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Une connaissance inutile, de Charlotte Delbo

Couverture de Une connaissance inutile, de Charlotte DelboFrance Inter a rediffusé l’autre jour deux émissions de Zoé Varier de 2013 consacrées à . J’ai saisi l’occasion pour publier cet article rédigé il y a un moment mais que je gardai pour une série d’articles à venir… Après Le convoi du 24 janvier, La mémoire et les jours et Aucun de nous ne reviendra, j’ai continué ma lecture de avec la suite de ce dernier titre également trouvé à la médiathèque de Poitiers qui avait organisé une exposition Autour de Charlotte Delbo [voir aussi Mesure de nos jours].

Le livre : Auschwitz et après, II, Une connaissance inutile, de Charlotte Delbo, Editions de minuit, 1970 (réédition 2013), 186 pages, ISBN 9782707304026.

La quatrième de couverture:

Une connaissance inutile est le troisième ouvrage de Charlotte Delbo sur les camps de concentration. Après deux livres aussi différents par leur forme et leur écriture que Aucun de nous ne reviendra et Le convoi du 24 janvier, c’est dans un autre ton qu’on lira ici Auschwitz et Ravensbrück On y lira plus encore une sensibilité qui se dévoile à travers les déchirements. Si les deux précédents pouvaient apparaître presque impersonnels par leur dépouillement, dans celui-ci elle parle d’elle. L’amour et le désespoir de l’amour – l’amour et la mort ; l’amitié et le désespoir de l’amitié – l’amitié et la mort ; les souffrances, la chaleur de la fraternité dans le froid mortel d’un univers qui se dépeuple jour à jour, les mouvements de l’espoir qui s’éteint et renaît, s’éteint encore et s’acharne…

Mon avis: dans ce volume, Charlotte Delbo revient sur son arrestation, la détention à la prison de la Santé, l’adieu aux hommes qui seront fusillés (ceux qui ont mené l’attentat du 21 mai 1942 au 4 rue de Buci), le séjour à Romainville, le trajet, Auschwitz-Birkenau, le kommando de Rajsko, l’évacuation à Ravensbruck. Curieusement, elle ne parle pas de la montre qu’elle a réussi à garder et qui fut d’un grand soutien pour ses co-détenues du convoi du 24 janvier, épisode dont parle , la mère de , dans Convoi vers l’est, où elle aborde aussi les pièces de théâtre montées au fort de Romainville. La phase la plus dure, celle des premiers mois à Auschwitz-Birkenau, est assez rapidement abordée. Le livre est partagé en chapitres courts, en prose ou en vers (très agréables à lire malgré le sujet), qui chacun rapportent un événement : la soif, qui se termine par l’absorption d’un seau complet grâce à ses co-détenues, les maladies, le quartier des malades (Revier), la mémorisation des dates de décès des compagnes du convoi, la procuration d’un tube de dentifrice (grâce à une jeune juive affectée aux Effekts, c’est-à-dire au tri des affaires des déportées exterminées, en court sursis, vêtues d’habits civils et non de la tenue rayée, mieux nourries). Le kommando de Rajsko, où était expérimenté l’acclimatation de plantes, où un petit groupe finit par se retrouver grâce à l’une d’elles, chimiste, est largement développé, avec ce qui a permis de survivre plus facilement, Eva, chargée de dessiner les plantes, façon planches botaniques, et qui représente aussi des fleurs, un ubuesque noël 1942 où françaises et polonaises ont réussi à organiser un « festin » (avec cigarettes et bières volées ici et là), le montage du malade imaginaire (avec décor et costumes après avoir reconstitué le texte), l’évacuation vers Ravensbrück, par un train ordinaire de voyageur, l’occasion non saisie d’évasion à Berlin, la vie à Ravensbrück avec le « commerce » organisé par les tsiganes, le retour par la Suède. Au passage, quelques phrases ici et là montrent, par des exemples pris dans la guerre du Vietnam (livre publié en 1960), que le « plus jamais ça » n’est qu’une illusion. Un témoignage à lire absolument!

Pour aller plus loin:

Voir le site de l’Association « Les Amis de Charlotte Delbo »

Revoir mon article sur l’exposition Autour de Charlotte Delbo à Poitiers, les mots-clefs ci-dessous et notamment ceux sur les , et plus largement sur la … Revoir aussi L’empereur d’Atlantis, un opéra écrit dans un camp de concentration de Terezin, écrit par Viktor Ullmann avec un livret de Peter Kien, et de nombreux liens dans mon article sur Parce que j’étais peintre de Christophe Cognet, sur la peinture dans les camps de concentration.

Quelques pistes de lecture:

Le convoi du 24 janvier, La mémoire et les jours, Aucun de nous ne reviendra, Une connaissance inutile, Mesure de nos jours, de Charlotte Delbo

Les naufragés et les rescapés de Primo Levi

– Maus, de Art Spiegelman, tome 1 : mon père saigne l’histoire, et tome 2 : Et c’est là que mes ennuis ont commencé, témoignage en bande dessinée sur la déportation de ses parents

Le wagon d’Arnaud Rykner, histoire d’un convoi parti de Compiègne pour Dachau

La vie en sourdine de David Lodge, roman où il aborde un voyage à Auschwitz-Birkenau

Le fils de Saul de László Nemes

Affiche de Le fils de Saul de László NemesEn rédigeant l’article sur les César 2016, je me suis aperçue que je ne vous avais pas parlé du Fils de Saul de László Nemes, que j’avais vu lors de sa sortie. Comme certaines salles l’ont ressorti, je vous fais comme même un court avis…

Le film : en octobre 1944, dans le camp d’Auschwitz-Birkenau. Les Sonderkommando sont des prisonniers juifs isolés des autres, chargés des chambres à gaz et des fours crématoires, jouissant d’une certaine autonomie et d’une vie moins dure… jusqu’à être à leur tour éliminés. Parmi eux, Saul Ausländer [Géza Röhrig] tente de survivre et d’échapper à la prochaine « sélection » (de ceux qui seront éliminés). Un jour, un jeune garçon n’est pas mort après le gazage, il est emporté par le médecin qui va tenter de voir pourquoi il a survécu… avant de l’éliminer. Saul croit reconnaître en lui son fils, va tout tenter pour trouver un rabbin et procéder à des obsèques dans le camp en le faisant échapper au four crématoire.

