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Les insurrections singulières, de Jeanne Benameur

Un livre offert par des copines!!! Vous pouvez (re)lire mes avis sur Laver les ombres et Profanes, de la même auteure, Jeanne Benameur.

Le livre : Les insurrections singulières, de Jeanne Benameur, éditions Actes sud, 2011, 208 pages, ISBN 9782742795307 (lu en édition de poche, Babel n° 1152, 2013, réimprimé 2015, 230 pages, ISBN 9782330014506).

L’histoire : de nos jours dans un pavillon à Montreuil, en banlieue parisienne. Alors que son frère Loïc est devenu professeur, Antoine, après trois premières années d’université et pas mal d’errance, est devenu ouvrier. Aujourd’hui âgé d’une quarantaine d’années, il est en lutte dans son usine qui va fermer et être relocalisée au Brésil ; il vient de se séparer de son amie et de rentrer chez ses parents retraités, père ouvrier, mère au foyer qui désormais tient une mercerie ambulante le dimanche sur un marché. En allant l’aider, il fait la connaissance de Marcel, le bouquiniste, avec qui il va finir par aller à Monlevade, au Brésil, voir l’usine qui va prendre on travail, mais aussi découvrir Jean de Monlevade, « créateur » de la sidérurgie dans ce pays au début du 19e siècle…

Mon avis : le livre comprend deux parties très différentes. Dans la première, il est beaucoup question d’estime de soi et d’une fugue sous l’orage du petit garçon quand il avait 8 ans. La délocalisation d’une activité industrielle, c’est aussi la relocalisation ailleurs, un autre point de vue, abordé dans la deuxième partie, au Brésil, qui mêle la recherche de l’usine (qui devient lusine en un mot) et la rencontre avec une jeune fille qui a hérité du matériel et du talent d’une modiste… transmission de savoir-faire artisanal contre transmission de savoir-faire industriel, ce dernier est abordé par le biais du « carnet d’usine » du père, ou la prise en vidéo par les patrons de gestes des ouvriers… là nous ne sommes plus dans de la « mémoire ouvrière » ou de la transmission façon compagnonnage ou maître / apprenti mais dans du « pillage » (optimisation patronale) de bonnes pratiques. L’auteure ne va peut-être pas aussi loin dans cette idée, mais aborde le sujet à plusieurs reprises par petites touches. J’ai bien aimé ce livre…

Pour aller plus loin : Jeanne Benameur explique en note à la fin du livre qu’elle s’est inspiré de la fermeture d’une usine d’Arcelor-Mittal et de sa visite à l’usine Godin de Guise. Il faut vraiment que je vous montre un jour la restauration du familistère de Guise, dans l’Aisne, en attendant, vous pouvez (re)lire De briques et de sang de François David et Régis Hautière.

Sur Jean [Antoine Félix Dissandes] de Monlevade (Guéret 1791 – Monlevade 1872), il ne semble pas exister beaucoup de bibliographie en français, peut-être au Brésil? Il y a un portrait sur la notice que lui consacre la bibliothèque nationale de France.

Profanes de Jeanne Benameur

Couverture de Profanes de Jeanne BenameurJ’ai poursuivi la lecture des livres pour la voix des lecteurs, voir les titres déjà lus, Petites scènes capitales, de Sylvie Germain, et N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, de Paola Pigani. De Jeanne Benameur, je vous ai déjà parlé de Laver les ombres de Jeanne Benameur, prix du livre en Poitou-Charentes en 2009.

Merci à Grégory qui a organisé ce groupe de lecteurs avec Florence, Jenny, Michèle. Un livre fourni en édition de poche, tout petit, heureusement que j’ai mon visio-agrandisseur maison, même s’il faut que je règle la question de maintenir les pages ouvertes sans casser le dos des livres, les pinces à dessin, ce n’est pas suffisant, les pages ont tendance à se refermer, c’est pénible de retenir chaque page ouverte sous la caméra, et pas très ergonomique.

Le livre: Profanes de Jeanne Benameur, Actes Sud, 288 pages, 2013, ISBN 978-2-330-01428-5 [lu en édition de poche, Babel, 2014, 274 pages].

