Archives par étiquette : Samir Guesmi

Au nom de la terre, d’Édouard Bergeon

Ce dimanche, je suis allée voir, une histoire largement inspirée de celle du père du réalisateur, Édouard Bergeon, dont le père s’est suicidé en 1999 à Jazeneuil, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Poitiers.

L’histoire : 1974, ferme des Grands Bois, dans le Maine-et-Loire. Jacques Jarjeau [Rufus] transmet sa ferme à son fils, de retour d’un ranch aux États-Unis, c’est-à-dire qu’il lui vend les bâtiments et établit un contrat de fermage. 1996. Pour assurer la survie de l’exploitation, Pierre Jarjeau [ a gardé la culture (blé et autre) mais transformé l’élevage, abandonnant les moutons pour les chevreaux puis les poulets. Claire, sa femme [Veerle Baetens], assure la comptabilité, son fils Thomas [Anthony Bajon] souhaite devenir ingénieur et reprendre l’exploitation, sa fille [Yona Kervern] est encore un peu jeune pour penser à son avenir. Un seul ouvrier agricole, Mehdi [Samir Guesmi] semble l’aider faire tourner l’exploitation. Quand un incendie ravage l’un des hangars, l’équilibre économique déjà précaire de la ferme est rompu, il sombre dans la dépression…

Mon avis : Il a été beaucoup dit et écrit, dans les commentaires de la presse écrite, à la radio (et sans doute à la télévision, mais je la regarde peu), sur le réalisme par rapport au système productiviste, à la course en avant aux prêts par le Crédit agricole, à la main-mise des grosses coopératives devenues multinationales, où les coopérateurs (en principe les producteurs de base) n’ont plus leur mot à dire et qui fournissent, ici, le hangar et les machines de production, les poussins, les aliments et assurent la vente. Les acteurs sont excellents, le jeu de Guillaume Canet a été unanimement et je trouve à juste titre félicité partout, les autres acteurs ne doivent pas être oubliés, Rufus en père têtu et acariâtre, Veerle Baetens dans le rôle de l’épouse qui porte le fardeau économique de l’exploitation, et les deux enfants, Anthony Bajon et Yona Kervern, que l’on espère revoir dans d’autres films. Je voudrais revenir sur quelques points :

  • la place des parents, qui ont une petite retraite mais comptent sur le capital amassé au cours de leur vie et valorisé au fil des ans, avec la revente au(x) fils des terres et un fermage annuel qui peut s’avérer bien trop lourd, 1000 francs l’hectare, soit 78.000 francs par an, à rapporter au 700 francs la tonne de blé et au « minimum vieillesse ». Bon an mal an, le rendement du blé est autour de 80 quintaux (800 tonnes) par hectare. Cette place est encore moins abordée dans les reportages et les fictions (sur grand écran ou à la télévision) que le mal-être et le suicide des agriculteurs (1 par jour en moyenne en France) ;
  • la place de la femme des deux générations, la mère, bonne à tout faire du père, « collaboratrice » non rémunérée et donc probablement sans retraite du père ; la femme de l’agriculteur, qui a une double activité, comptable et gestionnaire des commandes et des stocks à la ferme (bénévole et non rémunérée) et comptable dans une banque, ce qui assure un revenu stable et fait « bouillir la marmite » au quotidien ;
  • l’inconscience par rapport au risque des pesticides, avec dans les scènes de 1996, l’adolescent et son père qui vident les bidons sans aucune protection dans les réservoirs ; l’adolescent qui s’amuse à passer sous la rampe qui distribue ces mêmes pesticides ; le médecin qui s’inquiète (sans trop insister) du tremblement de son patient
  • le modèle de production des poulets n’est pas le pire qui soit, ils sont ici élevés au sol et non entassés dans des cages ; un autre modèle est cependant possible, j’en avais un esquissé le contour en 2012, en espérant que les grosses coopératives agricoles qui sentent le vent des consommateurs tourner ne transposent pas leur modèle pourri aux exploitations nouvellement converties à l’agriculture biologique…

Je ne vais pas divulgâcher la fin du film en vous disant que le héros se suicide, je m’étais préparée à affronter cette scène, mais douze ans après le suicide de ma mère, je n’ai pas eu de problème…

Camille redouble de Noémie Lvovsky

Affiche du film Camille redouble de Noémie Lvovsky

Je poursuis les comptes-rendus des films que j’ai vus dans le cadre du festival Télérama 2013.

Le film : le 31 décembre 2008 (ou bien j’ai mal retenu l’année?) à Paris. Camille Vaillant [Noémie Lvovsky] est en pleine déprime, son mari, Éric [Samir Guesmi] vient de la quitter et de mettre l’appartement en vente, elle boit trop et fait des petits contrats minables sans réussir à atteindre son quota d’heures d’intermittence du spectacle. Elle passe la soirée avec ses anciennes amies de collège, boit trop, se réveille le lendemain matin à l’hôpital… et là, ce sont ses parents [Michel Vuillermoz et ], morts depuis longtemps, qui viennent la chercher, retour dans le passé, 1er janvier 1985, la voici adolescente, lycéenne, à 16 ans, sachant ce qui va se passer ensuite et tentant de changer le destin…

Mon avis : c’est curieux, j’ai vu ce film alors que je venais de terminer Quartier Lointain, de Jirô Taniguchi (je vous en parle dans quelques semaines, ma rubrique bandes dessinées est bien remplie d’ici là), un scénario très proche, un homme qui boit trop et se retrouve le lendemain matin adolescent dans sa ville natale. Inspiration de ce classique de la bande dessinée japonaise? Bon, ceci dit, j’ai passé un bon moment avec ce film, même si certains détails m’ont crispée… Par exemple, comme dans Toutes nos envies de Philippe Lioret, les saisons ne sont pas respectées dans le décor. Ici, nous sommes en principe dans les premiers jours de janvier, et les arbres d’une allée prennent à peine leurs couleurs d’automne… Plus loin dans le film, ils sont bien dénudés comme il faut. Idem, dans un coin de la cuisine en 1985 trône une centrale vapeur de repassage, qui ne devait pas exister sous cette forme en 1985. Le lycée est aussi couvert de mains « touche pas à mon pote » de SOS racisme… ce lycée devait être avant-gardiste pour en être couvert en janvier 1985, de mémoire (c’était aussi mes années lycée…), ils ont surtout fleuri à l’automne 1986, lors des grandes manifestations contre la loi d’Alain Devaquet (qui voulait instaurer une sélection pour l’entrée à l’université), et encore plus après le meurtre de Malik Oussekine par la police le 6 décembre 1986.

Voir d’autres films dont j’ai parlé avec Yolande Moreau : Séraphine et Où va la nuit, de Martin Provost, Les plages d’Agnès d’Agnès Varda,  Dans la maison de François Ozon.

Le festival Télérama 2013 et ses films…
Ceux que j’ai vus avant le festival et dont je vous ai parlé (pas beaucoup cette année)

Ceux que j’ai vus pendant le festival

Ceux que je ne verrai pas

  • Moonrise Kingdom de Wes Anderson
  • Margin Call de J.C. Chandor
  • Holy Motors de Leos Carax
  • Tabou de Miguel Gomes
  • The Deep Blue Sea de Terence Davies
  • Les adieux à la reine de Benoît Jacquot
  • Elena de Andreï Zviaguintsev