Mon avis : même si certains détails ne collent pas toujours avec l’Histoire (pour cela, il y a les documentaires, les travaux historiques, les témoignages, suivre les liens sur les mots-clefs en fin d’article…), ce film poignant n’est pas un film sur les camps de concentration, ni même sur les camps voisins d’Auschwitz et Birkenau. Il permet d’en toucher l’organisation, la dureté, les trafics internes aussi, mais c’est avant tout un film sur le mode de survie d’un père, comment il se rattache à l’amour de son fils, même d’un fils qu’il croit reconnaître, même d’un fils mort, sauver l’âme de ce fils (trouver un rabbin et l’enterrer en disant le kaddish) pour tenter de survivre lui-même, de trouver ne serait-ce que quelques jours un sens à sa vie, quitte à la mettre en danger, ainsi que celles de ses compagnons de douleur. Par le choix de l’immersion au sein du Sonderkommando, par la manière de filmer au cœur du groupe, dans le bruit du camp, le spectateur ressent presque la chaleur étouffante et la puanteur qui s’échappe des fours crématoires. Un film à voir absolument!

Le labyrinthe du silence de Giulio Ricciarelli

Affiche de Le labyrinthe du silence de Giulio RicciarelliilenceWeek-end pourri, week-end cinéma…. Je n’ai pas eu le courage d’aller au marché aux fleurs de Saint-Benoît, près de Poitiers, avec la fin du trajet à faire en navette (départ toutes les 20 minutes pour un trajet de quelques minutes, environ 20 minutes si on le fait à pied…). Le premier film que j’ai vu est Le labyrinthe du silence de Giulio Ricciarelli, je vous parle demain de Every thing will be find.

Le film : Francfort-sur-le-Main, 1958. Johann Radmann [Alexander Fehling] est un jeune procureur chargé des infractions routières, où il prête de l’argent à Marlène [Friederike Becht] pour l’aider à payer son amende. Un jour, un journaliste, Thomas Gnielka [André Szymanski] fait irruption au tribunal. Son ami, Simon Kirsch [Johannes Krisch] rescapé d’Auschwitz, a reconnu l’un de ses bourreaux dans la cour d’un collège.  Il souhaite le faire sinon juger, du moins suspendre… Mais rien ne se passe, les juges et procureurs veulent continuer à enterrer le passé, conformément aux souhaits d’Adenauer. Dans un souci de réconciliation nationale, tous les délits commis sont prescrits, seuls les crimes pourraient être jugés.  Le procureur général Fritz Bauer [Gert Voss] encourage Johann Radmann a aller plus loin. Né dans les années 1930, il n’a jamais entendu parler d’Auschwitz qu’il prend pour un camp de regroupement et il découvre peu à peu la réalité du camp d’extermination et de concentration. Seul, puis aidé d’un second procureur, Otto Haller [Johann von Bülow], il va plonger dans les archives nazies récupérées par les Américains, auditionner des dizaines de survivants grâce à l’association des rescapés d’Auschwitz, recueillir les témoignages pour arriver au procès après plusieurs années d’efforts…

Mon avis: le réalisateur et les scénaristes ont choisi de regrouper les trois procureurs du procès de Francfort en un seul, le jeune, beau et naïf Johann Radmann [Alexander Fehling], pour les 50 ans de ce procès (20 décembre 1963 – 19 août 1965). Si le film montre bien l’ignorance de sa génération sur ce qui s’est passé dans les camps d’exterminations et les camps de concentration, son histoire d’amour avec Marlène n’apporte rien au récit, si ce n’est d’introduire la question du père, celui de la fille réunissant chaque mois bruyamment et en beuverie ses « amis » (Radmann l’interroge sur la relation entre les atrocités commises par son régiment et l’alcool), celui de Radmann aussi, disparu sur le front de l’est, sorte de héros mythique jusqu’à ce qu’il découvre qu’il avait aussi été membre du parti nazi. Introduire ce personnage rend probablement le film plus vivant et surtout plus « incarné » que dans la réalité. Sinon, le film relate des faits réels et trace les contradictions de cette Allemagne de l’Ouest une quinzaine d’années après les faits, même les Américains conseillent de tourner la page, l’ennemi n’est pas l’ancien nazi mais le communiste soviétique (et Auschwitz se trouve en Pologne, près de Łódź, au-delà du mur). Seuls 150 nazis avaient été jugés à Nuremberg, par les alliés, ce sont les 20 mois du procès très médiatisé de Francfort, premier procès « de masse » mené par une accusation allemande, qui va permettre la prise de conscience de l’ampleur des crimes nazis dans la population, même si aucun des accusés ne les reconnaîtra, ils se présenteront comme de simples exécutants des ordres. L’épisode de la traque contre le Dr Mengele, le procureur solitaire contre de puissantes protections qui lui permettent de faire impunément des allers-retours entre l’Amérique du Sud et l’Allemagne, est également romancé mais inspiré de la réalité, de même que la remise de documents au Mossad (les services secrets israéliens) qui aboutiront à l’arrestation et le jugement en Israël d’Adolph Eichmann (jugé en 1961, exécuté en 1962, avant l’ouverture du procès de Francfort en 1963). Si chez nous on présente le procès d’Oskar Gröning, à Lunebourg, comme le procès du comptable d’Auschwitz, ce n’est pas pour son travail de « comptable », affecté aux registres et à la gestion des objets récupérés sur les déportés, qu’il est jugé, mais pour avoir au moins une fois participé à une « sélection » et donc pour « complicité de 300 000 meurtres aggravés », le droit allemand a évolué depuis le procès de Francfort où seuls pouvaient être condamnés ceux qui avaient directement causé la mort d’au moins un prisonnier, sur les 22 accusés, 5 furent acquittés faute de preuves (11 condamnés à la prison à vie, 6 à des peines inférieures).

