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Madame H., de Régis Debray

pioche-en-bib.jpgCouverture de Madame H., de Régis DebrayJe pense que je n’avais jamais lu de livre de Régis Debray, de l’académie Goncourt, j’ai trouvé ce livre sur le présentoir des nouvelles acquisitions de la médiathèque.

Le livre : Madame H., de Régis Debray, collection blanche, éditions Gallimard, 158 pages, 2015, ISBN 9782070108039.

La quatrième de couverture :

«Madame H. nous a quittés. Nous voilà veufs. Et s’il n’y avait pas de quoi pleurer?
H. ou l’Histoire avec une majuscule. Notre haschich officiel, depuis des lustres, en France, où la consommation a toujours été plus élevée qu’ailleurs.
Le stupéfiant Histoire, avatar halluciné de l’Histoire sainte, nous a légué autant de héros que de tyrans, de défricheurs que de fossoyeurs.
La fin récente de l’ère chrétienne et progressiste ne nous oblige-t-elle pas à reconsidérer nos rapports avec cette grande puissance d’enthousiasme et d’illusion?
Dans ce récit fantasque à la première personne, où le drolatique le dispute au sérieux, le lecteur pourra trouver à la fois le compte rendu d’une désintoxication et l’esquisse d’un mode d’emploi : comment sortir de l’Histoire sans broyer du noir? Comment changer de civilisation sans verser dans une nouvelle barbarie?
Pour substituer, autant que faire se peut, à une espérance sans gaieté – la perpétuelle attente du Jour des récompenses – quelque chose comme une gaieté sans espérance, un meilleur usage du monde.»
Régis Debray.

Mon avis : il est très rare que je ne propose pas un résumé personnel d’un ouvrage, mais cette fois, je n’ai pas su comment faire et vous ai mis à la place la quatrième de couverture. Au fil des pages de ce court essai (dans mon esprit, essai est un gros pavé souvent illisible), Régis Debray présente à la première personne l’Histoire avec un grand H et l’histoire, son histoire personnelle, la façon dont il a vécu certains événements de ces 50 (60) dernières années et s’aperçoit, au-delà de son militantisme, qu’il n’a eu aucune influence (ou si peu). Un ton badin pour dire que le monde, avec sa globalisation, et l’Europe, impuissante, tourneraient vers leur fin? Certaines phrases sentent le mauvais populisme, d’autres sont si alambiquées que je n’ai pas compris (voulu comprendre) ses idées sur la laïcité, sur Daech, le déclin perpétuel de l’histoire. Pas convaincue par cet essai…

Logo rentrée littéraire 2015Ce livre entre dans la catégorie essais témoignages pour le défi de la rentrée littéraire organisé à nouveau en 2015 par Hérisson.

Les naufragés et les rescapés, de Primo Levi

Couverture de Les naufragés et les rescapés, de Primo Lévi

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Primo Levi a écrit ce livre 40 ans après la libération des camps, aujourd’hui, 27 janvier 2015, nous sommes juste 70 ans après l’entrée des Russes dans les camps d’Auschwitz et Birkenau. Primo Levi (revoir Si c’est un homme) faisait partie des quelques centaines de déportés malades qui n’avaient pas été « évacués » pour la grande marche dans laquelle la plupart des 58.000 déportés sont morts. Il ne rentre chez lui à Turin que le 9 octobre 1945, après presque 10 mois d’errance en Europe de l’Est. Je l’ai emprunté à la médiathèque.

Le livre : Les naufragés et les rescapés, quarante ans après Auschwitz, de Primo Levi, traduit de l’italien par André Maugé, collection Arcades, éditions Gallimard, 1989, 200 pages, ISBN 9782070715114.

