Archives par étiquette : suicide

Au nom de la terre, d’Édouard Bergeon

Ce dimanche, je suis allée voir, une histoire largement inspirée de celle du père du réalisateur, Édouard Bergeon, dont le père s’est suicidé en 1999 à Jazeneuil, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Poitiers.

L’histoire : 1974, ferme des Grands Bois, dans le Maine-et-Loire. Jacques Jarjeau [Rufus] transmet sa ferme à son fils, de retour d’un ranch aux États-Unis, c’est-à-dire qu’il lui vend les bâtiments et établit un contrat de fermage. 1996. Pour assurer la survie de l’exploitation, Pierre Jarjeau [ a gardé la culture (blé et autre) mais transformé l’élevage, abandonnant les moutons pour les chevreaux puis les poulets. Claire, sa femme [Veerle Baetens], assure la comptabilité, son fils Thomas [Anthony Bajon] souhaite devenir ingénieur et reprendre l’exploitation, sa fille [Yona Kervern] est encore un peu jeune pour penser à son avenir. Un seul ouvrier agricole, Mehdi [Samir Guesmi] semble l’aider faire tourner l’exploitation. Quand un incendie ravage l’un des hangars, l’équilibre économique déjà précaire de la ferme est rompu, il sombre dans la dépression…

Mon avis : Il a été beaucoup dit et écrit, dans les commentaires de la presse écrite, à la radio (et sans doute à la télévision, mais je la regarde peu), sur le réalisme par rapport au système productiviste, à la course en avant aux prêts par le Crédit agricole, à la main-mise des grosses coopératives devenues multinationales, où les coopérateurs (en principe les producteurs de base) n’ont plus leur mot à dire et qui fournissent, ici, le hangar et les machines de production, les poussins, les aliments et assurent la vente. Les acteurs sont excellents, le jeu de Guillaume Canet a été unanimement et je trouve à juste titre félicité partout, les autres acteurs ne doivent pas être oubliés, Rufus en père têtu et acariâtre, Veerle Baetens dans le rôle de l’épouse qui porte le fardeau économique de l’exploitation, et les deux enfants, Anthony Bajon et Yona Kervern, que l’on espère revoir dans d’autres films. Je voudrais revenir sur quelques points :

  • la place des parents, qui ont une petite retraite mais comptent sur le capital amassé au cours de leur vie et valorisé au fil des ans, avec la revente au(x) fils des terres et un fermage annuel qui peut s’avérer bien trop lourd, 1000 francs l’hectare, soit 78.000 francs par an, à rapporter au 700 francs la tonne de blé et au « minimum vieillesse ». Bon an mal an, le rendement du blé est autour de 80 quintaux (800 tonnes) par hectare. Cette place est encore moins abordée dans les reportages et les fictions (sur grand écran ou à la télévision) que le mal-être et le suicide des agriculteurs (1 par jour en moyenne en France) ;
  • la place de la femme des deux générations, la mère, bonne à tout faire du père, « collaboratrice » non rémunérée et donc probablement sans retraite du père ; la femme de l’agriculteur, qui a une double activité, comptable et gestionnaire des commandes et des stocks à la ferme (bénévole et non rémunérée) et comptable dans une banque, ce qui assure un revenu stable et fait « bouillir la marmite » au quotidien ;
  • l’inconscience par rapport au risque des pesticides, avec dans les scènes de 1996, l’adolescent et son père qui vident les bidons sans aucune protection dans les réservoirs ; l’adolescent qui s’amuse à passer sous la rampe qui distribue ces mêmes pesticides ; le médecin qui s’inquiète (sans trop insister) du tremblement de son patient
  • le modèle de production des poulets n’est pas le pire qui soit, ils sont ici élevés au sol et non entassés dans des cages ; un autre modèle est cependant possible, j’en avais un esquissé le contour en 2012, en espérant que les grosses coopératives agricoles qui sentent le vent des consommateurs tourner ne transposent pas leur modèle pourri aux exploitations nouvellement converties à l’agriculture biologique…

Je ne vais pas divulgâcher la fin du film en vous disant que le héros se suicide, je m’étais préparée à affronter cette scène, mais douze ans après le suicide de ma mère, je n’ai pas eu de problème…

De toutes mes forces, de Chad Chenouga

Ce week-end, je suis allée voir De toutes mes forces, réalisé par Chad Chenouga sur un scénario qu’il a co-écrit avec Christine Paillard. Il s’agit d’un film en grande partie autobiographique.