Le film parle d’ comme un tout, sans évoquer la complexité de ce camp, entre camp d’extermination (ceux qui sont « sélectionnés » dès l’entrée pour aller au four crématoire à Birkenau, le camp des femmes dont le nom n’est jamais prononcé), et camps de travail au pluriel, à Auschwitz, à Birkenau (moins de 2 km d’écart) et dans les camps « annexes » dont il est tant question dans les livres de témoignages et récits de , déportée à Auschwitz-Birkenau et son annexe de Rajsko, voir notamment Aucun de nous ne reviendra, Le convoi du 24 janvier, La mémoire et les jours.

Pour aller plus loin : suivre mes mots clefs sur les camps de concentration et particulièrement sur . Pour le Dr Mengele, lire sa biographie résumée d’un point de vue éthique dans Hippocrate aux enfers, de Michel Cymes.

Hippocrate aux enfers, de Michel Cymes

Couverture de Hippocrate aux enfers, de Michel CymesAlors que les 70 ans de la libération des camps de concentration sont discrètement célébrés (à part celle d’Auschwitz et Birkenau en janvier 2015 et l’ouverture du Musée de l’Histoire des Juifs Polonais / Muzeum Historii Żydów Polskich ou Polin à Varsovie en octobre 2014), Michel Cymes, dont les deux grands-pères ont été exécutés dans les camps, se penche sur l’aspect éthique des médecins nazis.

Le livre : Hippocrate aux enfers, les médecins des camps de la mort, de Michel Cymes, éditions Stock, 2015, 214 pages, ISBN 9782234078031.

L’histoire : quelques mois après le grand procès de Nuremberg avait lieu le procès des médecins, où un certain nombre étaient absents (en fuite, suicidés, bien protégés par l’industrie pharmaceutique ou récupérés par les armées alliées). L’auteur revient, par de courtes biographies, sur les « travaux » des plus terribles d’entre eux, autorisés ou encouragés par Himmler, la « sélection » des cobayes humains dans les camps de concentration: Sigmund Rascher et Wilhem Beiglböck à Dachau, Aribert Heim à Mauthausen, August Hirt au Struthof, Josef Mengele et Carl Clauberg à Aushwitz et Birkenau, Herta Oberheuser à Ravensbrück.

Mon avis: on a beaucoup parlé de ce livre ces dernières semaines pour la réaction de l’université de Strasbourg (voir plus bas). Le livre est surtout une synthèse claire sur les expérimentations nazies et l’analyse qui montre que ces « recherches » n’avaient rien d’éthique (non consentement des « patients », recherches inutiles), et tout du sadisme. Les derniers chapitres montrent comment les armées américaine, alliées et russe, mais avec moins d’exemples, ont récupéré certains d’entre eux ou une partie des travaux ou hypothèses posées (sur les hautes altitudes), le rôle actif des firmes pharmaceutiques dans la fuite ou l’embauche après libération (anticipée) de certains de ces médecins… Rien de très neuf pour qui connaît un peu le sujet, mais une synthèse de travaux antérieurs qui a le mérite d’être claire et grand public. Je regrette que ne soit pas mentionnés les portraits de tziganes de Dinah Gottliebova réalisés à la « demande » du Dr Mengele juste avant qu’il ne les exécute…

Michel Cymes expose un témoignage (déformé selon son auteur?), selon lequel des pièces anatomiques « collectées » par August Hirt sur les 96 prisonniers qu’il a fait spécialement exécutés au camp voisin du Struthof auraient encore pu s’y trouver en 1970 et ne pas avoir toutes été enterrées au cimetière juif de Cronenbourg avec les restes des corps retrouvés dans les cuves de l’institut d’anatomie. Il a dû insister pour pouvoir visiter les lieux… sans rien y trouver. Si l’université avait vraiment joué la transparence et pu apporter des réponses convaincantes, et si elle avait abordé la question avec une vraie enquête indépendante plutôt que dans la polémique, ce débat n’aurait pas lieu d’être. Cette université n’a apposé une plaque commémorative sur la tragédie qui s’est passée dans ses murs qu’en 2005 et semble avoir un sérieux problème de relation à son histoire… Pour clore le débat, elle pourrait peut-être rendre public (ou à un collège d’historiens et d’anatomistes plus apte à en faire la synthèse) les constatations faites au moment de l’inhumation des corps et des pièces anatomiques qui ont été expertisées et définitivement clore cet épisode qui fait partie de son histoire : August Hirt a mené dans ces lieux des actes ignobles et voulu constituer une collection de pièces anatomiques de référence. [PS: le 19 juillet 2015, la ville de Strasbourg a annoncé que finalement, des bocaux contenant des restes humains issus de ces travaux ont bien été retrouvés à l’université de Strasbourg -un bocal et des éprouvettes- et seront remis à la communauté juive pour être inhumés avec les autres victimes du camp de Struthof. Raphaël Toledano, qui a travaillé sur les 86 victimes du Dr Hirt depuis des années, a pu les identifier grâce à une lettre/inventaire retrouvée récemment].

Pour aller plus loin, suivre le mot clef sur les camps de concentration, ou la sélection de liens suivants:

– Si c’est un homme et  Les naufragés et les rescapés, de Primo Levi,

– les témoignages et récits de , également déportée à Auschwitz, notamment Aucun de nous ne reviendra, Le convoi du 24 janvier, La mémoire et les jours,

– Maus, de Art Spiegelman, tome 1 : mon père saigne l’histoire, et tome 2 : Et c’est là que mes ennuis ont commencé, témoignage en bande dessinée sur la déportation de ses parents.