L’histoire: de nos jours, au printemps, dans une ville indéterminé. Une grande maison avec un jardin. Pour ses 90 ans, Octave Lassalle, ancien chirurgien cardiaque, a convoqué quatre personnes pour qu’elles signent un contrat établi avec son notaire: Béatrice, Yolande, Hélène et Marc vont se succéder auprès de lui toute la journée et la nuit jusqu’à sa mort, chacun aura accès libre à la maison et à une chambre au deuxième étage, une tâche particulière (jardinage, lecture, surveillance de nuit), les tâches quotidiennes continueront à être effectuées par la gouvernante, Mme Lemaire, qui s’efface néanmoins peu à peu. Chacun a un passé plus ou moins lourd, y compris Octave, dont la fille Claire est morte il y a longtemps des suites d’un accident, il avait refusé de l’opérer pour tenter de la sauver, préférant qu’un de ses amis agisse (sans succès), sa femme Anna était repartie vivre dans son Canada natal avec la dépouille. Dans la maison, il ne reste qu’une photo à partir de laquelle Hélène doit réaliser un portrait dans le style de ceux du Fayoum, et la cabane d’enfant dans le jardin…

Mon avis: Jeanne Benameur a choisi un style narratif original, passant de la troisième personne à la première personne, du point de vue d’Octave ou de celui de ses personnages. Si quelques haikus, passion d’Octave (à côté de la lecture de l’Ecclésiaste, lui qui se dit non-croyant), se glissent ici et là, la poésie transpire aussi des pages en prose. Peu à peu, le passé de chacun est révélé, leurs blessures, Béatrice, élève infirmière, chargée de la nuit est née après un frère mort avant sa naissance, Marc, qui découvre le jardinage, a un lourd passé en Afrique, Hélène, la peintre, essaye de vivre le début d’une nouvelle assion amoureuse, Yolande a souffert de l’absence d’attention de son père. A soigner les autres, Octave a-t-il prêté assez attention à sa famille jusqu’à l’accident de Claire? La grande maison, d’abord vide, ou plutôt peuplée du fantôme de Claire et de l’absence d’Anna, va devenir le réceptacle des passés des autres, qui vont prendre plaisir (parfois charnellement…) à y venir puis à s’y retrouver même en dehors des heures qui leurs sont attribuées. « Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité » (Ecclésiaste 1; 1:2), cette parole du roi Salomon, au tout début de l’Ecclésiaste, est peut-être le fil conducteur non-dit du récit proposé avec brio par Jeanne Benameur. J’ai beaucoup aimé ce livre, reste une question, est-il judicieux pour le prix du livre en Poitou-Charentes de désigner un livre déjà primé par ailleurs (Grand prix RTL lire 2013) et une auteure qui a déjà reçu le prix en 2009 pour Laver les ombres?

Suivre mes (nos) lectures de la sélection de la Voix des lecteurs 2014 (liens au fur et  mesure des lectures), groupe organisé par Grégory :

Profanes, de Jeanne Benameur, éditions Actes sud (ci-dessus)
Composite, de Denis Bourgeois, éditions Ego comme X
Petites scènes capitales, de Sylvie Germain, éditions Albin Michel
Nativité cinquante et quelques de Lionel-Edouard Martin, éditions Le Vampire actif
N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures, de Paola Pigani, éditions Liana Levi

Laver les ombres de Jeanne Benameur

pioche-en-bib.jpgCouverture de Laver les ombres de Jeanne BenameurJ’ai emprunté à la médiathèque ce livre qui a reçu le prix du livre Poitou-Charentes en 2009 (j’en ai lu un certain nombre, voir le récapitulatif ici). PS: depuis, j’ai aussi lu de cette auteure Profanes.

Le livre : Laver les ombres de Jeanne Benameur, éditions Actes Sud, 2008, 159 pages, ISBN 978-2742777013.

L’histoire : de nos jours dans une grande ville. Lea, 36 ans [sa mère a 76 ans et l’a eu quand elle avait 40 ans], danseuse et chorégraphe, travaille au montage de son prochain spectacle tout en poursuivant une relation avec Bruno, son amant peintre pour qui elle finit par accepter de poser nue. En parallèle, à Naples, de 1940 à 1942, une jeune fille, Romilda /Suzanne, est contrainte à la prostitution par Jean-Baptiste, un homme dont elle pense être tombée amoureuse à l’âge de 16 ans dans le bistrot tenu par sa mère, seule après le départ du père à la guerre. Lea fuit la séance de pose, se retrouve chez sa mère, qui lui a dit il y a quelques jours qu’elle avait des choses importantes à lui révéler, dans une maison côtière où elle s’apprête à subir une violente tempête… une nuit de retrouvailles où tout sera dit, Naples (la grande maison, les clients soldats, la maladie), le mariage en France, l’arrivée tardive de l’enfant, la mort accidentelle du père quand elle avait 6 ans.

Mon avis : un récit fort, la mère et la fille en parallèle, hier (dans les années 1940) à Naples et aujourd’hui, jusqu’à ce qu’elles se retrouvent dans le huis-clos de la chambre alors que la tempête fait rage dehors… et qu’apparaisse en filigrane, intercalé à son tour, le récit de Bruno, abandonné en pleine séance de pose par Lea. Une forme qui donne une grande force à ce texte.