Jeudi dernier (10 avril 2014), à l’occasion du 70e anniversaire de la libération de la ville de Poitiers, plusieurs manifestations étaient organisées : la projection gratuite en avant-première du documentaire « Jean-Richard Bloch, la vie à vif« , un intellectuel engagé et témoin de son époque sur France 3, réalisé par Marie Christiani et co-produit par France 3 Poitou-Charentes et Anekdota production (voir La Mérigot(t)e à Poitiers, résidence de l’écrivain Jean-Richard Bloch), la mise en place à l’hôtel de ville d’une plaque en hommage à Raymond Charpentier (son inauguration a été reportée) et le témoignage de Marthe Cohn, sujet du jour. Marthe Cohn, née Marthe Hoffnung-Gutglück, est une alerte et toute petite dame de 94 ans (née en 1920 à Metz), qui habite aux États-Unis mais témoigne régulièrement de son passé, jeune juive lorraine, réfugiée à Poitiers avec sa famille, élève-infirmière, passée en zone libre à Saint-Secondin en août 1942 après l’arrestation, quelques semaines plus tôt, de son père (vite libéré) et de sa sœur aînée (internée au camp de la route de Limoges, décédée à Auschwitz), puis de son engagement dans l’armée de libération et son rôle d’espionne infiltrée derrière les lignes allemandes, actes pour lesquels elle a reçu de multiples décorations (Croix de guerre en 1945, Médaille militaire en 1999, Chevalier de la Légion d’honneur en 2004, Médaille de reconnaissance de la Nation en 2006). Elle a publié un livre sur ses aventures, paru en 2002 aux États-Unis, Behind Enemy Lines The true story of a French Jewish Spy in Nazi Germany, traduit sous le titre Derrière les lignes ennemies, une espionne juive dans l’Allemagne Nazie (Plon, 2005, rééd. 2009 chez Tallandier). Il faudra que je le lise…
Au cours de son intervention, Marthe Cohn a parlé de Raymond Charpentier, employé de la mairie, qui lui a fourni les faux papiers d’identité pour les sept membres de sa famille (il faudra que je vous parle un de ces jours du Réseau Louis Renard, au-delà monument au réseau Louis Renard, dans le cimetière de Chilvert).
Elle a également parlé de la famille Delaunay. L’ancienne municipalité de Poitiers lui a donné le nom d’une rue, qui part du carrefour des Trois-Bourdons vers l’Ermitage à Saint-Benoît.
Jacques Santrot, le maire de l’époque, a précisé que, contrairement à ce qu’indique le plan officiel de la ville (saisie d’écran ci-dessus / 11 avril 2014), la rue est bien dédiée aux trois résistants de la famille, le père, Georges Delaunay, et les deux fils, Jacques [son fiancé] et Marc Delaunay (ces derniers faisaient partie du groupe de 5 étudiants qui ont assassiné Michel Guérin le 13 mai 1943 et ont été fusillés au Mont-Valérien le 6 octobre 1943). Volontairement, la plaque de rue ne précise pas de prénom. Ni l’adjoint au patrimoine (chargé des plaques de rue, suivre le lien pour suivre la saga), absent de la soirée, ni le maire actuel, Alain Clayes, parti avant la fin de l’exposé, n’ont pu répondre à cette question…
Marthe Cohn a par ailleurs souligné l’existence d’une plaque commémorative aux élèves juives déportées, apposée en 2005 au lycée Victor-Hugo, dont des camarades de sa sœur cadette (non loin d’ailleurs de Tête de jeune fille de Couvègnes). Il y a en fait plusieurs plaques. Deux sont dédiées aux élèves, la première n’avait pas de noms…: « A la mémoire / des élèves juives de ce lycée / déportées et assassinées / à Auschwitz / 1942-1944 / plaque commémorative apposée le 27 mai 1993 », complétée par celle portant une liste complète, « Yvette Achache, seize ans / Myriam Bloch, 6 ans / Myriam Holz, neuf ans / Paulette Iachimowitc, neuf ans / Odette Kahn, seize ans / Suzy-Eva Schaechter, quatorze ans / plaque commémorative apposée le 26 avril 2005 / dans le cadre du centenaire du lycée Victor Hugo / et du soixantième anniversaire de la libération des camps ».
Une plaque avait été posée plus anciennement, cette fois à deux professeurs: « Collège moderne et technique de jeunes filles de Poitiers, professeurs victimes de la guerre 1939-1945, Alice Bonneau, Lieutenant F.F.C. [décorations militaires] / déportée résistante / décédée à Ravensbruck en mars 1945 / Madeleine Vergeau / victime du bombardement du 13 juin 1944 ».
Enfin, un détail m’a intriguée. Elle a souligné que sa sœur Stéphanie avait été arrêtée par la SIPO (et non la Gestapo comme indiqué par erreur dans son livre), le 17 juin 1942, « SIPO juste créée », et emmenée non loin de l’hôtel de ville de Poitiers (probablement à l’hôtel de Jean Beaucé où la Feldgendarmerie avait établi ses quartiers). Le passage sur la SIPO (Sicherheitspolizei) / Police de sûreté) m’a intriguée, car je pensais qu’elle avait été créée auparavant. Je me suis replongée dans mes livres d’histoire : la Sipo a été créée par Heinrich Himmler et regroupait la « Gestapo » (Geheime Staatspolizei / la police politique du Reich) et la « Kripo » (Kriminalpolizei / la police criminelle). En 1939, le Sicherheitsdienst (service de sécurité de la SS) et la Sipo sont regroupées au sein de la Sipo-SD (en savoir plus dans ce document de la fondation de la résistance). Je ne sais pas exactement à quel événement de 1942 elle a fait allusion.
En tout cas, c’était un témoignage d’une grande force, dommage que la presse locale n’en ait pas (encore?) fait de compte-rendu ou que France 3 Poitou-Charentes n’ait pas profité de son passage de plusieurs jours à Poitiers pour faire un reportage. La Nouvelle République avait fait un court article lors de sa rencontre il y a quelques mois (décembre 2013) avec le maire de Poitiers Alain Clayes.
Pour aller plus loin: voir le nouveau portail Territoires et Trajectoires de la Déportation des Juifs de France, qui recense les trajectoires des enfants juifs déportés.
Mme Odile Teyssendier de la Serve, née De Morin, élève infirmière, camarade de Marthe Cohn, qui a hébergé la famille Hoffnung-Gutlück la veille de sa fuite, a reçu à titre posthume la médaille des justes. Noël Degout, de Dienné, qui a aidé les frères aînés de Marthe, a également un dossier (incomplet) de Juste parmi les Nations.