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La peinture à Dora par François Le Lionnais

Logo de pioché en bibliothèqueCouverture de La peinture à Dora par François Le LionnaisDans le film Parce que j’étais peintre de Christophe Cognet, une lecture est donnée d’un texte écrit par François Le Lionnais, un des fondateurs de l’OuLiPo sur la peinture à Dora. Un petit tour sur le site internet de la médiathèque et j’ai vu qu’il était disponible au dépôt légal, car imprimé dans la région, à Tusson. Le temps de le faire venir pour le lire sur place, un petit délai de deux jours supplémentaires, le service du dépôt légal s’est trompé d’un millier sur la cote, et le voici qui m’est communiqué. Oups, il n’est pas coupé, je suis la première qui vais le lire. Heureusement qu’il ne fait qu’une vingtaine de pages, il a pu être coupé tout de suite, sinon, j’aurai dû attendre que le service de restauration de la médiathèque le fasse.

Le livre : La peinture à Dora, de François Le Lionnais, collection Envois, édition l’Échoppe (tirage à 1000 exemplaires), 21 pages, 1999, ISBN 2840681072. Texte original paru dans le n° 10 (nouvelle série), mars 1946, de la revue Confluences.

L’article: le texte intégral de cet article est disponible en ligne, comme il est court, je vous laisse le découvrir sur le site Marxiste. Il y manque juste la dédicace: « à Henri Seelinger ».

Le contexte: François Le Lionnais, ingénieur-chimiste de formation (comme Primo Levi) et mathématicien, résistant lyonnais du groupe Front national, dans la mouvance communiste (rien à voir avec l’actuel parti d’extrême-droite!!!) a été arrêté en avril 1944 et déporté à Dora d’août 1944 à avril 1945. Il y continue les actes de résistance notamment en sabotant le système de guidage de missiles V2 qu’il est chargé de construire. Au moment de l’évacuation du camp, il fait partie d’un groupe qui s’installe à Seesen et y organise pendant trois semaines les soins aux déportés avant leur rapatriement.

Dans La peinture à Dora, il explique donc comment, après avoir instruit un jeune déporté, Jean Gaillard (mort en déportation), de la théorie des nombres, des mathématiques, de l’électricité, de la chimie, l’évocation de la peinture et la description de tableaux très divers a permis aux deux hommes de s’évader mentalement pendant les interminables appels. Quelques passages ne manquent pas de mordant. Ainsi, il souligne que certains déportés avaient peint dans les Blocs, mais « Ces peintures manquaient pour la plupart d’intérêt et oscillaient entre la Foire aux Croûtes et le Salon des Artistes Français » (pas très sympa pour le salon des artistes français). Les deux hommes sont séparés et François Le Lionnais se livre à une autre activité mentale, « s’amusant » à mêler deux tableaux entre eux. Scientifique il reste, mesurant les durées d’évasion dans la peinture en périodes radiocative:

« malheureusement, mes tableaux ne durent généralement pas plus de quelques minutes, quelquefois même quelques secondes. En termes de radio-activité, leurs « périodes » sont comprises entre celles du Thorium A (0,14 seconde) et du Radium C (3 mi­nutes) ».

Les mathématiques aussi lui offrent du répit:

« Je rêve à des fresques qui comporteraient des pôles à l’infini, à d’autres dont les lignes seraient des fonctions sans dérivées, à d’autres encore, multivalentes, dont la complexité ne se pourrait débrouiller qu’au moyen de sortes de « Surfaces de Riemann », à mille sortilèges aussi peu sérieux… » (suivre les liens ci-dessous pour plonger dans les géométries non euclidiennes).

Il termine son texte en parlant également en quelques mots du rôle de la musique et de la littérature pour des exercices du même genre, toujours pour échapper un bref instant au contexte concentrationnaire.

Pour aller plus loin: voir la page consacrée à François Le Lionnais sur le site de l’OuLiPo. Sur les surfaces de Riemann, voir un article sur le site de Serge Mehl, ou alors le cours de l’université de Berkeley (en anglais)… ou le cours de l’université de Marseille.

Suivre aussi les mots-clefs ci-dessous et notamment ceux sur les camps de concentration, et plus largement sur la deuxième guerre mondiale… Revoir L’empereur d’Atlantis, un opéra écrit dans un camp de concentration de Terezin, écrit par Viktor Ullmann avec un livret de Peter Kien, et de nombreux liens dans mon article sur Parce que j’étais peintre de Christophe Cognet, sur la peinture dans les camps de concentration.

Quelques pistes de lecture:

Aucun de nous ne reviendra, La mémoire et les jours et Le convoi du 24 janvier de Charlotte Delbo (et revoir l’exposition Autour de Charlotte Delbo à Poitiers)

– Maus, de Art Spiegelman, tome 1 : mon père saigne l’histoire, et tome 2 : Et c’est là que mes ennuis ont commencé, témoignage en bande dessinée sur la déportation de ses parents

Le wagon d’Arnaud Rykner, histoire d’un convoi parti de Compiègne pour Dachau

La vie en sourdine de David Lodge, roman où il aborde un voyage à Auschwitz-Birkenau

C’est un métier d’homme, par un collectif de l’OuLiPo

Couverture de C'est un métier d'homme, par un collectif de l'OuLiPo pioche-en-bib.jpgJ’ai trouvé ce livre à la médiathèque dans une sélection de nouvelles acquisitions.

