Poitiers, de l’effet du kärcher sur un monument en bronze… Suite

Poitiers, le monument aux morts de 1870, vu après le kärcher le 21 février 2012

Voir en fin d’article, le complément du 22 février 2012

21 février 2012, le constat des dégâts

Il s’est passé un étrange phénomène aujourd’hui à Poitiers… Ce matin, je suis passée devant monument aux morts de 1870-1871, celui qui il a quelques mois a perdu ses grilles. Le soldat est une œuvre de Jules Félix Coutan, fonte des frères Thiébaut, le square et les autres bronzes de Jean-Camille Formigé, les grilles de Édouard André, inauguré en 1895. Le monument est cerné depuis quelques semaines par de dangereux terrassements (voir la deuxième photographie, prise le 27 janvier 2012). Ce matin (21 février 2012), je suis passée devant en allant au travail… vers 8h15. Bizarrement, il faisait l’objet de terrassements, et je me suis dit tiens, l’archéologue qui suit les travaux n’est pas là, j’espère qu’il n’y aura pas de découverte archéologique, et qu’il passera pour relever le niveau d’origine du monument…

Puis j’ai passé la journée en Charente… Au retour, je croise en ville un ami, il me dit que dans la journée, le monument a été passé au Kärcher (pardon, le nom est déposé, au nettoyeur haute pression) sablé, que la patine ancienne verte a été enlevée… Vers 20h15, je passe devant (d’où la photo pas terrible, j’en reprendrai d’autres demain à la lumière du jour). Le nettoyage n’est pas complet, vous devinez la partie gauche encore verte. Mais qui a pu l’idée saugrenue de faire cela? Les bronzes du 19e siècle étaient en général patinés à leur sortie de la fonte (dans des cuves avec des mélanges bizarres, comprenant souvent de l’urine, de la bouse, etc.), de manière à obtenir une légère attaque de la surface et la patine verte. Maintenant, nous avons un truc moitié bronze clair, sans aucune protection contre les atteintes de la météo, et surtout qui a perdu sa patine d’origine qui fait partie intégrante de l’œuvre, était contrôlée par le fondeur et le sculpteur. Le nettoyage de ces pièces ne peut se faire que par des restaurateurs spécialisés… Donc pour l’instant, nous avons l’écu avec la dédicace fichue (enfin, sans doute récupérable, mais avec une vraie expertise et un travail de professionnels de la restauration des bronzes), et un soldat qui a à moitié perdu sa patine d’origine, je ne vois pas comment cela peut être rattrapé…

Le monument aux morts de 1870 de Poitiers, après le kärcher, le 21 février 2012 dans l'après-midi Edit de 22h: cet après-midi, en allant voir le carnaval, Dalinele lui a trouvé une mine bizarre et l’a pris en photo… Voici sa photographie prise dans l’après-midi (21 février 2012), publiée avec son autorisation (et sur son blog, son reportage sur le carnaval). On voit mieux de jour l’étendue des dégâts…

Pour comparaison, je vous mets quelques photographies « avant » que je vous ai déjà montrées… ou pas.

Poitiers, le monument aux morts de 1870, photographie du 27 janvier 2012

Voici donc le square vu fin janvier 2012, les grilles ont été massacrées depuis plusieurs semaines, et il a fait l’objet d’un curieux dégagement, avec une tranchée peu profonde tout autour…

Poitiers, monument aux morts de 1870, 2, le soldat

Et maintenant, voici le soldat tel qu’il était encore ce matin, même si cette photographie date d’avant le lancement de l’opération Poitiers cœur d’agglomération, cœur de pagaille…,

Poitiers, monument aux morts de 1870, 6, le haut

Et puis voici la dédicace sur l’écusson, avant son « nettoyage » radical! Les palmes et autres branches au-dessus ont aussi subi le même « traitement ».

