Vendredi dernier (16 janvier 2015), les lecteurs de Poitou-Charentes ont élu Paola Pigani, 4e Voix des lecteurs en Poitou-Charentes pour ce livre… Il était aussi sorti premier de notre groupe.
Article du 14 juillet 2014
Je poursuis à mon rythme mes lectures pour la voix des lecteurs Poitou-Charentes, merci à Grégory qui a organisé ce groupe de lecteurs avec Florence, Jenny, Michèle (revoir Petites scènes capitales, de Sylvie Germain). Je lis toujours trois fois moins « qu’avant« , environ 250 pages par semaine contre plus de 1000 avant… J’ai aussi eu une expérience curieuse avec ce livre, voir en fin d’article! Ce livre, par sa date de parution, peut aussi entrer dans la rentrée littéraire 2013 organisé par Hérisson jusque fin juillet 2014 (après, nous passerons à la rentrée littéraire 2014!).
Le livre : N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, de Paola Pigani, éditions Liana Lévi, 2013, 217 pages, ISBN 978-2-86746-688-5.
L’histoire: 1940. Une famille Manouche qui a l’habitude de se déplacer et travailler autour de Saint-Jean-d’Angély est assignée à résidence à Saint-Germain-de-Marencennes. Un jour, ils sont rassemblés avec d’autres familles à Aigrefeuille, d’autres à Jarnac et Villefagnan, pour être envoyés, à pied, avec roulottes et chevaux, dans des camps d’internement. Pour eux, ça sera le camp des Alliers à Sillac, quartier d’Angoulême situé près de la voie ferrée. Alba, jeune adolescente, s’y retrouve avec sa mère, aveugle et enceinte, et le reste de sa famille. Les hommes sont parfois autorisés à sortir pour travailler, mais les roulottes, les chevaux sont confisqués, on les oblige à se « sédentariser » et à vivre dans des barquements aux toits qui fuient et sans hygiène ni propreté. Une visiteuse, Mine, étudiante en médecine (et par ailleurs résistante) va réussir à faire sortir les enfants en promenade avec le curé, un gardien jouera aussi un rôle que je vous laisse découvrir…
Mon avis: sur le plan historique, je trouve très intéressant d’aborder ce sujet, qui commence à être bien connu pour Montreuil-Bellay (voir les références dans Tsiganes, camp de concentration de Montreuil-Bellay, par Kkrist Mirror) mais pas beaucoup ailleurs, à part dans un petit cercle de personnes concernées (historiens de la période, associations de tsiganes et leurs amis). Même si une stèle rend hommage près de la gare d’Angoulême aux déportés républicains Espagnols (premiers déportés depuis la France, certains avaient été internés au camp des Alliers, évoqué en trois lignes page 23) et si une plaque sur place à Sillac rappelle ces tristes mois (années, devrai-je dire), je pense que peu de Charentais connaissent cet épisode de la guerre (comme à Poitiers le Frontstalag et les camps d’internement, dont celui de la route de Limoges, entre autres pour les Manouches et Tsiganes), et je trouve que c’est une bonne opportunité de choisir le 14 juillet (oups, quelques lecteurs ont aperçu l’article la semaine dernière, erreur de manipulation) pour vous parler de ce livre. N’oublions pas que ces « voyageurs indésirables » ont été internés bien après la libération et même après l’armistice de 1945, qu’ils ont été « libérés » (lâchés dans la nature plutôt) sans indemnités, sans leur moyen de vivre (chevaux et roulottes), que ceux qui y sont morts (ici les trois femmes abattues par les Allemands dont il est question dans le livre, les morts de maladie et de manque de soin, des centaines ailleurs) n’ont pour la plupart pas été reconnus comme victimes civiles de la guerre, une infime partie de ceux qui ont été déportés dans les camps de concentration et d’extermination n’ont pas non plus été reconnus, faute de famille ou d’association pour faire les démarches dans les années qui ont suivi. Charlotte Delbo a raconté les difficultés des femmes du Convoi du 24 janvier a faire reconnaître leurs droits (statut de déporté, pensions, etc.), on imagine ce que ces démarches, même si elles étaient engagées, ont pu représenter pour des Manouches dont une partie étaient illettrés. Un très bon point donc pour l’histoire, romancée mais documentée, Paola Pigani a, d’après la présentation de l’éditeur, recueilli ses informations auprès de l’une des femmes internées dans le camp des Alliers.