L’histoire : à Paris de nos jours. Nassim [Khaled Alouach] est élève en première ES dans un lycée parisien. De retour d’un week-end avec des copains, il trouve sa mère décédée, elle qui était droguée et au bord de la folie depuis longtemps. Overdose accidentelle ou suicide alors qu’il lui avait laissé un peu plus de médicaments que d’habitude? Personne ne veut lui répondre. Ses oncle et tante ayant refusé de l’accueillir chez eux, il est placé dans un foyer de banlieue, à 40 minutes de trajet de son lycée. Les relations sont tendues avec les éducateurs, la directrice Mme Cousin [Yolande Moreau] et ses nouveaux camarades cabossés par la vie. Il trouve un peu de réconfort avec Zawady [Jisca Kalvanda], élève en première année de médecine avec qui il échange la révision du concours contre des explications en mathématique… car au foyer, l’idée fixe des adultes est de l’inscrire dans un lycée professionnel plus proche du foyer et les autres résidents ne sont pas « intéressés » par les études.

Mon avis : Nassim doit faire face au déracinement, lui qui était complètement libre avec sa mère folle ne peut plus sortir comme il veut pour voir ses amis de lycée, se voit confisquer son téléphone portable (certes en punition pour avoir fait le mur), n’a pas de réponse sur la cause de la mort de sa mère (est-il involontairement responsable de son suicide ou s’agit-il d’une overdose accidentelle?) ni de prise en charge de son deuil difficile. Les foyers gérés par l’aide sociale à l’enfance diffèrent désormais beaucoup d’un département à l’autre. Il est probable qu’il en reste qui continuent à vouloir empêcher les enfants hébergés de choisir leur voie d’études, à faire du chantage au dossier personnel qui leur colle à la peau et les accompagne partout, mais qu’ils sont bien les seuls à ne pas pouvoir lire (la loi sur l’accès aux documents administratifs nominatifs devrait pourtant s’appliquer, même pour des mineurs)… Comme dans Divines, de Houda Benyamina, il y a dans ce film, outre Khaled Alouach, l’acteur principal omniprésent et très bon, et Jisca Kalvanda (l’étudiante en médecine), de jeunes acteurs qui font fonctionner ce film, tant parmi les amis du lycée parisien que parmi les jeunes du foyer. Les éducateurs ou les parents de l’un de ses camarades de classe ont des petits rôles, le seul rôle d’adulte un peu important revient à une Yolande Moreau tout ébouriffée, qui joue sur la corde raide entre la mère fouettard à quelques semaines de la retraite et la mère de substitution de ces adolescents paumés et/ou cabossés par la vie, même si elle ne se révolte pas contre le système. Il y a aussi quelques scènes très belles, comme les feuilles de papier enflammées qui volent dans la nuit… Allez voir ce film, mais plutôt si vous n’avez pas le cafard parce que je ne le trouve vraiment pas optimiste.

Corporate, de Nicolas Silhol

Ce week-end, je suis allée voir Corporate, de Nicolas Silhol.