Affaire à suivre… je vais essayer de savoir si ces travaux ont été autorisés par l’architecte des bâtiments de France (le monument en lui-même n’est pas protégé, mais nous sommes en secteur sauvegardé), si la ville a contacté au préalable des restaurateurs agréés d’œuvres d’art, et si c’est une entreprise spécialisée qui est intervenue (quoique là, je pense connaître la réponse, aucun risque qu’une telle entreprise ait pu faire un tel massacre)…

22 février 2012, le massacre s’est poursuivi

Le monument aux morts de 1870 de Poitiers, après le sablage, le 22 février 2012 à 8h05 et 17h30

Le massacre s’est poursuivi dans la journée, malgré les rumeurs selon lesquelles le sablage – car il s’agit carrément d’un micro-sablage et non d’un passage au kärcher – était suspendu. La preuve en image, à gauche, photo prise à 08h05, le bras et le genou droits du soldat (à gauche quand on regarde) son encore indemnes. Remarquez au passage le tuyau laissé par les ouvriers dans la main tendue du soldat, cruelle ironie… La photo de droite a été prise en fin d’après-midi, à 17h30. La patine qui restait encore le matin a été définitivement détruite!

Le monument aux morts de 1870 de Poitiers, après le sablage, le 22 février 2012 à 8h05, 2

Voici d’autres détails de ce matin, aucun élément du monument n’a échappé à la sableuse, mais je ne sais pas si c’est bien visible, les oxydes de cuivre ont été en partie dilués dans l’eau et la pierre a pris une teinte verdâtre…

Le monument aux morts de 1870 de Poitiers, après le sablage, le 22 février à 8h05, 3, le matériel

Et voici le coupable, matériellement sur le terrain, le compresseur signé de l’entreprise Dumuis (peinture et ravalement de façade, rien à voir avec une entreprise de restauration d’œuvres d’art), la sableuse et le sac de mélange pour l »hydro-gommage » (sablage, quoi… soyons clairs!).

En revanche, je n’ai pas réussi à savoir qui avait pris la décision de ces travaux.

PS : Sa restauration a commencé en juin 2012.Il est désormais restauré.

Un précédent qu’il n’aurait pas fallu laisser passer… la Jeanne d’Arc de Real del Sarte

Poitiers, Jeanne d'Arc de Real del Sarte, plaque après sablage et reprise de corrosion, fév 2012 Nous aurions tous dû être plus vigilants, il y a environ deux mois, la plaque de bronze du monument de Jeanne-d’Arc par Maxime Réal del Sarte (1929) dans le square des Cordeliers (je vous ai parlé de ce monument ici dans cet article sur la statue et la plaque en bronze) a subi le même traitement, Arnaud Clairand l’avait signalé à la mairie, mais c’était resté sans suite… Comme la statue elle-même avait été épargnée, les dégâts sont moins importants, mais c’était peut-être un test grandeur nature? Dans ce cas, cela montre qu’enlever la patine ancienne sans remettre de patine ni de vernis de protection est une absurdité: vous voyez tous les points verts sur la photo? C’est la reprise de corrosion!!! Si rien n’est fait rapidement, le monument aux morts de 1870 sera très vite dans le même état, avec des points verts qui apparaîtront en quelques semaines puis une corrosion généralisée verte (des oxydes de cuivre qui vont migrer du bronze), et il a définitivement perdu sa patine d’origine, qui l’avait protégé pendant 117 ans…

Poitiers, Jeanne d'Arc de real del Sarte, plaque avant et après sablage Et pour mémoire, cette plaque de bronze avant (en 2010) et après traitement (photo du 22 février 2012)…

Poitiers, Jeanne d'Arc de Real del Sarte, monument avant et après sablage

… et le monument en entier, idem, à gauche en 2010 et à droite le 22 février 2012.

Pour aller plus loin : voir les articles de Grégory Vouhé, Édouard André et Jean-Camille Formigé. Le square de la République, L’Actualité Poitou-Charentes n° 95, janvier 2012, p. 45 et Édouard André, jardins pour Poitiers, L’Actualité Poitou-Charentes n° 96, avril 2012, p. 42-44.

28 réflexions sur « Poitiers, de l’effet du kärcher sur un monument en bronze… Suite »

  1. Grégory

    c’est monstrueux! La belle patine verte participe à la polychromie du monument, comme je l’ai souligné dans l’article consacré au square, p. 45 du dernier n° de L’actualité Poitou-Charentes.

