Les épisodes précédents
Le feuilleton de la centrale nucléaire de continue… comme celui de toutes les centrales nucléaires de France. Elle est toujours construite sur le karst, sensible à la la sécheresse, aux inondations (elle n’avait pas aimé les algues lors de la dernière petite crue de la Vienne en décembre 2011), en décembre, l’autorité de sûreté nucléaire (ASN) avait classé un « déplacement non prévu de combustible » (un camion qui se balade où il ne doit pas) en incident de niveau 1, il faudra attendre quelques mois pour savoir comment elle classera le nouvel « incident »… voir sur cette page d’EDF la description dans leurs termes techniques… Rappelons encore que quatre incidents avaient été classés au niveau 1 au mois de juin 2011, ce qui fait un nombre d’écarts aux normes importants sur un an à la centrale de Civaux. Il y a en France une centaine d’événements nucléaires par an classés au niveau 1 par l’ASN, il s’agit d’écart aux normes sans conséquences pour les personnes ou l’environnement, mais devant faire l’objet de modifications de fonctionnement suite au retour d’expérience.
Une fuite de tritium radioactif…
Par les communiqués d’EdF et de la presse locale, 18 au 20 janvier 2012
En gros, le 13 janvier 2012, un taux anormalement élevé en tritium (hydrogène radioactif) de 540 Bq/l (au lieu de moins de 20, habituellement 8 à 10 sur ce point de contrôle). Bien sûr, EdF a tenté de minimiser, n’a annoncé cet incident sur son site que le 18 janvier, et précisé que cette dose serait inférieure à celle reçue en un mois de séjour en montagne (sauf que là, c’est une mesure ponctuelle, quelle est la dose totale qui s’est échappée?), il lui a fallu une semaine pour trouver l’origine de la fuite (attention, version d’EdF, voir complément en bas de cet article), une valve défectueuse sur une piscine de stockage. Il faut dire qu’avec la sécheresse de cet été, ces piscines ont été très remplies et plus longtemps que d’habitude, puisqu’il n’y avait pas la quantité d’eau minimale pour rejeter ces eaux chargées en tritium dans la rivière, cela a-t-il eu une influence? EdF évite soigneusement de parler de ces piscines, du stockage du tritium en période d’étiage et du rejet dans la Vienne…
Et vous savez ce qu’EdF fait pour remédier à la fuite pour l’instant (cf. la presse locale du 20 janvier 2012)? Elle a mis un seau sous la fuite pour recueillir les matières radioactives… Enfin, pas tout à fait un seau, mais un bac de récupération, comme pour une vulgaire fuite de WC ou de toiture! Date de réparation de la valve inconnue… (précision d’EdF le 24 janvier: réparation prévue le 25 janvier). Quel sera le classement de l’ASN? J’espère pas une simple « anomalie » de niveau 1… [edit du 25 janvier 2012: classement comme simple anomalie de niveau 1]. (voir aussi le PS ci-dessous). Par ailleurs, EdF se veut rassurante, ce tritium serait parti dans une nappe qui n’alimente pas la région en eau potable… Ils nous prennent pour des imbéciles ou quoi? Toutes les nappes communiquent les unes avec les autres et finissent par rejoindre des rivières… A Civaux, nous sommes sur le karst, les circulations souterraines y sont donc encore plus accentuées… Y a-t-il eu des prélèvements de contrôle à Lussac-les-Châteaux, à la source/résurgence de Font-Serein (juste au-dessus de la source, il y a de peintures préhistoriques… voir par ces liens le réseau Guy Martin et le terrain de jeu des spéléogues )?
Par le Journal du dimanche, le 22 janvier 2012
PS (article rédigé le 21 janvier, complété le 22… puis le 23) : D’après le JDD (22 janvier 2012), l’ASN est venue sur place le 17 janvier (silence radio d’EdF sur cette inspection, repris par la presse locale le 23 janvier) et a constaté des fissures dans ces bassins de stockage, et envisageait de porter plainte contre EdF pour cette pollution due à un défaut de suivi… EdF a communiqué à la presse locale que la cause de la fuite avait été identifiée le 20 janvier, en se gardant bien de parler de l’inspection de l’autorité de sûreté nucléaire le 17? Pourquoi parle-t-elle d’une fuite au goutte à goutte, mais pas des importantes anomalies et des fissures relevées par l’ASN le 17 janvier? A suivre!
Le rapport de l’autorité de sûreté nucléaire… 23 janvier 2012
L’ASN a été très réactive cette fois-ci: le rapport d’inspection a été mis en ligne sur leur site dès le lundi 23 janvier 2012: à télécharger à partir de ce lien (7 pages à lire absolument) [clic sur le fichier du 23 janvier, mais vous pouvez aussi aller lire par exemple le précédent incident, la petite promenade imprévue en camion de combustible radioactif, ou bien téléchargez-le directement en pdf en cliquant ici]… Une anomalie avait en fait été découverte dès le 3 janvier, mais l’opérateur n’a pas jugé bon de la signaler, un prélèvement devant être réalisé le lendemain… Sauf que ce prélèvement est fait sans signalement d’urgence ni de potentiel d’anomalie, le résultat ne tombe que le 9 janvier… Et le laboratoire, au lieu de penser à une fuite, pense à une erreur de mesure et de calcul (c’est logique… « nos centrales sont sûres, il ne peut pas y avoir de fui
te »… comme dirait le lobby du nucléaire), et vérifie par deux fois avant de donner le résultat seulement le 13 janvier. 10 jours de perdus, et combien de tritium dans la nature? L’affaire est loin d’être clause… EdF a deux mois pour répondre aux nombreuses observations et demandes de modifications de l’ASN. Celle-ci demande également une meilleure information du public par EdF (qui a « oublié » de prévenir un certain nombre d’institutions comme elle avait l’obligation de le faire dès qu’elle a connu connu la fuite, dont l’agence régionale de santé), la publication sur son site des résultats des analyses (elles n’y étaient toujours pas ce matin, 24 janvier 2012, la dernière note d’EdF sur son site dans la rubrique « événements » sur cette page d’EDF date du 18 janvier, les dernières mesures environnementales, dans l’onglet voisin, de décembre 2011). L’ASN demande aussi qu’un laboratoire indépendant agréé pour la mesure de la radioactivité fasse des mesures. Au fait, l’ASN a aussi trouvé des fissures bouchées avec du silicone… (pas l’idéal dans un bassin plein de tritium)… vous croyez qu’ils ont utilisé le silicone industriel que PIP ne pouvait plus mettre dans ses prothèses mammaires???
