Archives de catégorie : Lecture / BD

Les bandes dessinées que j’ai lues et le classement mensuel du top BD des blogueurs.

Mon ami Dahmer, de Derf Backderf

L’auteur de cette bande dessinée, Derf Dahmer, sera en dédicace demain 3 février 2018 chez Bulle d’encre, ma librairie BD préférée à Poitiers.

Article du 1er août 2014 pioche-en-bib.jpgCouverture de Mon ami Dahmer, de Derf BackderfUn album trouvé parmi les nouvelles acquisitions de la médiathèque. Il a reçu le prix Fauve de la révélation au festival d’Angoulême en 2014 et prix du polar SNCF (catégorie BD) 2014.

Le livre: Mon ami Dahmer, de Derf Backderf, traduit de l’anglais par Fanny Soubiran, éditions Çà et là, 2013, 222 pages, ISBN 978-2916207803.

L’histoire: à Richfield, près de Cleveland, dans l’Ohio, aux États-Unis, à partir de 1972. Jeffrey Dahmer et Derf Backderf vivent dans des maisons indiviuelles dans cette banlieue et entrent au collège. Solitaire, Jeffrey Dahmer est moqué par ses camarades. Pour se rendre intéressant, il mime des crises d’épilepsie et les tics du décorateur d’intérieur de sa mère. Cette dernière est dépressive, bientôt les parents, plus préoccupés par leurs relations que par leur fils, divorcent. Jeffrey se réfugie dans la forêt voisine, il est fasciné par les animaux morts, qu’il soumet à diverses expériences pour faire disparaître leur corps. Puis il commence à assassiner les animaux, ne supporte pas son attirance pour les hommes, continue à être ridiculisé au lycée, ses camarades semblent jouer cruellement avec lui…

Mon avis: Jeffrey Dahmer a commis son premier meurtre deux mois après sa sortie du lycée en 1978: il en a commis 16 autres de 1987 à 1991, les dévorant partiellement et devenant le « Cannibale de Milwaukee ». Il est mort assassiné en prison en 1994, condamné alors qu’il était manifestement fou. Journaliste de formation, Derf Backderf, qui l’a fréquenté au collège et au lycée, retrace ces années avec en toile de fond une interrogation: est-ce que ses camarades et surtout les adultes proches auraient pu voir ce qui commençait à se mettre en place dans sa personnalité et éviter qu’il ne bascule? S’il retrace la descente dans la folie de Dahmer, il n’aborde pas en revanche une question: cette folie n’aurait-elle pas dû l’envoyer à l’hôpital psychiatrique plutôt qu’en prison? Mais il arrête son récit avant qu’il ne bascule complètement. L’album en noir et blanc, avec des détails foisonnants à l’encre, rend bien cette ambiance ambigüe (attirance/répulsion) tant chez Dahmer que chez ses « camarades », car malgré le titre, personne n’est ami avec lui. Même si le graphisme des personnages, avec des têtes très « carrées », n’est pas ce que je préfère, il rend bien l’ambiance sombre et le désert affectif autour de Dahmer. Si sa mère se réfugie dans les médicaments et les idées fantasques, lui préfère l’alcool, dont il abuse même avant d’aller en cours, jamais réprimandé par les adultes, profs ou parents des autres élèves. Glaçant, mais à découvrir, plutôt pas avant d’aller se coucher!

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Pyongyang de Guy Delisle

Dans le contexte international actuel, je vous conseille la lecture de cette bande dessinée et remets à la une cet article du 15 janvier 2010.

Couverture de Pyongyang de Guy Delisle pioche-en-bib.jpgJe lis dans le désordre les chroniques de Guy Delisle… Après avoir lu les Chroniques birmanes, c’est Pyongyang que j’ai trouvé à la médiathèque. Il me reste à lire Shenzhen. [Depuis, j’ai aussi lu Chroniques de Jérusalem].