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    1. Véronique D

      Et Poitiers est en train de monter un dossier de candidature au patrimoine mondial de l’Unesco (un chargé d’étude a été recruté), entre les destructions archéologiques de ces derniers mois (années), puis ce passage au kärcher, ils rêvent !!! Et pourtant, la ville a tous les spécialistes qui auraient pu les conseiller, au service patrimoine ou au musée notamment…

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  2. Bidouillette/Tibilisfil

    Je n’en reviens pas! La volonté de tout vouloir aplanir, de tout vouloir propre, de tout vouloir blanc est telle qu’on attaque tout et son contraire! Je n’imagine pas les travaux publics faire ce genre de « restauration » sans l’aval des spécialistes… Quoique… J’imagine ta colère…..

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    1. Véronique D

      Ils auraient pu prendre l’avis du service patrimoine ou du musée… Non seulement un décisionnaire à côté de ses pompes, mais en plus, qui ne partage pas avec les services compétents de la ville… Bonne soirée!

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  3. laouen

    j’espére que ceux qui prennent les décisions de ce typedans vôtre ville ne feront pas de disciples dans nos villes .C’est inimaginable cette incompétence

    Amitiés Marie-Pierre

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  4. criquette17

    faire et defaire, y en a qui en on du temps a perdre surtout en conneries!! quel gachit , un si beau momument!! merci véro ,de nous tenir informé de tout se qui se passe en ville  chez toi…bisous

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    1. Véronique D

      C’est inquiétant d’avoir tant de choses à dire… J’aimerais autant ne pas avoir à montrer de tels dégâts, une ville peu accessible aux personnes handicapées, etc. Bon, j’espère que le prochain article d’actualité, ça sera le début de la démolition de la Grande passerelle, qui va être remplacée par un viaduc. les grues sont en place, le levage devait avoir lieu hier, mais rien ancore de fait ce soir…

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    1. Véronique D

      Il faudra voir avec la ville, je ne suis pas leur porte-parole (mes articles les agacent même sérieusement…). Je suppose que maintenant, il va y avoir un vrai diagnostic et un appel d’offre… vue la somme, ça devrait être un vrai marché!

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  5. Karcher

    C’est incroyable de voir les effets d’un tel nettoyage effectué par une équipe non experte en restauration et nettoyage d’oeuvres. On comprend que les karchers ne soient pas le meilleur outil pour nettoyer ce genre de statues en bronze. J’espère que les choses sont rentrées dans l’ordre depuis cela.

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  6. dalinele

    je t’ai dit dans le mail l’impression que ça m’a faite; en lisant tes explications je suis assez consternée, quand même, ce n’est pas la première fois qu’on doit faire ce genre de travail?!!!!!!!!!!

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  7. dalinele

    je suppose que tu vas continuer tes investigations pour savoir qui est à l’origine de cette décision? les points verts sur la plaque du square des Cordeliers ne laissent rien présager de bon… 

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    1. Véronique D

      Oh oui, je sais… (je suis conservatrice du patrimoine, mais pas employée par la ville). Cette bourde concerne la ville de Poitiers, à eux de réparer après avoir voulu faire des économies avec une entreprise de ravallement de façade plutôt que de consulter au préalable les services compétents (y compris ceux de la ville, comme le service patrimoine ou le musée)! Ils ont lancé un appel d’offre dans l’urgence, je ne sais pas s’il est terminé…

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  8. Maryse

    Avec un certain temps de retard, je prends la parole, pour me désoler de cet épisode sombre de notre histoire locale. Il fallait que tout soit très propre, début 2012, Cœur d’agglo battait son plein. Nous nous étions émus (euphémisme) au musée (je suis ex-conservateur du musée Sainte-Croix, en retraite depuis peu) de ce nettoyage draconien de la statue du square… Quelle misère!
    Petit détail le musée possède dans ses collections une maquette en plâtre de cette statue de Félix Coutan.

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