Le livre : C’est un métier d’homme, autoportraits d’hommes et de femmes au repos par un collectif de l’OuLiPo (ouvroir de littérature potentielle), éditions Mille Et Une Nuits, 2010, 139 pages, ISBN 978-2755505801.

L’histoire : Paul Fournel a écrit une nouvelle de cinq pages, Le descendeur (un champion de ski qui se lance dans la pente). Ses camarades de l’Oulipo puis d’autres personnes se sont emparés de la forme de ce premier récit pour écrire d’autres portraits – des autoportraits, nom donné à cette nouvelle contrainte, de cinq à six pages. Le volume rassemble les textes des membres de l’OuLiPo qui ont participé à cette expérience, Michèle Audin, Marcel Bénabou, Paul Fournel, Frédéric Forte, Michelle Grangaud, Jacques Jouet, Hervé Le Tellier, Daniel Levin Becker, Ian Monk et Olivier Salon.

Mon avis : un livre paru pour les 50 ans de l’OuLiPo. Cette fois, la contrainte est la forme de la nouvelle, sa structure de texte, vous comprendrez en lisant le livre… jusqu’au bout, car il ne faut pas rater la toute dernière, Autoportrait du Président, par Hervé Le Tellier. Un livre à découvrir pur voir la variété de ce que l’on peut écrire en dépit d’une contrainte assez forte…

La mezzanine de Nicholson Baker

Couverture de la Mezzanine, de Baker Après les polars de la semaine dernière (Cadavre X de Patricia Cornwell et Le verdict du plomb de Michael Connelly), voici un livre dont je vous ai promis un compte rendu il y a déjà longtemps… mi février, en fait. C’était un coup de cœur de la librairie Mollat à Bordeaux, où l’ami qui me l’a offert l’avait déniché. Et comme il l’a lu depuis, je peux vous en parler.

Le livre : La Mezzanine de Nicholson Baker, traduit de l’anglais par Arlette Stroumza,éditions Robert Laffont, 243 pages, 2008, ISBN 978-2-221-10700-3 (première parution aux États-Unis en 1988, plusieurs éditions en français).

L’histoire : un jeune cadre new-yorkais (le narrateur) et néanmoins dynamique vient de casser un lacet de chaussure hier, et celui de l’autre chaussure aujourd’hui. Il emprunte l’escalator qui relie la mezzanine où il travaille à la ville, où il a un espoir de trouver une paire de lacets neufs, et vers les ascenseurs qui mènent aux autres parties de l’entreprise, en particulier les toilettes, haut lieu de la vie sociale de l’entreprise : comment vous utilisez la pissotière avec votre patron à côté de vous ? Bon, ce problème métaphysique ne nous concerne pas, nous les filles, sauf au bureau, au rez-de-chaussée, dans un même réduit, une toilette fermée, à côté, un lavabo et en face de celui-ci, l’urinoir qui donne en plein dans le bureau, ils pensent à quoi, les architectes ? Trêve de digressions, le livre en est rempli et c’est tentant… Chaque objet croisé par le narrateur, l’horodateur, la bouteille de lait, etc., vous deviendra familier.

Mon avis : si je n’ai pas rédigé cet article plus tôt, ce n’est pas parce que je n’ai pas aimé ce livre, mais qu’il m’a laissée perplexe… La quatrième de couverture parle d’auteurs de l’Oulipo (ouvroir de littérature potentielle), mais ce n’est pas du tout ça, ou alors, je suis nulle et n’ai pas trouvé la contrainte sous-jacente, comme dans la disparition de Pérec, un lipogramme en e (livre sans lettre e), ou à l’inverse, du même auteur, Les Revenentes, où toutes les voyelles sont des e. Ou encore le S+7 proposé par Raymond Queneau pour la Cigale et la fourmi devenue la cimaise et la fraction (chaque substantif est remplacé par le 7e qui le suit dans un dictionnaire donné). Une bonne partie des contraintes de l’oulipo se trouvent sur leur site, avec des exemples… Trêve de digression, revenons à La Mezzanine… Pas de contrainte, sauf pour le lecteur, les interminables notes qui peuvent couper le récit et se poursuivre comme une immense parenthèse sur plusieurs pages. Vous saurez tout sur les pailles en papier et leur avantage par rapport aux pailles en plastique, qui ont tendance à flotter dans les gobelets (très américain, vous buvez souvent à la paille, vous ?). Ou encore, une étude comparée des essuie-mains en papier et des souffleries pour les mains. Quant au style, cela faisait longtemps que je n’avais pas lu un livre contemporain rédigé entièrement au passé simple dans la bouche d’un narrateur à la première personne… Si vous voulez lire un livre inclassable, vous l’avez trouvé…

D’autres livres du même auteur : La Mezzanine est le premier livre de Nicholson Baker, beaucoup d’autres sont parus depuis, disponibles pour la plupart chez 10/18 domaine étranger. En 2009, un essai (Human Smoke) et un roman (Updike et moi) sont parus en traduction française chez Bourgeois éditeur. Si je tombe dessus à la médiathèque, je les lirai peut-être…