Le livre : Pyongyang, de Guy Delisle, L’association, 176 pages, 2003, ISBN 978-2-84414-113-7 .

L’histoire : Guy Delisle se retrouve pour deux mois en Corée du Nord, à Pyongyang, où il va relayer une animatrice (de dessins animés). Il s’agit pour eux de contrôler l’animation des dessins animés qui coulent par dizaines chaque semaine dans le tuyau cathodique pour la paix des parents. Ils vérifient le rythme, que les dessins correspondent à ce qui est demandé. Voilà la partie professionnelle. Côté vie tout court, les étrangers sont regroupés dans trois hôtels, froids et avec de l’électricité seulement à certains étages. Pas question de sortir sans être accompagné d’un guide et d’un interprète, pas question de refuser les visites des monuments à la gloire des dirigeants. Mais il y a quand même la fête des expatriés des ONG chaque vendredi, une salle de billard, l’auteur qui refuse de prendre le minibus mis à sa disposition et qui souhaite rentrer à pied, au grand damne de son guide.

Mon avis : je ne savais vraiment pas que « la plus grande chaîne française » sous-traitait la production de ses dessins animés même plus en Chine (voir Shenzhen), mais dans un pays où c’est encore moins cher, la Corée du Nord. Comme dans les chroniques birmanes, l’attitude des expatriés et des humanitaires face à un pouvoir totalitaire est montré sans complaisance. Vraiment, un reportage illustré très instructif, et comme j’aime bien ce graphisme en noir et blanc, c’est encore mieux !

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Tintin au pays des Soviets, de Hergé

Mon frère m’a offert cet album récemment réédité en version colorisée.

Le livre : Tintin au pays des Soviets, de Hergé (scénario et dessins), Michel Bareau et Nadège Rombaux (mise en couleur), éditions Casterman, 2017, 144 pages, ISBN 9782203136809.

L’histoire : Tintin part en reportage à Moscou… Le début d’une grande aventure et de courses poursuites à pied, en train, en voiture, en bateau, en avion, le jeune reporter teste tout ce qui est possible pour échapper aux commissaires politiques soviétiques et à la Guépéou… mais il arrive à faire son reportage, à montrer une fausse usine, des élections truquées, …

Mon avis : dans cette première aventure publiée en feuilleton en 1929, les personnages de Tintin et de Milou sont encore un peu différents de ce qu’ils deviendront dans les albums suivants. Le rythme est soutenu, chaque épisode devait raconter une histoire et donner envie d’acheter le numéro suivant de la revue (Le Vingtième Siècle). Les gags sont très anti-soviétiques : c’était la commande de cette revue catholique, le rédacteur avait donné des lectures « appropriées » à Georges Remi (Hergé), il fallait détourner la jeunesse de la tentation du communisme dans le contexte de la crise de 1929. Hergé n’aimait pas cet album, un des seuls qu’il n’a pas remanié, republié en version colorisée. Je trouve que le travail des coloristes est assez réussie, pas trop présente avec ses tons pastels. En revanche, les cases sont peut-être un peu trop agrandies. Cet album permet de voir la construction des petites histoires qui vont constituer peu à peu un tout, il y a déjà beaucoup d’éléments que l’on retrouvera dans les autres albums, et même le scaphandre. Cet album est à lire pour tous ceux qui ont lu Tintin quand ils étaient jeunes (ou moins jeunes),  il donne même très envie de se replonger dans les autres albums!

L’arabe du futur, de Riad Sattouf, tomes 1 à 3

J’ai lu le tome 3 chez mon père, les deux premiers tomes il y a déjà un bon moment… je pensais vous en avoir parlé, mais en fait, j’ai juste mentionné dans mon avis sur Le grand A, de Xavier Bétaucourt et Jean-Luc Loyer (très complémentaire du film Chez nous, de Lucas Belvaux), qu’il fallait que je rédige mon avis… Voici donc les trois tomes d’un coup! Le tome 1 avait reçu le Fauve d’or au festival de la bande dessinée d’Angoulême en 2015.