Lire La peinture à Dora de François Le Lionnais, mathématicien et co-fondateur de l’Oulipo,  déporté à Buchenwald et Mittelbau-Dora, un autre témoignage sur la manière de survivre.

Suivre les mots-clefs ci-dessous et notamment ceux sur les , et plus largement sur la … Revoir aussi L’empereur d’Atlantis, un opéra écrit dans un camp de concentration de Terezin, écrit par Viktor Ullmann avec un livret de Peter Kien, et de nombreux liens dans mon article sur Parce que j’étais peintre de Christophe Cognet, sur la peinture dans les camps de concentration.

Dans les prochaines semaines, je vous montrerai les différents monuments commémoratifs des camps de concentration au cimetière du Père-Lachaise, dont plusieurs pour Auschwitz et ses différents camps annexes (la tombe de Jean-Richard Bloch est juste à côté du monument aux déportés à Auschwitz-Birkenau).

Les naufragés et les rescapés, de Primo Levi

Couverture de Les naufragés et les rescapés, de Primo Lévi

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Primo Levi a écrit ce livre 40 ans après la libération des camps, aujourd’hui, 27 janvier 2015, nous sommes juste 70 ans après l’entrée des Russes dans les camps d’Auschwitz et Birkenau. Primo Levi (revoir Si c’est un homme) faisait partie des quelques centaines de déportés malades qui n’avaient pas été « évacués » pour la grande marche dans laquelle la plupart des 58.000 déportés sont morts. Il ne rentre chez lui à Turin que le 9 octobre 1945, après presque 10 mois d’errance en Europe de l’Est. Je l’ai emprunté à la médiathèque.

Le livre : Les naufragés et les rescapés, quarante ans après Auschwitz, de Primo Levi, traduit de l’italien par André Maugé, collection Arcades, éditions Gallimard, 1989, 200 pages, ISBN 9782070715114.

La présentation de l’éditeur :

«C’est arrivé et tout cela peut arriver de nouveau : c’est le noyau de ce que nous avons à dire.»
Primo Levi (1919-1987) n’examine pas son expérience des camps nazis comme un accident de l’histoire, mais comme un événement exemplaire qui permet de comprendre jusqu’où peut aller l’homme dans le rôle du bourreau ou dans celui de la victime.
Quelles sont les structures d’un système autoritaire et quelles sont les techniques pour anéantir la personnalité d’un individu ? Quel rapport sera créé entre les oppresseurs et les opprimés ? Comment se crée et se construit un monstre ? Est-il possible de comprendre de l’intérieur la logique de la machine de l’extermination ? Est-il possible de se révolter contre elle ?
Primo Levi ne se borne pas à décrire les aspects des camps qui restaient obscurs jusqu’aujourd’hui, mais dresse un bilan pour lutter contre l’accoutumance à la dégradation de l’humain.

Mon avis: Les naufragés et les rescapés est un livre très fort, peut-être plus pour moi que Si c’est un homme. Il retrace ici tout son parcours dans les camps, comment il a échappé à la « sélection », passé une sorte « d’examen » qui a confirmé qu’il était bien chimiste et lui a permis d’intégrer le Kommando de Monowitz, un camp annexe affecté à la construction d’une usine de caoutchouc synthétique appartenant à IG Farben, la Buna. La violence inutile, comme la mise à nu, le rasage et le tatouage, servent à déshumaniser le prisonnier, mais un semblant de société réussit néanmoins à se reconstituer. Il explore surtout la « zone grise », celle où il est impossible de classer un homme parmi les « gentils » ou les « méchants ». Une zone où parmi les prisonniers, certains luttent pour leur survie en sacrifiant quelqu’un d’autre, où certains gardiens se font moins durs. Le rapport gardien / prisonnier, la hiérarchie établie par l’administration même du camp sont analysés avec beaucoup de recul. Les prisonniers « privilégiés » (affectation à certains Kommandos, responsables de telle ou telle tâche) ont plus de chance de s’en sortir. Il explique que si sa faible constitution physique et son absence d’expérience des travaux manuels étaient un désavantage dans les premiers jours, sa position d’intellectuel lui a sauvé la vie. A travers son exemple et celui de quelques-uns de ses compagnons de déportation, Primo Levi expose pourquoi certains avaient plus de chances de survivre: ce sont ceux qui avaient la plus grande capacité d’adaptation, le plus d’abnégation pour surnager au-dessus des autres, réussir à garder sa cuiller (ou la voler à son tour s’il en est privé), son matériel au fil des jours, à jongler entre travail et « infirmerie ». Un livre, son dernier, écrit avec du recul et riche en analyse.

Pour aller plus loin:

Outre Si c’est un homme de Primo Levi, voir aussi

– les témoignages et récits de , également déportée à Auschwitz, notamment Aucun de nous ne reviendra, Le convoi du 24 janvier, La mémoire et les jours,

– et Maus, de Art Spiegelman, tome 1 : mon père saigne l’histoire, et tome 2 : Et c’est là que mes ennuis ont commencé, témoignage en bande dessinée sur la déportation de ses parents.

Lire La peinture à Dora de François Le Lionnais, mathématicien et co-fondateur de l’Oulipo,  déporté à Buchenwald et Mittelbau-Dora, un autre témoignage sur la manière de survivre.

Suivre les mots-clefs ci-dessous et notamment ceux sur les , et plus largement sur la … Revoir aussi L’empereur d’Atlantis, un opéra écrit dans un camp de concentration de Terezin, écrit par Viktor Ullmann avec un livret de Peter Kien, et de nombreux liens dans mon article sur Parce que j’étais peintre de Christophe Cognet, sur la peinture dans les camps de concentration.