Le film : de nos jours à Paris, dans un grand groupe, l’ESEN.  Depuis un peu plus d’un an, le directeur des ressources humaines du site parisien, Stéphane Froncart [Lambert Wilson], a embauché (pour 100.000€ annuels) Émilie Tesson-Hansen [Céline Sallette] à la tête des ressources humaines du service financier (environ 70 personnes). Après un stage de chiens de traîneaux dans les Alpes, ils ont repéré les 10% de personnes à faire partir de l’entreprise… de leur plein gré! Pas de licenciements, mais des offres de mutation, du harcèlement, il faut pousser ces salariés jusque là modèles à démissionner, le tout caché derrière une jolie appellation, « Ambition 2016 ». Bien que mis au placard, avec la photocopieuse, l’un des salariés, Didier Dalmat [Xavier de Guillebon], résiste, … Après avoir tenté d’avoir enfin un entretien avec Émilie, lors de la pause déjeuner, il se suicide en se jetant par une fenêtre du quatrième étage. L’entreprise lance un plan de communication (le suicide, c’est une affaire personnelle, dixit le responsable de la communication), le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) met en cause le plan de management et les évaluations, une inspectrice du travail [Violaine Fumeau] mène l’enquête alors qu’elle tente de se justifier aux yeux de ses collègues les plus proches, Vincent [Stéphane De Groodt] avec qui elle déjeune régulièrement et Sophie, sa secrétaire [Alice de Lencquesaing]… Émilie est en première ligne dans la recherche des responsabilités, sera-t-elle le fusible docile de son entreprise ou se révoltera-t-elle? Comment concilier vie professionnelle envahissante et vie familiale, alors  que son compagnon, Colin Hansen [Charlie Anson] a lâché son boulot londonien pour la suivre et s’occuper de leur petit garçon?

Mon avis : le scénario parle à la fois, d’un côté, du processus de harcèlement et de « management » agressif  et de l’autre côté, du rôle du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et l’inspection du travail. A peine esquissées en arrière-plan, par quelques allusions, les pressions menées par l’entreprise contre l’inspectrice du travail (plainte pour harcèlement et tentative de faire dé-saisir l’inspectrice du dossier) et une réunion de CHSCT assez peu réaliste, mais au moins, c’est un film qui montre ce type d’instance paritaire dont les patrons aimeraient souvent bien se débarrasser! Les représentants syndicaux dénoncent le plan « ambition 2016 », les méthodes d’évaluations individuelles et la « pro-activité » qui ont généré les souffrances au travail – plus facile dans ces conditions pour le patron de faire démissionner ceux qu’il a ciblés. Le film est littéralement porté par Céline Sallette, dans le rôle principal. Le plateau de « l’open space », les salles de réunion ou les bureaux individuels des « chefs » dans l’entreprise sont aussi aseptisés que la cuisine de l’appartement de la (sous-)DRH. Je vous recommande d’aller voir ce film, qui devrait figurer en bonne place pour lancer de plus amples débats lors du prochain festival Filmer le travail – au-delà de la projection organisée hier 10 avril 2017 au TAP-Castille avec le réalisateur et un ancien inspecteur du travail à laquelle je ne pouvais pas assister – même si ce festival privilégie les documentaires aux fictions.

Julieta de Pedro Almodóvar

Affiche de Julieta de Pedro AlmodóvarJe ne vais pas voir tous les films de Pedro Almodóvar, j’avais trouvé La piel que habito, adapté de Mygale de Thierry Jonquet, trop violent, je n’étais pas allée voir le suivant, Les amants passagers. Vous pouvez aussi relire mon avis sur Les étreintes brisées.

L’histoire : de nos jours à Madrid. Julieta [Emma Suárez] doit suivre Lorenzo, son compagnon [Dario Grandinetti] au Portugal lorsqu’elle croise Bea [Michelle Jenner] la meilleure amie d’enfance de sa fille Antía. Elle lui apprend qu’elle l’a croisée il y a peu près du lac de Côme, en Italie, mais ne sait pas que Julieta ne l’a pas vue depuis 13 ans, juste après sa majorité. Retour une trentaine d’années en arrière. Dans un train, alors qu’elle [Adriana Ugarte] va  remplacer un professeur de philosophie, l’homme qui s’était assis face à elle et auquel elle n’avait pas prêté attention se suicide… L’occasion de faire connaissance avec Xoan, marin-pêcheur [Daniel Grao] dont la femme est dans le coma depuis plusieurs années en Galice. A la fin de son contrat, elle va le rejoindre, entre Ava l’amie sculpteure [Inma Cuesta], Marian la bonne [Rossy de Palma], et bientôt leur petite fille, Antía…