Les livres : L’arabe du futur, de Riad Sattouf, Allary éditions, tome 1 Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984), 2014, 160 pages, ISBN 9782370730145 ; tome 2 Une jeunesse au Moyen-Orient (1984-1985), 2015, 160 pages, ISBN 9782370730541 ; tome 3 Une jeunesse au Moyen-Orient (1985-1987), 2016, 160 pages, ISBN 9782370730947.

L’histoire : Le petit Ryad, tout blondinet, est né d’une mère bretonne (Clémentine) et d’un père syrien (Abdel-Razak) qui ont fait leurs études à la Sorbonne. Ce dernier trouve un poste de professeur à Tripoli en Libye de Kadhafi. En 1984, la famille, agrandie d’un petit frère, déménage dans le village natal du père, à Ter Maaleh, près de Homs en Syrie. Enfance rude avec ses cousins, à l’école, tentatives d’agriculture du père, blues de la mère qui voudrait rentrer en Bretagne (ou au moins habiter en ville, à Damas, plutôt que dans ce village paumé) plus longtemps que les deux semaines de vacances annuelles, la tension monte peu à peu jusqu’à la naissance du troisième enfant…

Mon avis : chaque album prend le temps d’exposer le propos, avec des planches aux dessins assez simples, des cases à la mise en page assez « rigide », avec de grands aplats monochromes où les couleurs qui dominent sont liées au pays, bleu pour la France, jaune et orange (avec des touches de vert) pour la Libye, rose et rouge pour la Syrie. Du côté de l’histoire, il rend bien le partage entre sa mère qui s’ennuie et sacrifie sa vie au père, qui lui rêve de panarabisme et de devenir un notable dans son village… et si possible plus loin! Ses sorties avec le cousin influent sont mémorables, en tout cas ont assez marqué le petit Ryad pour qu’il le rapporte de cette façon! Il faut dire qu’il grandit d’un album à l’autre, que de petit garçon soumis qui veut être premier de la classe en échappant aux châtiments corporels du maître, il est passé à une réflexion propre, dans le tome 3, il commence à s’interroger, tiraillé par les tensions entre ses parents. La naissance du troisième enfant en France lui fait découvrir une école très différente de celle qu’il a connue en Syrie! Je vous recommande la lecture de ces trois albums… en attendant la suite!

 

Quartier Lointain de Jirô Taniguchi

pioche-en-bib.jpgCouverture du tome 1 de Quartier Lointain de Jiro TaniguchiCouverture du tome 2 de Quartier Lointain de Jiro TaniguchiJirô Taniguchi est décédé hier, le 11 février 2017. L’occasion pour moi de republier cet article, l’un des premiers mangas que j’ai lus…

Note du 30 janvier 2015 : Je n’irai pas encore au festival d’Angoulême cette année, pas question de prendre des risques dans la foule… Mais il y a une grande exposition sur Charlie hebdo au musée de la bande dessinée (qui avait été transformé en 2012 en musée privé par Art Spiegelman), et comme Bill Watterson, auteur de Calvin et Hobbes, grand prix l’année dernière, n’a pas voulu sortir de sa « tanière », c’est une grande exposition Taniguchi qui a été organisée, d’où la réédition de cet article. Il me reste un an pour lire les mangas de Katsuhiro Otomo, nouveau grand prix, qui devrait donc avoir une grande rétrospective l’année prochaine!

Article du 31 mai 2013: Cet album a reçu l’alph’art du meilleur scénario au festival d’Angoulême en 2003. Je l’ai trouvé dans les bacs de la médiathèque.

Le livre : Quartier Lointain de Jirô Taniguchi (scénario et dessin), traduit du japonais par Kaoru Sekizumi et Frédéric Boilet, éditions Casterman, tome 1, 2002, 198 pages, ISBN 9782203372344 et tome 2, 2003, ISBN 9782203372382 (existe aussi en un tome regroupant l’intégrale).