Dans les prochaines semaines, je vous montrerai les différents monuments commémoratifs des camps de concentration au cimetière du Père-Lachaise, dont plusieurs pour Auschwitz et ses différents camps annexes (la tombe de Jean-Richard Bloch est juste à côté du monument aux déportés à Auschwitz-Birkenau).

Yossel, 19 avril 1943, de Joe Kubert

pioche-en-bib.jpgCouverture de Yossel, 19 avril 1943, de Joe KubertMardi (28 octobre 2014) a été inauguré à Varsovie le Musée de l’Histoire des Juifs Polonais (Muzeum Historii Żydów Polskich) ou Polin, dans le quartier qui a succédé à l’ancien ghetto, l’occasion pour moi de vous parler de cet album découvert chez Yaneck / Les chroniques de l’invisible. Je n’avais aucune chance de le trouver « par hasard » dans les bacs de la médiathèque, vu qu’il est « enterré à la réserve », ce qui est dommage…

Le livre: Yossel, 19 avril 1943, de Joe Kubert, traduit de l’anglais par Anne Capuron, éditions Delcourt, 2003, 121 planches, ISBN 978-2847896695.

L’histoire: 19 avril 1943, terrés dans les égouts, les derniers survivants du ghetto de Varsovie attendent l’assaut final. Yossel, un jeune adolescent, dessine et dessine encore. Retour quelques années en arrière, en 1939. La vie n’est pas facile pour la famille de Yossel, à Yzeran près de Varsovie. Un jour, ils sont regroupés avec d’autres juifs et envoyés dans le ghetto de Varsovie. Yossel, repéré par les nazis, dessine pour eux jour après jour. Ceux-ci n’ont même pas à faire la sélection, le Conseil des Anciens s’en charge, sourd aux avertissements, persuadés que les gens partent dans un camp de travail. Un jour, un rabbin est envoyé avec eux à Auschwitz, affecté aux Sonderkommandos puis aux Fours crématoires. Il réussit miraculeusement à s’échapper, revenir dans le ghetto, témoigner. Errant, il rencontre Yossel, raconte son histoire, tente de convaincre les gens pour le soulèvement du ghetto…

Une double page de Yossel, 19 avril 1943, de Joe KubertMon avis: contrairement à Art Spiegelman (Maus, un survivant raconte : tome 1 : mon père saigne l’histoire ; tome 2 : Et c’est là que mes ennuis ont commencé), Joe Kubert n’est pas le fils de l’un de ces déportés dont il raconte la (sur)vie. Il est né en 1926 de parents qui ont réussi à fuir la Pologne alors que sa mère était enceinte de lui. Arrivé à l’âge de deux mois à New-York, il explique dans son introduction qu’il a écrit ce roman graphique à partir de documentation et de témoignages, sans s’être rendu sur place, et son choix de laisser l’album au crayonné, sans procéder à son encrage, et en se libérant de la contrainte des cases. Cela donne une impression de spontanéité, mais donne parfois un dessin chargé, surtout qu’il y a un texte dense dans les phylactères.  Un roman graphique qui mérite son nom, roman, même s’il se base en grande partie sur des faits réels. Un peu comme un roman historique. Et qui au-delà, aborde la question de la survie (de Yossel grâce à ses dessins, du Sonderkommando, rabbin qui finit par ne plus croire en Dieu) et insiste sur le rôle clef du Conseil des Anciens dans la soumission du ghetto et l’envoi des « sélectionnés » aux camps… A découvrir, et pour la médiathèque de Poitiers, ça serait une bonne idée de le sortir de la réserve, que des lecteurs puissent « tomber dessus » par hasard, en cherchant de la lecture dans les bacs.

Logo top BD des bloggueurs Cette BD sera soumise pour le classement du TOP BD des blogueurs organisé par Yaneck / Les chroniques de l’invisible. Mes chroniques BD sont regroupées dans la catégorie pour les BD et par auteur sur la page BD dans ma bibliothèque.

Mesure de nos jours de Charlotte Delbo

Couverture de Mesure de nos jours de Charlotte Delbo

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Après Le convoi du 24 janvier, La mémoire et les jours, Aucun de nous ne reviendra et Une connaissance inutile, je continue ma lecture de Charlotte Delbo avec la suite de ce dernier titre également trouvé à la médiathèque de Poitiers qui avait organisé une exposition Autour de Charlotte Delbo.

Le livre : Auschwitz et après, III, Mesure de nos jours, de Charlotte Delbo, Editions de minuit, 1971 (réédition 2013), 186 pages, ISBN 9782707304034.

La quatrième de couverture:

Et toi, comment as-tu fait ? pourrait être le titre de ce troisième volume de Auschwitz et après. Comment as-tu fait en revenant ? Comment ont-ils fait, les rescapés des camps, pour se remettre à vivre, pour reprendre la vie dans ses plis ? C’est la question qu’on se pose, qu’on n’ose pas leur poser. Avec beaucoup d’autres questions. Car si l’on peut comprendre comment tant de déportés sont morts là-bas, on ne comprend pas, ni comment quelques-uns ont survécu, ni surtout comment ces survivants ont pu redevenir des vivants. Dans Mesure de nos jours, Charlotte Delbo essaie de répondre, pour elle-même et pour d’autres, hommes et femmes, à qui elle prête sa voix.

