâtiment plus à l’est, la cour que l’on voit au premier plan ici sert en semaine de stationnement à des logements situés plus au sud. Sur l’image du bas, on voit à l’arrière le grand bâtiment qui contient l’ancien réfectoire et cellier monastique.
Voici cette même cour haute prise en photographie un dimanche, donc sans voiture.
Quelques vues intérieures, une salle d’étude, un dortoir, le parloir et la chapelle, il y a cent ans (et donc sans doute plus ainsi au moment du projet des années 2000).
J’ai retrouvé des photographies pendant le chantier. Le bâtiment au sud conserve en élévation le cellier-réfectoire, à l’intérieur duquel se trouvent notamment les poutres datées du 13e siècle. Ce rez-de-chaussée n’a pas été aménagé pour l’immeuble d’habitation, mais celui-ci est construit tout contre et au-dessus (la flèche rouge sur la première photographie). Au passage, vous avez une vision de la très basse qualité de la construction, les appartements sont vendus comme des appartements de standing! En parpaings agglomérés!
Et plusieurs années après la fin du chantier, il y a toujours des matériaux qui traînent, comme ces tuyaux entre le garage et la clôture du domaine public de Saint-Hilaire, une honte le long d’un monument historique!
Du côté ouest, le mur en bordure de rue est le mur de clôture d’origine du cloître de la collégiale. Il est protégé au titre des monuments historiques (l’arrêté de protection, daté du 5 juin 1941, précise que sont protégés les vestiges du mur d’enceinte situés en bordure de la rue Saint-Hilaire) et ne devait pas être modifié (la flèche bleue du premier montage photographique, et ci-contre pendant le chantier).
Il a été allègrement repris, parce qu’il faut bien faire entrer les voitures, et le bardage en bois a été réalisé n’importe comment, le bois qui ne devait pas être sec lors de la mise en œuvre a vrillé… Voir aussi la photographie n° 6 de Didier Rykner dans Saint-Hilaire dénaturé.
Une bien triste histoire… Rappelons juste que la ville de Poitiers souhaite toujours déposer un dossier de protection de la ville sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, quand on voit ce qu’elle a autorisé (et laissé faire contre les prescriptions pourtant minimales du permis de construire) sur le seul bien (ou plutôt partie de bien culturel) de l’Unesco qu’elle possède, ça laisse rêveur…