L’histoire : Dans le Japon de la fin des années 1990, Hiroshi Nakatana, 48 ans, doit rejoindre sa femme et ses deux filles à Tokyo après un voyage d’affaire… La soirée a été bien arrosée, et il se trompe de train, se retrouve dans sa ville natale, Kurayoshi. Comme il a deux heures d’attente pour pouvoir reprendre un train vers Tokyo, il décide d’aller voir la tombe de sa mère… Là, il s’endort… et se réveille au même endroit, plus de 30 ans plus tôt… Il a 14 ans, se retrouve à la veille de la rentrée des classes, et se rappelle des événements qui vont survenir bientôt, la disparition de son père notamment… Redevenir collégien, retrouver ses amis d’enfance, sa famille, tels qu’il les a connus dans le passé le perturbe. Saura-t-il changer le cour des choses? Reviendra-t-il à sa vie d’homme mûr?

Mon avis : le passage sur la rencontre des parents du narrateur, juste après la seconde guerre mondiale, et la mutation du Japon rural au Japon urbain (fils d’agriculteur, après-guerre, le père devient tailleur), la transformation de la ville en 30 ans, m’a bien intéressée. L’histoire en elle-même, sinon, le retour vers le passé et tenter d’en changer le cours, ne m’a pas complètement convaincue. Le rapport du jeune (première cuite chez un copain) puis de l’adulte à l’alcool (en plus, au whisky, pas à l’alcool local) aurait mérité, je trouve, un développement plus important. Je lis rarement des mangas, celui-ci m’a plutôt plu, sans enthousiasme excessif.

Sur un sujet voisin : voir Camille redouble de Noémie Lvovsky

Logo du top BD des blogueurs 2013 Cette BD sera soumise pour le classement du TOP BD des blogueurs organisé par Yaneck / Les chroniques de l’invisible. Mes chroniques BD sont regroupées dans la catégorie pour les BD et par auteur sur la page BD dans ma bibliothèque.

Les cahiers russes, d’Igort

pioche-en-bib.jpgCouverture de Les cahiers russes, d'IgortAprès Les cahiers ukrainiens il y a quelques années, je viens d’emprunter les Cahiers russes à la médiathèque.

Le livre : Les cahiers russes, la guerre oubliée du Caucase, de Igor Tuveri, dit Igort (scénario et dessin), éditions Futuropolis, 2012, 172 pages, ISBN 9782754807579.

L’histoire : Moscou, en 2009. Trois ans après l’assassinat d’Anna Politkovskaïa, militante des droits de l’Homme, journaliste à la Novaïa Gazeta,  le 7 octobre 2006, Igort entre dans l’immeuble et l’ascenseur où elle a été assassinée. Elle voulait défendre la cause des Tchétchène. Après sa mort, son ami et avocat a poursuivi son action, avant d’être à son tour assassiné en janvier 2009, après de multiples agressions physiques et menaces de mort. Retour sur les actions de ces deux personnes, d’exception, leur combat, le rôle de médiateur d’Anna Politkovskaïa lors de la prise d’otages du théâtre Doubrovska en octobre 2002, sur les exactions russes en Tchétchénie…

Mon avis : Igort retrace les exactions russes en Tchétchénie et présente les prises d’otages du théâtre de Moscou et de Beslan comme des conséquences de ce qui se passait dans cette zone soit disant autonome, et les centaines de morts comme l’incurie des services russes (voir aussi L’incertitude de l’aube de Sophie Van der Linden). Il met en image les témoignages recueillis par la journaliste sur les tortures et autres exécutions sommaires en Tchétchénie, auprès de victimes et de soldats. Cependant, je n’aime pas trop le style du dessin. Le récit se présente comme un entretien avec Galia Ackerman, une amie de la journaliste, en alternance avec la plongée dans la violence en Tchétchénie ou contre ceux qui défendent sa cause. Je n’ai pas trop compris certaines digressions, comme la page sur la famine en Ukraine sous Staline (sujet des Les cahiers ukrainiens), sans rapport avec le sujet, pas plus que les passions littéraires d’Anna Politkovskaïa pour Léon Tolstoï et Fédor Dostoïevski. Cela brouille un peu le récit.