Mon avis: comme dans les précédents volumes, Aucun de nous ne reviendra et Une connaissance inutile, le texte de Charlotte Delbo est très agréable à  lire, avec une majorité en prose mais aussi quelques textes en vers. L’ensemble est écrit à la première personne, mais chaque chapitre rapporte le témoignage du retour des déportées, pour la plupart des co-détenues du Convoi du 24 janvier, comment elles se sont réinsérées ou pas dans la vie, la maladie, la faiblesse des indemnités, surtout pour celles qui n’ont pas été reconnues comme résistantes, celles et ceux qui ont été entourés au retour, mais aussi ceux dont le retour n’était pas attendu, avec des proches qui avaient parfois refait leur vie. Certaines reviennent sur leur arrestation, les interrogatoires, le séjour à Drancy ou à Romainville, beaucoup sur la difficulté à revenir dans la vie « ordinaire », la difficulté de « parler de là-bas ». Le retour à Auschwitz (Birkenau et Rajsko) ou à Ravensbrück, des années plus tard, permettra a certaines de trouver un sens à leur vie, si c’est possible, en s’engageant dans la transmission de la mémoire. Les bombardements qui les ont accompagnés lors des transferts de camps en camps, le trajet du retour, par la Suède en bus puis en avion ou en train, l’arrivée à Paris n’ont pas marqué la fin des souffrances. Il y a aussi quelques témoignages de déportés ne faisant pas partie de ce convoi, comme Jacques, soupçonné au retour d’avoir dénoncé son groupe et qui a vécu un vrai calvaire à Angoulême malgré sa réhabilitation tardive. La déportation fut terrible, mais le retour tant espéré (voire « fantasmé » pour réussir à tenir) rarement un long fleuve tranquille… Un témoignage à découvrir, lire, partager!

Pour aller plus loin:

Voir le site de l’Association « Les Amis de Charlotte Delbo »

Revoir mon article sur l’exposition Autour de Charlotte Delbo à Poitiers, les mots-clefs ci-dessous et notamment ceux sur les camps de concentration, et plus largement sur la deuxième guerre mondiale… Revoir aussi L’empereur d’Atlantis, un opéra écrit dans un camp de concentration de Terezin, écrit par Viktor Ullmann avec un livret de Peter Kien, et de nombreux liens dans mon article sur Parce que j’étais peintre de Christophe Cognet, sur la peinture dans les camps de concentration.

Quelques pistes de lecture:

Aucun de nous ne reviendra, Le convoi du 24 janvier, La mémoire et les jours de Charlotte Delbo

– Maus, de Art Spiegelman, tome 1 : mon père saigne l’histoire, et tome 2 : Et c’est là que mes ennuis ont commencé, témoignage en bande dessinée sur la déportation de ses parents

Le wagon d’Arnaud Rykner, histoire d’un convoi parti de Compiègne pour Dachau

La vie en sourdine de David Lodge, roman où il aborde un voyage à Auschwitz-Birkenau

Derrière les lignes ennemies, de Marthe Cohn

Couverture du livre Derrière les lignes ennemies, une espionne juive dans l'Allemagne Nazie de Marthe Cohn

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Le 5 septembre 1944, Poitiers était libérée. J’ai choisi de vous parler d’un livre plus ou moins dans le thème.

Il y a quelques semaines, je vous ai parlé du témoignage de Marthe Cohn, après la projection gratuite en avant-première du documentaire « Jean-Richard Bloch, la vie à vif« , un intellectuel engagé et témoin de son époque sur France 3, réalisé par Marie Christiani et co-produit par France 3 Poitou-Charentes et Anekdota production (voir La Mérigot(t)e à Poitiers, résidence de l’écrivain Jean-Richard Bloch) et la mise en place à l’hôtel de ville d’une plaque en hommage à Raymond Charpentier dont l’inauguration avait été  reportée. Depuis a aussi été inaugurée à la médiathèque l’exposition Une fenêtre sur le monde, Jean-Richard Bloch à la Mérigotte, avec un programme de conférences en septembre et octobre. J’ai trouvé le livre dans l’édition de 2005 (la couverture ci-dessus est celle de la réédition) à la médiathèque.

Le livre: Derrière les lignes ennemies, une espionne juive dans l’Allemagne Nazie, de Marthe Cohn, traduit de l’anglais par Hélène Prouteau, éditions Plon, 2005 (rééd. 2009 chez Tallandier), 311 pages, ISBN 9782259196586. Paru en 2002 aux États-Unis, Behind Enemy Lines The true story of a French Jewish Spy in Nazi Germany.

Le livre :  1940. La famille Hoffnung a fui Metz, les uns sont à Limoges, les autres à Poitiers. Les parents de Marthe montent un commerce en ville, mais très vite, elle passe en zone occupée, les lois de Vichy les obligent à des humiliations puis à la fermeture. Marthe, qui a un temps travaillé à la mairie, doit quitter son emploi. Elle arrive à entrer dans une école d’infirmières, tombe amoureuse de Jacques Delaunay, étudiant en médecine. Après l’arrestation de son père (vite libéré) et de sa sœur aînée (internée au camp de la route de Limoges, décédée à Auschwitz), elle organise la fuite de la famille (sept personnes) en zone libre par Saint-Secondin en août 1942 après  sa sœur Stéphanie est arrêtée, internée au camp de la route de Limoges. Marthe retourne en zone occupée, mais Jacques est arrêté, exécuté. Engagée dans l’armée de Libération, par hasard, la hiérarchie apprend qu’elle parle parfaitement allemand, par la Suisse, elle est envoyée en Allemagne, afin de mener des actions de renseignements et de démoraliser les troupes avec qui elle arriverait à entrer en contact.

Mon avis: comme les auditeurs de son témoignage à Poitiers ou ceux de ses multiples interventions ont pu le remarquer (voir à Metz en 2012), Marthe Cohn, née Marthe Hoffnung-Gutglück, alerte et toute petite dame de 94 ans (née en 1920 à Metz), a le sens du récit, à la limite de l’épopée dans ce livre. Elle raconte sur un ton badin ses mésaventures, présente comme un hasard la réussite de la fuite de la famille, ses difficultés pour passer de Suisse en Allemagne, et pourtant, c’est bien pour des exploits qu’elle a reçu de multiples décorations (Croix de guerre en 1945, Médaille militaire en 1999, Chevalier de la Légion d’honneur en 2004, Médaille de reconnaissance de la Nation en 2006). D’un point de vue littéraire, j’ai quelques réserves sur ce livre, mais il s’agit d’un témoignage intéressant et poignant.