Mon avis: sous des apparences parfois légères, portées par la belle musique d’Alberto Iglesias et Chavela Vargas, se cachent de lourds secrets (de famille et au-delà). Pourquoi Julieta ne voit-elle pas plus son père? De quoi souffre sa mère? Pourquoi se sent-elle si coupable du suicide d’un homme qu’elle n’a vu que quelques minutes? Quel rôle la bonne a vraiment joué dans le départ en mer de Xoan, alors que la tempête s’annonçait? Pourquoi Bea est-elle partie étudier aux États-Unis pour fuir Antía qu’elle qualifie, après-coup, de toxique? Pourquoi Antía a-t-elle à son tour fui Madrid? Le spectateur devra en partie trouver les réponses en écho avec sa propre vie. Il y a de très belles images, j’ai beaucoup aimé la maison de Xoan, léchée par la mer, l’arrivée dans les Pyrénées, la manière de filmer les visages… N’hésitez pas à aller le voir!

Les innocentes d’Anne Fontaine

Les innocentes d'Anne FontaineJe suis allée voir hier Les innocentes d’Anne Fontaine (revoir mon avis sur un de ses films précédents, La fille de Monaco).

L’histoire : en Pologne, en décembre 1945. Dans un hôpital temporaire de la Croix Rouge,  Mathilde Beaulieu [Lou de Laâge], fille d’ouvriers communistes, assiste Samuel [Vincent Macaigne], le chirurgien juif dont toute la famille a été décimée à Bergen-Belsen. Un jour, une jeune sœur d’un couvent de bénédictines vient chercher de l’aide : l’une des religieuses souffre en couches depuis 24 heures. Contre l’ordre établi (les Polonais doivent être aidés par la Croix-Rouge polonaise), elle finit par se rendre au couvent, pratique une césarienne avec les moyens du bord, avant d’apprendre que sept religieuses sont enceintes et sur le point d’accoucher, toutes ont été violées il y a 9 mois par des soldats soviétiques. La Mère supérieure [Agata Kulesza] lui fait jurer le silence, elle confiera l’enfant au village, il n’est pas question qu’elle revienne. Mais l’une des religieuses, Maria [Agata Buzek], promet de la faire entrer pour vérifier les suites de la césarienne. Au retour de cette deuxième visite, des soldats russes arrêtent son véhicule et entreprennent de la violer, arrêtés in-extremis par leur supérieur. Il ne la laisse cependant pas passer et elle doit retourner au couvent…

Mon avis : Anne Fontaine s’est inspirée de l’histoire de Madeleine Pauliac dont elle a eu connaissance par son neveu, qui détenait son journal intime. Elle mêle plusieurs thèmes, les viols commis par des soldats, les enfants abandonnés ou orphelins de guerre, la foi / les fois (catholique, juive, communiste?), l’occupation de la Pologne dans les mois qui suivent la Deuxième Guerre mondiale. La vision semble parfois un peu simplistes: les médecins soignent sans arrière-pensée, alors que dans le camp des religieuses, il y a certes la foi pour la quasi totalité (pas toutes), mais aussi le secret, l’infanticide, le suicide… pas très catholiques! Révéler le secret serait la mort du couvent, dont les biens sont convoités par le nouveau gouvernement communiste. La mère supérieure a cru bon de se débarrasser des premiers bébés en les confiants à Dieu (au pied d’un calvaire dans le froid de l’hiver polonais) plutôt qu’à une famille, mais elle est « punie » (je fais un raccourci qui me semble implicite dans le film) car victime d’une syphilis à un état avancé, qu’elle refuse de laisser soigner. Je trouve que ce film n’est cependant pas aussi fort que Ida, de Paweł Pawlikowski, qui abordait le thème d’une petite fille juive cachée dans un couvent polonais.

Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin

Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud DesplechinJe n’avais pas pu voir Trois souvenirs de ma jeunesse d’ (de ce réalisateur, revoir Jimmy P. et Un conte de Noël) lors de sa sortie en salle en mai 2015, séance de rattrapage donc à l’occasion du « festival télérama 2016 ».