Johnson m’a tuer, de Louis Theillier

pioche-en-bib.jpgCouverture de Johnson m'a tuer, de Louis TheillierCela fait longtemps que je ne vous ai pas parlé de bande dessinée… J’ai emprunté celle-ci la médiathèque.

Le livre : Johnson m’a tuer, journal de bord d’une usine en lutte, de Louis Theillier (récit et dessin), éditions Futuropolis, 2014, 95 pages, ISBN 9782754810241.

L’histoire : à Bruxelles, le 31 janvier 2011. La direction anglaise de Johnson Mattey annonce la fermeture de son usine belge. Depuis plusieurs jours, les 300 employés avaient constaté le départ des matières premières qui servent à leur travail, platine et métaux précieux utilisés notamment pour la fabrication de catalyseurs de pots d’échappement. Pourtant, la multinationale est largement bénéficiaire, l’usine belge aussi, mais il s’agit de délocaliser l’activité en Macédoine. Employé depuis cinq ans dans cette usine, Louis Theillier croque au jour le jour, avec son style à bille, la lutte, les négociations des indemnités de licenciement…

Mon avis : cette bande dessinée est la reprise en un volume d’une bande dessinée éditée en 350 exemplaires diffusés toutes les trois semaines (en 6 tomes dont on ne voit pas les séparations ici), comme moyen de communication interne et externe, permettant de relayer le combat des ouvriers auprès des médias. Elle était aussi diffusée sur le blog de la lutte. Depuis la fermeture d’une usine Renault, en Belgique, il existe un système complexe de négociations et de calcul d’indemnités supra-légales, sur la base d’une « grille Claeys » (amis poitevins, rien à voir avec le maire de feue la capitale régionale de Poitou-Charentes…). La bande dessinée présente la lutte depuis l’intérieur, tracée par un salarié de l’entreprise. Il n’y a donc pas le recul d’une analyse « après coup », par un journaliste, un sociologue (La communauté de Hervé Tanquerelle et Yann Benoît, première et la deuxième parties) ou un auteur de bande dessinée (Les mauvaises gens, d’Étienne Davodeau). AU fil des pages, le dessin de Louis Theillier évolue, l’auteur se pose des questions sur son travail, la pression de la parution (tenir le blog, l’édition papier) et des employeurs qui voient d’un mauvais œil son travail. Il montre les négociations, mais aussi les interrogations des employés et ouvriers sur les syndicats, la fracture avec la direction, …

Au fil des pages, il est aussi question des luttes proches (les Contis de Clairoix, d’Arcelor Metal – dont le leader, depuis, Édouard Martin, récupéré par le PS, a mal tourné), de Indignez-vous! de Stéphane Hessel.

La dernière image, de Gani Jakupi

Couverture de La dernière image, une traversée du Kosovo de l'après-guerre, de Gani Jakupipioche-en-bib.jpgUn album trouvé à la médiathèque.

Le livre : La dernière image, une traversée du Kosovo de l’après-guerre, de Gani Jakupi (scénario, dessins et couleurs), collection Noctambule, éditions Soleil, 2012, 88 pages, ISBN 9782302020627.