Poitiers, lycée Victor Hugo, plaques commémoratives pour les élèves victimes de la deuxième guerre mondialePour les Poitevins, ils y découvriront un témoignage sur la vie sous l’occupation, les réfugiés de l’est, parmi lesquels le rabbin Bloch, dont le nom de la fille Myriam figure sur la liste des victimes ainsi que sur l’une des plaques commémoratives des déportées du lycée Victor-Hugo, les soutiens, modestes ou remarquables, le rôle de Raymond Charpentier, qui a fourni les papiers à toute la famille, les visites possibles au camp de la route de Limoges, le réseau de médecins résistants, au premier rang desquels Joseph Garnier. On y lit aussi une version de l’assassinat du Dr Michel Guérin, collaborateur (éditorialiste du journal L’Avenir de la Vienne sous la signature de Pierre Chavigny, il avait accueilli à Poitiers, en avril 1942, Jacques Doriot, de retour du front russe sous l’uniforme allemand), le 13 mai 1943, mené par un groupe de 5 étudiants dont Jacques [son fiancé] et Marc Delaunay (voir le dossier des archives départementales de la Vienne) et qui ont été fusillés au Mont-Valérien (pour d’autres faits découverts entre-temps) le 6 octobre 1943.

Pour aller plus loin: voir le nouveau portail Territoires et Trajectoires de la Déportation des Juifs de France, qui recense les trajectoires des enfants juifs déportés.

Mme Odile Teyssendier de la Serve, née De Morin, élève infirmière, camarade de Marthe Cohn, qui a hébergé la famille Hoffnung-Gutlück la veille de sa fuite, a reçu à titre posthume la médaille des justes. Noël Degout, de Dienné, qui a aidé les frères aînés de Marthe, a également un dossier (incomplet) de Juste parmi les Nations.

La mémoire et les jours de Charlotte Delbo

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Couverture de La mémoire et les jours de Charlotte DelboAvant de programmer de nouveaux articles, il faut que je fasse quelques mises à jour de WordPress… Comme je souhaite ajouter pas mal de photographies à l’article sur Poitiers initialement programmé pour aujourd’hui (suite à une invasion massive d’ovins en ville hier), je le reporte à demain, histoire de répartir mon temps possible sur ordinateur (ça va mieux mais je ne peux pas abuser de la vue fine) à faire les mises à jour de wordpress et de traiter mes photographies… tout en profitant un peu du soleil s’il n’y a pas trop de vent!

Après l’exposition Autour de Charlotte Delbo à Poitiers et la lecture de Aucun de nous ne reviendra et Le convoi du 24 janvier, j’ai choisi de poursuivre la découverte de Charlotte Delbo avec La mémoire et les jours, trouvé à la médiathèque [la suite en fin d’article].

Le livre: La mémoire et les jours de Charlotte Delbo, éditions Berg international, 1985, 138 pages, ISBN 2900269415 (le texte a été réédité en 1991 puis en 2013 / ISBN 978-2900269411).

La quatrième de couverture:

Ces images d’Auschwitz enfouies dans la mémoire, les visages, les paroles d’autres « revenants », des récits entendus une seule fois et jamais oubliés, est-ce là une connaissance inutile à cette femme qui voyage, interroge et nous investit de son regard?

Ce regard porté sur notre histoire depuis la Deuxième Guerre mondiale, tisse une sorte de continuité logique entre le passé et le présent. Les événements relatés par une écriture chargée d’émotion, prennent un sens irrévocable. Cette connaissance devient alors indispensable.

Mon avis: ce livre rassemble plusieurs textes de Charlotte Delbo, en prose ou en rimes. La plupart évoquent la déportation (Rajsko / Raisco, Auschwitz, Birkenau, Ravensbrück, le retour, l’exil, Paris, la Suède, les Etats-Unis reviennent au fil des pages), mais pas tous, comme Les folles de mai (p. 95 et suivantes) qui parle  de la dictature en Argentine et des veuves de la place de Mai. Un autre texte, Kalavrita des mille Antigone aborde le massacre de Kalavrita le 13 décembre 1943 en Grèce (1300 hommes tués). Au fil des pages, elle évoque également la torture en Algérie, l’utilisation du napalm en Indochine, du massacre du 17 octobre 1961 à Paris, pour rappeler que le « plus jamais ça » n’est qu’un vœu pieux. Dans l’une des histoires du Tombeau du dictateur, en 1942 à Vienne, une infirmière (ou médecin?) attend dans un hôpital délabré l’arrivée d’une quarantaine de malades… en fait des amputés, qui seront expédiés probablement à la solution finale, alors que l’infirmière qui avait osé écrire à une famille pour donner des nouvelles est déportée à Ravensbrück. Varsovie présente en vers une rafle dans le ghetto. La succession de tableaux dresse un panorama terrible de la guerre et de ses méfaits, hier et aujourd’hui…

Pour aller plus loin:

Voir le site de l’Association « Les Amis de Charlotte Delbo »

Revoir mon article sur l’exposition Autour de Charlotte Delbo à Poitiers, les mots-clefs ci-dessous et notamment ceux sur les camps de concentration, et plus largement sur la deuxième guerre mondiale… Revoir aussi L’empereur d’Atlantis, un opéra écrit dans un camp de concentration de Terezin, écrit par Viktor Ullmann avec un livret de Peter Kien, et de nombreux liens dans mon article sur Parce que j’étais peintre de Christophe Cognet, sur la peinture dans les camps de concentration.