Le film : de nos jours, Paul Dédalus [], anthopologue, la petite cinquantaine, rentre du Tadjikistan pour prendre un poste au ministère des affaires étrangères à Paris. Il se souvient de son enfance à Roubaix, de son père [Olivier Rabourdin], représentant de commerce souvent absent, de sa mère folle, abandonnant son petit frère Ivan et sa petite sœur Delphine, il se réfugiait alors chez sa tante, apprenant le russe avec l’amie de celle-ci… Il a 11 ans lorsque sa mère se suicide. Retour à la douane, son passeport coince, un homonyme est né le même jour que lui, au même endroit, vivait en Australie jusqu’à sa mort deux ans avant. Comment est-ce possible? Il avait 16 ans, un voyage scolaire à Minsk, avec son meilleur ami, il avait passé des documents à des juifs désireux de fuir l’URSS, il avait laissé son passeport… Trois ans plus tard, en 1989. Paul [Quentin Dolmaire] est étudiant pauvre à Paris, il couche où il peut, en auberge de jeunesse, chez d’autres étudiants, étudie comme un fou pour se faire accepter de la professeur Béhanzin [Eve Doe-Bruce]. Quand il a assez d’argent et qu’il pense que son père ne sera pas là, il rentre en week-end, retrouver Ivan [Raphaël Cohen], Delphine [Lily Taïeb], son cousin Bob [Teo Fernandez], ses copains, dont Kokalvki [Pierre Andrau] qui entame des études de médecine, jusqu’à ce qu’il rencontre Esther [Lou Roy Lecollinet]… lycéenne de 16 ans, qui couche avec tous les garçons du lycée. Commence une folle histoire d’amour…

Mon avis : Mathieu Amalric apparaît peu, mais le costume d’anthropologue lui va bien (cf Jimmy P., ethnologue psychanalyste). Claude Lévy-Strauss devient un auteur à connaître si l’on va voir un film d’Arnaud Desplechin. Comme dans Jimmy P. aussi, il y a en toile de fond la judaïté, le rapport aux religions (le frère catholique mystique, des scènes avec le curé dans l’enfance et l’adolescence, une discussion entre adolescent sur l’athéisme). Les trois souvenirs sont de longueur très inégales : l’enfance et le séjour en Russie doivent faire moins de 30 minutes à eux deux, Esther occupe quasiment la dernière heure et demie. La plus grande partie du film, c’est donc Quentin Dolmaire qui incarne le personnage complexe de Paul en étudiant pauvre sérieux qui ne sait pas comment parler aux filles. En face de lui, Esther / Lou Roy Lecollinet en lycéenne dévergondée, « Marie couche-toi là » comme dit la mère de Bob. Des fêtes futiles dans la grande maison de Roubaix (mais les frère et sœur rangent le lendemain!), des centaines de lettres, des crises de désespoir d’un côté comme de l’autre, d’autres relations pour les deux mais un amour fou entre eux, et la révélation de deux jeunes acteurs! Une petite réserve sur les scènes à Douchanbe. On y entend parler russe, certes, le Tadjikistan est une ancienne république soviétique, plus de la moitié de la population est russe aujourd’hui encore, mais les vieux tadjiks que l’on aperçoit devraient parler le Tadjik, une langue proche du farsi (perse) parlé aussi au nord de l’Afghanistan (oui… j’ai travaillé sur la néolithisation précoce de hautes vallées du Tadjikistan dans un passé lointain…). Mais allez voir ce film sans réserve, il est encore temps de profiter jusqu’à mardi des séances de rattrapage du festival Télérama!

les films que j’ai vus avant le festival, 8 sur 16, c’est pas mal!

– les films que j’ai vus pendant le festival

– les films que je ne verrai pas, ceux qui ne me tentent pas et ceux qui ne passeront pas à Poitiers!