Maintenant, la voix des lecteurs Poitou-Charentes est un prix littéraire. Si le livre est facile à lire (enfin, presque pour moi, voir plus bas), je n’y ai pas trouvé les émotions de lecture qui en ferait un coup de cœur dans la sélection. Il faut que je lise les trois derniers livres pour savoir si je le défendrai ou pas dans notre groupe de lecteurs coordonné par Grégory. Et aussi que j’essaye de découvrir d’autres textes de Paola Pigani, « poète et nouvelliste », dixit la quatrième de couverture. Son site La renouée aux oiseaux précise qu’elle a été présente au dernier festival Musiques métisses à Angoulême, dans la partie littératures métisses, en juin 2014. Vous pouvez aussi écouter un entretien chez Mollat, le célèbre libraire bordelais.
Beaucoup des lecteurs habituels de mon blog le savent (voir récemment l’article sur mes directives anticipées et mes interrogations sur la broderie), j’ai des problèmes suite à un méningiome qui a notamment comprimé mon nerf optique gauche. Je récupère bien depuis mon opération, mais j’ai toujours des problèmes de lecture, dus en partie au fait que toutes les fibres ne conduisent pas encore correctement l’information, à l’exophtalmie qui persiste même si elle a diminué (ossification en fond de l’orbite) et à la motricité de l’œil (en cours de récupération, il n’y a plus d’œdème et les commandes motrices ont récupéré). Même si j’ai récupéré l’acuité visuelle de l’œil gauche (passée de 1/10e à un « faux » 10/10e, avec des trous et des modifications des couleurs), tout cela conjugué ralentit considérablement ma vitesse de lecture, y compris quand je ne vois pas double. Les neurologues m’ont expliqué que c’est surtout parce que je suis « grosse lectrice », et que donc je ne lis plus, plus exactement je ne déchiffre plus. Chaque seconde, les yeux se déplacent plusieurs fois plusieurs lignes plus bas, repèrent des mots dans la « banque d’images » (les mots accumulés au fil des années) et le cerveau reconstitue les phrases sans déchiffrer les mots. Comme je ne vois pas toujours très bien, il arrive que je m’interroge, phrase incompréhensible, juste parce que mon cerveau a décidé que tel mot était un autre que celui vraiment écrit, souvent proche à une ou deux lettres près, et dans ce cas, il me faut « déchiffrer » la phrase pour trouver l’erreur d’interprétation et comprendre le sens. Cette fois, c’est une faute d’orthographe qui m’a fait relire trois fois une phrase avant que je ne comprenne la phrase et qu’il s’agissait d’une erreur d’homophonie (raisonne / résonne), que mon cerveau n’avait pas identifiée (page 25: « Le bruit des galoches et des souliers raisonne sur la route humide »). J’avais bien lu, mais la phrase était incompréhensible parce que le cerveau me forçait à lire et comprendre « raisonne », alors qu’en principe, ce genre de fautes, le cerveau (le vôtre, le mien jusqu’il y a quelques mois, celui de l’auteure et des relecteurs de l’éditeur) les corrige automatiquement et c’est pour cela qu’il reste des coquilles dans les livres. C’est bien la peine d’avoir relu des milliers de pages du Bulletin de la Société préhistorique française (avant publication) avec Emmanuelle / le Marquoir d’Élise! Je ne suis plus capable (pour l’instant) de repérer facilement ces fautes.
D’autres avis: ils ont aimé… ou pas, voir les blogs du festival AlphaLire, La soupe de l’espace, etc.
Pour aller plus loin: sur mon blog, voir:
– la stèle aux déportés républicains Espagnols à Angoulême (premiers déportés depuis la France, certains avaient été internés au camp des Alliers avant que celui-ci ne soit « spécialisé » dans les manouches et tsiganes) – le Frontstalag et les camps d’internement de Poitiers
– les articles réunis sous le mot-clef tsigane, et notamment l’excellente bande dessinée Tsiganes, camp de concentration de Montreuil-Bellay, par Kkrist Mirror, et Tsiganes, sur la route avec les Roms Lovara de Jan Yoors. Sur l’internement des Tsiganes et surtout la phase d’assignation à résidence, revoir aussi Liberté de Tony Gatlif et Eric Kannay.
– l’un des enfants a été très impressionné (page 100) par les allégories de la gare de Limoges: revoir l’extérieur et l’intérieur.
Dans les grottes de la vallée des Eaux-Claires à Puymoyen, où la famille se regroupe à la fin, a livré plusieurs restes d’homme (de femme?) de Neandertal.
Suivre mes (nos) lectures de la sélection de la Voix des lecteurs 2014 (liens au fur et mesure des lectures), groupe organisé par Grégory :
Profanes, de Jeanne Benameur, éditions Actes sud
Composite, de Denis Bourgeois, éditions Ego comme X
Petites scènes capitales, de Sylvie Germain, éditions Albin Michel
Nativité cinquante et quelques de Lionel-Edouard Martin, éditions Le Vampire actif
N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, Paola Pigani, éditions Liana Levi