Quelques pistes de lecture:

Le convoi du 24 janvier, La mémoire et les jours, Aucun de nous ne reviendra, Une connaissance inutile, Mesure de nos jours, de Charlotte Delbo

– Maus, de Art Spiegelman, tome 1 : mon père saigne l’histoire, et tome 2 : Et c’est là que mes ennuis ont commencé, témoignage en bande dessinée sur la déportation de ses parents

Le wagon d’Arnaud Rykner, histoire d’un convoi parti de Compiègne pour Dachau

La vie en sourdine de David Lodge, roman où il aborde un voyage à Auschwitz-Birkenau

Le convoi du 24 janvier de Charlotte Delbo

Logo de pioché en bibliothèqueCouverture de Le convoi du 24 janvier de Charlotte DelboAprès l’exposition Autour de Charlotte Delbo à Poitiers et la lecture de Aucun de nous ne reviendra, j’ai choisi de poursuivre la découverte de Charlotte Delbo avec Le convoi du 24 janvier, trouvé à la médiathèque [depuis, j’ai aussi lu La mémoire et les jours, la suite en fin d’article].

Le livre: Le convoi du 24 janvier de Charlotte Delbo, éditions de Minuit, 1965, 303 pages, ISBN 2707316385.

La quatrième de couverture:

 » Venues de toutes les régions de France et de tous les horizons politiques, issues de toutes les couches sociales, représentant toutes les professions, d’âges mêlés mais où dominait la jeunesse, deux cent trente femmes quittaient Compiègne pour Auschwitz, à trois jours et trois nuits de train dans les wagons à bestiaux verrouillés, le 24 janvier 1943.
Sur deux cent trente, quarante-neuf reviendraient, et plus mortes que vives.
La majorité d’entre elles étaient des combattantes de la Résistance, auxquelles était mêlée la proportion habituelle de “ droit commun ” et d’erreurs judiciaires.
Nous disons “ proportion habituelle ” parce qu’il est apparu que deux cent trente individus constituaient un échantillon sociologique, de sorte que ce livre donne une image de tous les convois de déportés, montre tous les aspects de la lutte clandestine et de l’occupation, toutes les souffrances de la déportation. »

Mon avis: le livre s’organise en trois parties, une introduction d’une vingtaine de pages sur les conditions de l’arrestation, l’histoire reconstituée des 229 femmes du convoi (et un bref paragraphe sur la dernière, restée anonyme), et enfin des documents et des statistiques. Plusieurs amies rescapées ont aidé C. Delbo à reconstituer toutes ces histoires, qui s’accompagnait aussi d’un récolement avec les photographies anthropométriques faites à l’arrivée à Auschwitz-Birkenau (elles étaient présentées dans l’exposition Autour de Charlotte Delbo). Chacune des déportées, majoritairement des résistantes communistes, suivies des gaulistes, quelques femmes qui n’avaient rien fait et même deux délatrices. A Charlotte Dudach, Charlotte Delbo raconte son parcours à la première personne, elle qui est revenue en France en septembre 1941 alors qu’elle était en tournée en Argentine avec Louis Jouvet. Les parcours de ces 230 femmes, dont 49 sont revenues, sont variés, toutes se sont retrouvées au fort de Romainville, parties de Compiègne, destination Birkenau (et Auschwitz à 2 km pour l’anthropométrie), la quarantaine, les kommandos (sections de travail), le revier (Krankenrevier / quartier des malades, pour celles qui sont incapables de tenir debout avec le typhus, les œdèmes, etc.) dont l’on ressort assez rarement vivante, le block 25 de celles qui sont « sélectionnées » (pour la chambre à gaz), les appels interminables, une terrible course en février 1943, les coups, et pour celles qui survivront (Marie-Claude Vaillant-Couturier, Maria-Elisa Normann, une ingénieure chimiste amie de France Bloch-Sérazin, Geneviève Pakula, la mère de Claude Pauquet, etc.), nouvelle quarantaine, assouplissement des conditions d’internement à Rajsko (chauffage, pas d’appel interminable, quelques lettres et colis), puis évacuation avec des parcours qui vont les mener, selon les cas, à Ravensbrück, Mauthausen, les mines de sel de Beendorf, et pour certaines la mort dans des bombardements en déblayant des voies ferrées ou dans les bateaux de Lübeck. Elle parle aussi du difficile retour, les maladies et la fatigue récurrente, la difficulté à se faire reconnaître comme déportée résistante et pas comme victime civile, le manque de reconnaissance de la Nation, les pensions dérisoires. Reconstituer tous ces parcours a été un énorme travail pour Charlotte Delbo et ses amies, Hélène Bolleau, Cécile (Christiane Charua) et Lulu Thévenin (Geneviève Pakula a parlé de ces dernières dans Convoi vers l’est et souligné leur rôle dès le fort de Romainville), Madeleine Doiret, Hélène Fournier, Gilberte Tamisé, Marie-Elisa Nordmann, Hélène Avenin, Olga Wormser, pour établir un livre qui est un grand mémorial de ce convoi.

Pour aller plus loin:

Voir le site de l’Association « Les Amis de Charlotte Delbo »

Revoir mon article sur l’exposition Autour de Charlotte Delbo à Poitiers, les mots-clefs ci-dessous et notamment ceux sur les camps de concentration, et plus largement sur la deuxième guerre mondiale… Revoir aussi L’empereur d’Atlantis, un opéra écrit dans un camp de concentration de Terezin, écrit par Viktor Ullmann avec un livret de Peter Kien, et de nombreux liens dans mon article sur Parce que j’étais peintre de Christophe Cognet, sur la peinture dans les camps de concentration.

Quelques pistes de lecture:

Le convoi du 24 janvier, La mémoire et les jours, Aucun de nous ne reviendra, Une connaissance inutile, Mesure de nos jours, de Charlotte Delbo

– Maus, de Art Spiegelman, tome 1 : mon père saigne l’histoire, et tome 2 : Et c’est là que mes ennuis ont commencé, témoignage en bande dessinée sur la déportation de ses parents

Le wagon d’Arnaud Rykner, histoire d’un convoi parti de Compiègne pour Dachau

La vie en sourdine de David Lodge, roman où il aborde un voyage à Auschwitz-Birkenau