  • Life d’Anton Corbijn
  • Much loved de Nabil Ayouch
  • Birdman d’Alejandro González Iñárritu
  • Phoenix de Christian Petzold
  • Fatima de Philippe Faucon

Back Home, de Joachim Trier

Affiche de Back Home, de Joachim TrierSamedi, je suis allée voir le nouveau film de Joachim Trier (voir ou revoir mon avis sur son film précédent, Oslo, 31 août). Le film devait sortir sous le titre Plus fort que les bombes, traduction du titre original Louder than bombs, changé suite aux attentats de Paris…

Le film : de nos jours, à New York. Trois ans après la mort d’Isabelle Reed [Isabelle Huppert] dans un accident de voiture, son agence de presse prépare avec l’aide de Richard [David Strathairn], son ancien collègue, une rétrospective du travail de cette photographe de guerre. Son mari, Gene [Gabriel Byrne], qui vit avec Conrad [Devin Druid] son fils cadet, âgé de 16 ans, va devoir lui révéler la vérité sur la mort de sa mère, l’accident de voiture était en fait un suicide après son retrait de la vie de photographe de guerre… Il appelle à la rescousse Jonah [Jesse Eisenberg], son fils aîné, juste papa, jeune professeur d’université à 6h de route, à la fois pour trier les dernières photographies de sa mère que pour l’aider à communiquer avec son frère.

Mon avis : dans Oslo, 31 août, le suicide était la seule issue possible pour le junkie acculé à sa vie en dérive, ici, il a eu lieu il y a plusieurs années et on en voit les conséquences sur une famille dont le cadet a été tenu écarté de la vérité « trop jeune, il fallait le protéger ». Après plusieurs années, comment lui annoncer que l’accident était un suicide, des années de mensonge, si la famille ne lui révèle pas la vérité, il risque de l’apprendre par l’article préparé par son ex-collègue à l’occasion de la rétrospect. Comme dans le précédent film, les flash-back sont nombreux et permettent de mettre en scène une Isabelle Huppert très inspirée. Le film met en scène des hommes en plein doute sur leurs relations amoureuses: le papa-poule qui surprotège sans doute trop son cadet et a une aventure avec l’une de ses profs, l’adolescent mal dans sa peau et qui vit avec le souvenir de sa mère qui le hante dans ses rêves et est secrètement amoureux de l’une de ses camarades, le jeune adulte tout juste entré dans la vie active et jeune papa qui va renouer avec une ancienne amie d’université qui perd sa mère d’un cancer, l’ancien collègue en plein divorce qui avoue une relation avec la photographe lors de leurs reportages… Aucun de ces hommes ne semble assumer ses actes. Si les scènes répétées d’un accident de voiture peuvent être entêtantes, il y a aussi de très belles scènes, une de mes préférées, celle où l’adolescent, gauche, raccompagne à l’aube la fille dont il pense être amoureux, ivre après une soirée, et l’aide à se déboutonner pour faire pipi derrière une voiture. Je vous conseille vivement ce film!

Première personne du singulier de Patrice Franceschi

pioche-en-bib.jpgCouverture de Première personne du singulier de Patrice FranceschiJ’ai trouvé ce recueil, qui a reçu le prix Goncourt des nouvelles en 2015, parmi les nouvelles acquisitions de la médiathèque.

Le livre : Première personne du singulier de Patrice Franceschi, éditions du Seuil, collection Points, 2015, 197 pages, ISBN 9782757849736.

Les histoires : Noël 1884. Le capitaine Flaherty a disparu dans une tempête… retour sur sa carrière dans Un fanal arrière qui s’éteint. En mai 1940, en pleine débâcle et alors que les soldats fuient les uns après les autres, le sous-lieutenant Pierre Vernaud reçoit l’ordre de tenir pendant 24h le Carrefour 54 pour ralentir l’avancée allemande. Au début 2013, un journal de Syndney reçoit une information qui pourrait relancer l’enquête sur le Naufrage du lieutenant Wells dix ans plus tôt au large de l’Italie. Le 22 novembre 1943, deux résistants, Madeleine et Pierre-Joseph, chacun avec un enfant, se rencontrent sur le quai de la gare devant ce qui sera Le Train de six heures quinze.