Petit complément personnel…
Il y a un truc qui n’est pas dans le rapport… Le directeur de la centrale a été absent à un moment par cette période… Il était à son procès pour harcèlement moral dans son précédent poste à la centrale nucléaire de Chooz (Ardennes), mais chut… il est encore présumé innocent, jugement mis en délibéré au 15 février [édit du 16 février 2012 : il a été relaxé en première instance, je ne sais pas s’il y aura un procès en appel]… Cependant, il a peut-être été plus accaparé par sa défense au procès à Charleville-Mézières (l’audience était le 18 janvier… le lendemain de l’inspection de l’ASN) que par une fuite de tritium dans la centrale de Civaux?
Pour avoir montré les failles de la sécurité des centrales nucléaires françaises et coupé quelques dizaines de centimètres de grillage, les militants de Greenpeace qui s’étaient introduits sur les centrales nucléaires en décembre risquent jusqu’à 5 ans de prison ferme (voire 7 ans suivant les qualifications retenues) et 75.000 euros d’amende (voir par exemple sur le site du Monde), mais EdF, pour n’avoir pas entretenu correctement ses bassins de stockage de tritium à Civaux et pollué l’environnement, ne risquerait qu’une contravention de 5e classe, soit 1.500 euros d’amende… si le procureur daigne poursuivre. Où est l’erreur???
Petite question subsidiaire… sur les normes du tritium. Pour se défendre et nier la gravité de l’incident, EdF a dit que la norme de l’OMS pour la potabilité de l’eau était de 7.800 Bq/litre… (en fait, l’OMS a calculé un seuil de 7610 Bq/l, arrondi à 10.000 Bq/l…). Pour l’Union européenne (voir l’Avis du Parlement européen du 12 décembre 1996, de la Position commune du Conseil du 19 décembre 1997 et de la Décision du Parlement européen et du Conseil du 13 mai 1998, voir page 14 de la directive 98/83/CE), le seuil d’alerte officiel, facultatif pour les Etats membres mais transposé dans la plupart des pays de l’union européenne est de 100 Bq/l, et oui, cent fois moins que l’OMS (voir l’analyse de l’autorité de sûreté nucléaire du Canada). La France a transposé cette norme européenne dans l’annexe 1 du décret n° 2001-1220 du 20 décembre 2001 relatif aux eaux destinées à la consommation humaine, à l’exclusion des eaux minérales naturelles (annexe non reproduite sur le site légifrance, mais reconfirmée dans l’arrêté SANP0720201A du 11 janvier 2007 relatif aux limites et références de qualité des eaux brutes et des eaux destinées à la consommation humaine(aller à la page 6 pour les seuils de qualité du tritium). Pour le Canada, cette dose a été ramenée à 20 Bq/l.
Or si j’ai bien compris, la dose mesurée dans la nappe sous la centrale est de 540Bq/litre sur le prélèvement du 4 janvier, encore plus de 400 (420 d’après la presse locale, mais EdF n’a pas publié les chiffres officiels, contrairement à la demande expresse de l’ASN) dans les nouvelles analyses du week-end dernier, et la dose qui s’applique dans notre législation est de 100 Bq, pas de 7610! Certes, personne ne va boire l’eau sous la centrale (quoique… on pourrait offrir un verre sorti du piézomètre au directeur de la centrale, pour voir s’il oserait le boire…), cette eau sera diluée avant d’arrivée dans l’eau du robinet, mais quand même…Et l’effet sur la faune et la flore?
L’avis d’incident de l’ASN du 25 janvier 2012: anomalie de niveau 1
Le verdict est tombé dès le 25 janvier… L’ASN estime qu’il n’y a pas eu d’impact significatif de cet incident sur le personnel ni sur l’environnement et l’a classé comme simple anomalie de niveau 1… Elle précise juste qu’elle a mis le 24 janvier EdF en demeure de faire des travaux (colmatage de la fuite sous 10 jours, réparation définitive avant le 31 août 2012). Il est vrai que ce tritium aurait de toute façon été rejeté, après dilution, dans la Vienne, c’est son mode habituel d’élimination… Mais une forte concentration peut être dommageable à la faune et à la flore… Le plus grave reste toutes les erreurs d’EdF: défaut dans la surveillance et l’entretien des bassins, personnel mal formé (qui ne met pas les bonnes mesures en place pour détecter le tritium dans la zone de rétention), chaîne de décision défaillante, soupçonner d’abord et pendant plusieurs jour une erreur de mesure plutôt qu’une fuite… Et si ça avait été sur un organe beaucoup plus grave pour la sécurité???