L’histoire : juin 1999. Gani Jakupi est envoyé au Kosovo avec un photographe par un magazine espagnol juste après le départ des troupes serbes. Il est accompagné d’un photographe qui cherche « l’image choc », lui, le dessinateur, profite de sa connaissance de la langue pour sortir des sentiers battus. Comment illustrer tel thème ou tel autre ? Son origine kosovar lui permet-elle de garder toute l’objectivité nécessaire à un journaliste sur le terrain ? N’a-t-il pas été piégé par le magazine qui avait surtout commandé un reportage photographique sur le retour d’un Kosovar dans son pays dévasté par la guerre, confronté aux retrouvailles avec ses proches…

Mon avis : j’ai choisi cet album sur la base de son titre, pensant qu’il serait dans la droite ligne de Goražde et Šoba, de Joe Sacco. Gani Jakupi s’est installé en France à la fin des années 1970 (donc bien avant la guerre des Balkans), a acquis la nationalité française en 1983, avant de s’installer en Espagne dix ans plus tard. En 1999, il y vivait quand il a été envoyé en reportage au Kosovo, il a mis presque quinze ans pour raconter cette mission qui l’a marqué, retour dans son pays natal, qui tourne à une grosse interrogation, comment raconter les ravages de la guerre? Lui n’a pas envie de faire un scoop ou de rapporter des images « à la Goya » (voir Les désastres de la guerre de Francisco de Goya), il choisit de dessiner plutôt les ambiances tout en racontant la position inverse du photographe qui l’accompagnait et qui avait finalement peut-être la mission de montrer les réactions du dessinateur / journaliste. Du coup, l’auteur/narrateur s’interroge sur le poids des images, l’éthique du reportage photographique, la recherche du scoop ou de l’image choc plutôt que de l’image qui refléterait davantage la réalité ambiante. Les couleurs sont douces pour un sujet aussi tragique. Un album très différent de ce à quoi je m’attendait, mais qui m’a bien plu…

Il s’appelait Géronimo, d’Étienne Davodeau et Joub

pioche-en-bib.jpgCouverture de Il s'appelait Géronimo, d'Étienne Davodeau et JoubLa série de Géronimo, d’Étienne Davodeau et Joub, s’achève avec ce tome trouvé à la médiathèque, avec un changement d’éditeur et ne porte donc pas le nom de « tome 4 » de la série. Vous pouvez (re)lire mes avis sur les tomes précédents en suivant les liens : voir le tome 1, le tome 2 et le tome 3.

Le livre : Il s’appelait Géronimo, d’Étienne Davodeau et Joub, éditions Vents d’ouest, 128 pages (dont un dossier genre « making-off » d’une vingtaine de pages) 2014, ISBN : 9782749306667.

L’histoire : de nos jours (ou même dans quelques années?), Benji retrouve son ami Geronimo dans un bel appartement parisien sous le nom d’Emmanuel Croupy. Qu’est-il devenu depuis son adolescence un peu rebelle? Il reprend son histoire là où on l’avait laissé. Embarqué clandestinement sur un cargo qu’il pensait à destination des États-Unis, au « pays des Indiens » qu’il a tant rêvé chez son oncle, il débarque à Cayenne. Alors qu’il fait la manche, un homme est poursuivi et blessé près de lui. Il le cache à sa demande, part chercher ses affaires à l’hôtel et de l’argent avec sa carte bleue (un objet inconnu de Geronimo…), mais à son retour retour, l’homme est mort. Ni une ni deux, il prend son identité et rentre à Paris en avion…

Mon avis: je dis « dans quelques années », peut-être, car on voit page 41 un passeport délivré en 2012 et l’histoire est censée se passer une dizaine d’années plus tard. C’est un détail, l’histoire est intemporelle. Geronimo passe en quelques pages de l’adolescent dégingandé et tenu à l’écart de la « vie moderne » par son oncle à un homme qui a du bien, fonde une famille, et peut enfin découvrir la vérité sur sa mère. Un bel album sur la quête d’identité, la place du secret de famille dans la construction d’une vie.

Le dossier à la fin de l’album montre le travail à quatre mains des auteurs, mêlant photographies et dessins qui en ont été tirés.