Mon avis : j’ai beaucoup aimé ces quatre nouvelles, où l’auteur a glissé de petits renvois de l’une à l’autre : à la fin du Naufrage du lieutenant Wells le rédacteur en chef a entendu parlé de la mort tragique d’un capitaine il y a longtemps (Un fanal arrière qui s’éteint) ; au début du Train de six heures quinze, Madeleine est la cousine d’un héroïque sous-lieutenant du 101e régiment d’infanterie (Carrefour 54). Les descriptions des deux naufrages sont particulièrement réussies, impossible de fermer le livre au milieu de la tempête qui s’achèvera par la mort du capitaine Flaherty. Dans chaque nouvelle, le personnage principal doit prendre une décision importante qui décidera de son destin, au sacrifice de sa vie, jusqu’à se suicider ou s’exiler sur un îlot isolé. Le Naufrage du lieutenant Wells est le plus ancré dans l’actualité, avec un lieutenant qui ne supporte pas que le capitaine du cargo sur lequel il est refuse de ralentir et de se porter au secours d’une embarcation pleine de migrants, pour éviter les complications (et le temps perdu), l’équipage cosmopolite approuve le capitaine. Une situation qui hélas s’est déjà produite en Méditerranée ou dans l’océan Indien. A découvrir… et de mon côté, je lirai probablement d’autres ouvrages de Patrice Franceschi.

Mustang de Deniz Gamze Ergüven

Affiche de Mustang de Deniz Gamze ErgüvenDepuis ma dernière chronique cinéma, j’ai vu La loi du marché, mais je vous en parlerai une autre fois. J’ai aussi vu ce week-end Mustang, de Deniz Gamze Ergüven, présenté à la Quinzaine des réalisateurs au dernier festival de Cannes.

L’histoire : de nos jours dans un village reculé de Turquie, sur la côte, à 1000 km d’Istanbul. C’est la dernière journée de l’année scolaire, un groupe d’enfants et d’adolescent(e)s décident de rentrer à pied. Sur la plage, tout le monde finit à l’eau, les plus grands jouent, filles à cheval sur les épaules des garçons… Mais arrivées chez elles, cinq sœurs, âgées de 12 à 16 ans et orphelines, sont attendues par leur grand-mère [Nihal Koldaş]. Les aînées sont battues, contraintes à un examen gynécologique de virginité, les filles sont peu à peu enfermées dans la maison, les oncles, dont Erol [Ayberk Pekcan] sont terribles. Elles réussissent quand même à s’échapper par une fenêtre et une brèche dans la clôture pour aller voir un match de foot réservé aux femmes suite à des débordements de hooligans. Couvertes par une tante, néanmoins, au retour, les clôtures sont améliorées et la famille cherche un mari aux aînées…

Mon avis : un très beau film, qui montre aussi l’écart entre la ville (Istambul fantasmée par les jeunes filles) et la vie dans une campagne reculée, avec les conséquences du qu’en dira-t-on et des bienséances vis-à-vis du voisinage. Il aborde aussi les conséquences du mariage forcé: seule l’aînée, Sonay [İlayda Akdoğan] réussit à imposer son amoureux, la seconde, Zelma [Tuğba Sunguroğlu] se marie le même jour avec un garçon qu’elle n’a vu qu’une fois, la troisième, Ece [Elit İşcan] se suicide pour échapper à son sort… Quant aux deux plus petites, Lale [Güneş Nezihe Şensoy] et Nur [Doğa Zeynep Doğuşlu], je vous laisse voir le film… Dit comme ça, cela peut sembler une tragédie, mais il y a beaucoup de moments très drôles avec ces cinq jeunes actrices formidables dans leurs rôles! Une fois n’est pas coutume, j’ai aussi trouvé la bande originale de Warren Ellis très réussie, pas trop présente mais soulignant juste ce qu’il faut dans le film. La Turquie est pleine de contrastes aujourd’hui, elle qui vient quand même d’élire 17% de femmes aux dernières élections législatives, des femmes présentées pour la plupart par le parti kurde qui n’a pas non plus hésité à présenter un candidat homosexuel qui revendique sa sexualité, et qui vient de refuser ce qui aurait débouché sur les pleins pouvoirs au très conservateur Recep Tayyip Erdoğan. Elle est pleine de contrastes aussi dans ce film, jusqu’à ce retour d’école, les filles étaient très libres, très émancipées. La grand-mère les punit sévèrement, restreint leur liberté… mais fournit un manuel d’éducation sexuelle à la veille du mariage des deux aînées. Il montre aussi la complicité des médecins, qui ne refusent pas l’examen de virginité… ni l’examen de non-virginité le lendemain du mariage de la seconde, qui n’a pas saigné lors de sa nuit de noces. De l’espoir aussi, avec ce match de foot réservé aux femmes, ou l’artisan (d’une minorité ethnique) qui accepte de les aider discrètement. Vite, allez voir ce très beau film!!!