La présentation de l’éditeur :

«C’est arrivé et tout cela peut arriver de nouveau : c’est le noyau de ce que nous avons à dire.»
Primo Levi (1919-1987) n’examine pas son expérience des camps nazis comme un accident de l’histoire, mais comme un événement exemplaire qui permet de comprendre jusqu’où peut aller l’homme dans le rôle du bourreau ou dans celui de la victime.
Quelles sont les structures d’un système autoritaire et quelles sont les techniques pour anéantir la personnalité d’un individu ? Quel rapport sera créé entre les oppresseurs et les opprimés ? Comment se crée et se construit un monstre ? Est-il possible de comprendre de l’intérieur la logique de la machine de l’extermination ? Est-il possible de se révolter contre elle ?
Primo Levi ne se borne pas à décrire les aspects des camps qui restaient obscurs jusqu’aujourd’hui, mais dresse un bilan pour lutter contre l’accoutumance à la dégradation de l’humain.

Mon avis: Les naufragés et les rescapés est un livre très fort, peut-être plus pour moi que Si c’est un homme. Il retrace ici tout son parcours dans les camps, comment il a échappé à la « sélection », passé une sorte « d’examen » qui a confirmé qu’il était bien chimiste et lui a permis d’intégrer le Kommando de Monowitz, un camp annexe affecté à la construction d’une usine de caoutchouc synthétique appartenant à IG Farben, la Buna. La violence inutile, comme la mise à nu, le rasage et le tatouage, servent à déshumaniser le prisonnier, mais un semblant de société réussit néanmoins à se reconstituer. Il explore surtout la « zone grise », celle où il est impossible de classer un homme parmi les « gentils » ou les « méchants ». Une zone où parmi les prisonniers, certains luttent pour leur survie en sacrifiant quelqu’un d’autre, où certains gardiens se font moins durs. Le rapport gardien / prisonnier, la hiérarchie établie par l’administration même du camp sont analysés avec beaucoup de recul. Les prisonniers « privilégiés » (affectation à certains Kommandos, responsables de telle ou telle tâche) ont plus de chance de s’en sortir. Il explique que si sa faible constitution physique et son absence d’expérience des travaux manuels étaient un désavantage dans les premiers jours, sa position d’intellectuel lui a sauvé la vie. A travers son exemple et celui de quelques-uns de ses compagnons de déportation, Primo Levi expose pourquoi certains avaient plus de chances de survivre: ce sont ceux qui avaient la plus grande capacité d’adaptation, le plus d’abnégation pour surnager au-dessus des autres, réussir à garder sa cuiller (ou la voler à son tour s’il en est privé), son matériel au fil des jours, à jongler entre travail et « infirmerie ». Un livre, son dernier, écrit avec du recul et riche en analyse.

Pour aller plus loin:

Outre Si c’est un homme de Primo Levi, voir aussi

– les témoignages et récits de , également déportée à Auschwitz, notamment Aucun de nous ne reviendra, Le convoi du 24 janvier, La mémoire et les jours,

– et Maus, de Art Spiegelman, tome 1 : mon père saigne l’histoire, et tome 2 : Et c’est là que mes ennuis ont commencé, témoignage en bande dessinée sur la déportation de ses parents.

Lire La peinture à Dora de François Le Lionnais, mathématicien et co-fondateur de l’Oulipo,  déporté à Buchenwald et Mittelbau-Dora, un autre témoignage sur la manière de survivre.

Suivre les mots-clefs ci-dessous et notamment ceux sur les , et plus largement sur la … Revoir aussi L’empereur d’Atlantis, un opéra écrit dans un camp de concentration de Terezin, écrit par Viktor Ullmann avec un livret de Peter Kien, et de nombreux liens dans mon article sur Parce que j’étais peintre de Christophe Cognet, sur la peinture dans les camps de concentration.

Dans les prochaines semaines, je vous montrerai les différents monuments commémoratifs des camps de concentration au cimetière du Père-Lachaise, dont plusieurs pour Auschwitz et ses différents camps annexes (la tombe de Jean-Richard Bloch est juste à côté du monument aux déportés à Auschwitz-Birkenau).

Le style comme expérience de Pierre Bergounioux

Logo du défi rentrée littéraire 2013 chez Hérisson Couverture de Le style comme expérience de Pierre BergouniouxLogo de pioché en bibliothèqueUn livre trouvé à la médiathèque et qui entre dans mes lectures de la rentrée littéraire 2013, projet organisé par Hérisson.