Pour découvrir l’auteur : voir le site d’Étienne Davodeau, que je trouve très riche… et le récapitulatif dans l’article écrit pour l’une des venues à Poitiers de l’auteur. Il faudra que je lise son dernier album, qui a reçu le prix du public au dernier festival d’Angoulême, Cher pays de notre enfance, enquête sur les années de plomb de la Ve République (avec Benoît Collombat).

Pour rappel, je vous ai parlé de nombreux albums d’Étienne Davodeau

de Kris et Davodeau

et de Davodeau et Joub

Le grand A, de Xavier Bétaucourt et Jean-Luc Loyer

Couverture de Le grand A, de Xavier Bétaucourt et Jean-Luc LoyerA part L’Arabe du Futur (tomes 1 et 2) de Riad Sattouf (il faut que je rédige mes avis), un autre album m’a beaucoup plu parmi mes lectures de ces dernières semaines, Le grand A, acheté chez mon libraire BD préférée, Bulles d’encre à Poitiers.

Le livre : Le grand A, de Xavier Bétaucourt (scénario) et Jean-Luc Loyer (dessins), éditions Futuropolis, 2016, 136 pages, ISBN 9782754810388.

L’histoire : 1970. Le maire d’Hénin-Liétard (pas encore fusionné avec Beaumont) refuse, au nom de la défense du commerce du centre-ville, l’installation d’un supermarché sur sa commune. 1972. Le Grand A, le plus grand en France, ouvre sur la commune voisine de Noyelles-Godault. 40 ans plus tard, le commerce se meurt, même le marché hebdomadaire, les zones de vie se sont déplacées, le Grand A est toujours là, avec ses animations, sa politique agressive envers les fournisseurs. Dans cette région à faible pouvoir d’achat (à fort taux de chômage et fort taux de vote FN), il met tout en œuvre pour capter l’acheteur…

Mon avis : l’introduction avec l’histoire du commerce depuis l’Antiquité est un peu déroutante. Les auteurs ont mené leur enquête en centre-ville (marché qui souffre, marché de noël déserté), auprès de la direction, des fournisseurs, des caissières. Autour de Lens, il y a trois pôles d’attraction aujourd’hui, « Racing-club de Lens, le Louvre Lens [je vous en parle un de ces jours aussi] et la galerie marchande d’Auchan« . Les auteurs montrent comment l’hypermarché s’adapte à son public, avec un grand rayon de spécialités polonaises (c’est aussi le premier magasin qui a testé le hard discount au sein de ses rayons), comment il réussit à faire dépenser plus à des gens qui ont un faible pouvoir d’achat, organisant la pénurie d’un jouet à Noël (mais en mettant une palette de côté), une ouverture le 23 décembre de 5h à 23h… Si le sous-titre (Il mange 195 jours de notre vie) semble présenter tout un programme, les auteurs ont voulu garder une approche plutôt neutre, le directeur n’est pas mis face à son cynisme, en contrepoint sont interrogés des fournisseurs (avec quelques pages sur la filière de la volaille industrielle) ou les caissières. Ils auraient peut-être pu s’engager un peu plus sur l’aspect politique, même s’ils soulignent la contradiction du Front national : leur discours national est contre la grande distribution et la désertification des centres-villes, mais localement, ils ne vont pas critiquer le Grand A où se rendent tous leurs électeurs… C’est peut-être dans le dossier qui clôt la bande dessinée (comme souvent dans cette collection) que se trouvent les propos les plus engagés.

Sur le plan du dessin, les couleurs sont plutôt sombres, avec beaucoup de gris et d’ocre.

Pour ma part, le supermarché, je n’y vais plus depuis des années… Le marché (pas forcément plus cher, voir mon « étude locale et subjective » sur le prix du poulet en 2012) pour la quasi totalité des courses alimentaires, un M. de centre-ville pour le reste.