Œuvres vives de Linda Lê

pioche-en-bib.jpgCouverture de Œuvres vives de Linda LêJ’ai déjà essayé, et plus ou moins apprécié, plusieurs œuvres de Linda Lê : Cronos, A l’enfant que je n’aurai pas, Lame de fond. Comme les précédents, je l’ai emprunté à la médiathèque.

Le livre : Œuvres vives de Linda Lê, éditions Christian Bourgeois, 2014, 334 pages, ISBN 978-2-267-02676-4.

L’histoire : de nos jours, au Havre et à Paris. Le narrateur, jeune journaliste, part couvrir quelques événements culturels au Havre. Alors qu’il vient de lire un livre de l’auteur local Antoine Sorel, connu de quelques lecteurs seulement, il apprend par la presse son suicide par  défenestration du sixième étage. Il décide de chercher des témoins pour retracer la vie de celui-ci, le voici sur la piste du grand-père, qui fit partie des Vietnamiens envoyés travailler en France pendant la Première Guerre mondiale, de son père, qui l’a élevé à la dure, de son frère puis peu à peu de ses ami(e)s qui révèlent peu à peu la personnalité sombre et complexe de cet auteur…

Mon avis : la narration à la première personne permet de se glisser assez vite dans la quête de cet écrivain mal-aimé de ses parents, alcoolique, peu lu et en gros oublié de tous. Cette quête est l’occasion pour lui de découvrir et aimer peu à peu la ville du Havre. A Paris, il se réfugie ou donne des rendez-vous dans des lieux que j’aime bien aussi pour leur calme, comme le musée Rodin (voir Matisse-Rodin) ou le musée national Delacroix (voir Une passion pour Delacroix, La collection Karen B. Cohen). Voilà un cocktail qui aurait dû me faire aimer ce livre, et pourtant, je me suis ennuyée par moment. Dans Lame de fond, il était déjà question d’un correcteur (au lieu d’un écrivain), originaire du Vietnam comme l’auteur, et d’une recherche des origines. Comme dans ce livre, il y a beaucoup d’allusions à des lieux (au Havre et à Paris), à des livres, etc., et j’ai eu ici l’impression de reprendre la même quête veine, 3 ans plus tard. Je vous laisse vous faire votre opinion par vous-même…

Sur Le Havre, je vous conseille Un homme est mort de Kris et Étienne Davodeau, qui avait donné lieu à un BD concert, Un homme est mort, il y a quelques années à Poitiers, basé sur le film disparu de René Vautier, lui-même décédé récemment. Sur la présence des Vietnamiens en France pendant la première guerre mondiale, voir le monument aux morts Indochinois dans le cimetière de Salonique à Toulouse.

[PS: 30 août 2015 :
Je trouve que Linda Lê est très irrégulière… Je me suis ennuyée à la lecture d’Œuvres vives. Télérama (n° 3423, p. 17) semble regretter la faible vente de ce titre, mais je ne dois pas être la seule à ne pas en avoir fait la promotion…

Logo rentrée littéraire 2014Ce livre entre dans le cadre du défi 1% de la rentrée littéraire organisé à nouveau cette année par Hérisson (Il faut que je mette mes index à jour…).