Le livre : Le style comme expérience de Pierre Bergounioux, éditions de l’olivier, 2013, ISBN 9782823602753, 70 pages.

Le livre (présentation officielle):

« Comme les manières de penser, de sentir et d’agir, les façons de parler et, plus encore, d’écrire sont nettement différenciées dans les sociétés développées. Le style comme écart, variation expressive, surcroît de sens, est un fait. Il a été perçu, formalisé dès les débuts de la culture lettrée, en Grèce. On l’assimile, depuis lors, à l’exploitation des ressources immanentes au langage, constitué en entité autonome de dépendances internes. Mais, ce faisant, on perd sa dimension vécue, la satisfaction ambiguë qui colore pareille expérience. Celle-ci, comme l’ensemble de l’activité sociale, accuse la distribution inégale des ressources économiques et sémantiques. L’explication appelle une approche historique. » (P. B.)
Dans cet essai bref, Pierre Bergounioux évoque de manière éclairante ce qu’il appelle « l’expérience vécue du style ». Mais Le Style comme expérience est aussi une archéologie de l’écriture. Comment l’écriture peut-elle s’abstraire de son vice originel, à savoir son émergence comme signe des premières sociétés inégalitaires ? C’est un regard historique que cet ouvrage nous propose d’adopter en analysant les bouleversements littéraires de notre modernité. Et nous permet de comprendre comment la littérature s’est mise à considérer le monde comme « ce que nous vivons quand on y est impliqué corps et âme, maintenant ».

Mon avis :  j’ai choisi ce livre parce qu’il était tout petit (j’ai encore beaucoup de difficultés avec la « lecture normale »). Mauvaise pioche, le livre est imprimé sur un papier granuleux qui a accroché l’encre d’imprimerie, le papier était constellé de petits points noirs qui ne gênent pas un lecteur normal (j’ai montré les pages à un ami) mais qui ont beaucoup parasité et ralenti ma lecture… ce qui a dû accroître mon ennui, avec l’impression d’assister à un cours pédant de classe préparatoire (je parle d’expérience, même si elle devient ancienne…). C’est pour cela que j’ai mis, contrairement à mon habitude, la présentation officielle et non un résumé « de mon cru ». Bref, en se basant sur de nombreux exemples littéraires, ce qui est très excluant pour ceux qui ne les ont pas lus (cf. mes expériences infructueuses avec Ulysse de James Joyce, qui sert de réflexion à un long développement), Pierre Bergounioux pérore sur le style littéraire. Je ne suis pas du tout d’accord avec lui sur plusieurs points. En voici juste deux exemples.

Page 26: « L’homme des sociétés primitives possède l’intégralité de la culture du groupe. Il maîtrise l’ensemble des gestes qui assurent son existence physique et les mythes qui l’expliquent ». C’est profondément ignorer les sociétés dites « primitives », qu’il s’agisse d’exemples ethnographiques ou préhistoriques. Non, l’homme ne maîtrise pas « l’intégralité de la culture du groupe ». Les mythes y sont complexes, et pour la « culture matérielle », il existe des spécialisations très ancienne, la maîtrise des chaînes opératoires (ensemble des actions nécessaires à une production) ne pouvait pas être acquise par tous, il existait depuis au moins l’homme de Néandertal des activités spécialisées, que ce soit pour la taille du silex, la chasse, la boucherie (découpe des morceaux de viande), la réalisation d’outils en os ou d’œuvres d’art…

Autre exemple page 41 à propos de l’Odyssée, telle que transcrite par Homère je suppose: « A cela s’ajoute l’exploitation de la substance de l’expression, allitérations, assonances, rimes plates, embrassées, croisées, et des données rythmiques« . C’est oublier un peu vite qu’il s’agit avant tout d’un texte de tradition orale, simplement transcrit par Homère (plus ou moins mythique aussi), et que le rythme et la rime sont partie intégrante de cette tradition orale, participant à la mémorisation du texte qui représente plusieurs milliers de vers.

Bref, je m’arrête là, j’aurais pu vous citer d’autres exemples, je n’ai vraiment pas adhéré à cet essai.