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Au-delà des montagnes, de Zhang-ke Jia

Affiche de Au-delà des montagnes, de Zhang-ke JiaAlors que le festival Télérama s’annonce et que je devrais écrire un petit article sur les films sélectionnés que j’ai vus sans vous en parler, ma sortie cinéma du week-end était pour Au-delà des montagnes de Zhang-ke Jia.

Le film : en 1999 à Fen­yang, dans une zone montagneuse de la province de Shanxi, en Chine. Tao [Zhao Tao], 20 ans, fille d’un marchand d’électroménager, est courtisée par deux amis d’enfance Jinsheng [Zhang Yi], propriétaire d’une station service en pleine expansion, et Liangzi [Jing Dong Liang], mineur. Sommée de choisir, elle finit par se marier à Jinsheng, alors que Liangzi, chassé de la mine rachetée par son rival, décide de s’exiler dans une autre ville.Mais très vite, Liangzi part à Shanghaï avec le jeune fils né de cette union, Dollar. Lorsqu’il revient chez sa mère pour l’enterrement du grand-père, l’incompréhension est totale.

2014. Tao a divorcé, Dollar et son père vivent en Australie, Liangzi, victime d’un cancer des mineurs, jeune père à son tour, revient dans sa ville natale, demande de l’aide à Tao pour les soins médicaux.

2025… je vous laisse découvrir la suite au cinéma!!!

Mon avis : j’ai beaucoup aimé ce film! Les paysages du nord de la Chine comme ceux de l’Australie sont filmés dans toute leur splendeur. Le film montre d’abord l’évolution rapide de la Chine au tournant du millénaire, le dur métier des mineurs est évoqué en quelques images qui contrastent avec le « m’as-tu-vu » des néo-capitalistes… dont on apprendra plus tard qu’il y a finalement une morale (ou un semblant de morale), les nouveaux parvenus à force de corruption ont dû fuir… même si c’est visiblement avec leur argent! L’évolution des paysages urbains est suggérée au travers de brèves images, la « tradition », l’ancien monde par la génération du père de Tao, le nouveau monde par Dollar [Dong Zijian], étudiant exilé en recherche de son identité, le tout est un subtil mélange qui donne ce beau film!

Back Home, de Joachim Trier

Affiche de Back Home, de Joachim TrierSamedi, je suis allée voir le nouveau film de Joachim Trier (voir ou revoir mon avis sur son film précédent, Oslo, 31 août). Le film devait sortir sous le titre Plus fort que les bombes, traduction du titre original Louder than bombs, changé suite aux attentats de Paris…

Le film : de nos jours, à New York. Trois ans après la mort d’Isabelle Reed [Isabelle Huppert] dans un accident de voiture, son agence de presse prépare avec l’aide de Richard [David Strathairn], son ancien collègue, une rétrospective du travail de cette photographe de guerre. Son mari, Gene [Gabriel Byrne], qui vit avec Conrad [Devin Druid] son fils cadet, âgé de 16 ans, va devoir lui révéler la vérité sur la mort de sa mère, l’accident de voiture était en fait un suicide après son retrait de la vie de photographe de guerre… Il appelle à la rescousse Jonah [Jesse Eisenberg], son fils aîné, juste papa, jeune professeur d’université à 6h de route, à la fois pour trier les dernières photographies de sa mère que pour l’aider à communiquer avec son frère.

Mon avis : dans Oslo, 31 août, le suicide était la seule issue possible pour le junkie acculé à sa vie en dérive, ici, il a eu lieu il y a plusieurs années et on en voit les conséquences sur une famille dont le cadet a été tenu écarté de la vérité « trop jeune, il fallait le protéger ». Après plusieurs années, comment lui annoncer que l’accident était un suicide, des années de mensonge, si la famille ne lui révèle pas la vérité, il risque de l’apprendre par l’article préparé par son ex-collègue à l’occasion de la rétrospect. Comme dans le précédent film, les flash-back sont nombreux et permettent de mettre en scène une Isabelle Huppert très inspirée. Le film met en scène des hommes en plein doute sur leurs relations amoureuses: le papa-poule qui surprotège sans doute trop son cadet et a une aventure avec l’une de ses profs, l’adolescent mal dans sa peau et qui vit avec le souvenir de sa mère qui le hante dans ses rêves et est secrètement amoureux de l’une de ses camarades, le jeune adulte tout juste entré dans la vie active et jeune papa qui va renouer avec une ancienne amie d’université qui perd sa mère d’un cancer, l’ancien collègue en plein divorce qui avoue une relation avec la photographe lors de leurs reportages… Aucun de ces hommes ne semble assumer ses actes. Si les scènes répétées d’un accident de voiture peuvent être entêtantes, il y a aussi de très belles scènes, une de mes préférées, celle où l’adolescent, gauche, raccompagne à l’aube la fille dont il pense être amoureux, ivre après une soirée, et l’aide à se déboutonner pour faire pipi derrière une voiture. Je vous conseille vivement ce film!

Mia Madre de Nanni Moretti

J’ai plein de retard pour vous parler des films que je suis allée voir ces dernières semaines! Je commence par le plus récent, Mia madre de Nanni Moretti (revoir aussi mon avis sur Habemus papam).
Le film: alors que Margherita [Margherita Buy] est en plein tournage d’un film sur la casse sociale suite au rachat d’une usine, l’état de santé de sa mère, Ada [Guilia Lazzarini], ancienne professeure de lettres classiques, hospitalisée pour une pneumonie, s’aggrave, son cœur lâche peu à peu. Sur le plateau (et au-delà), elle doit gérer Barry Huggins [John Turturro], l’acteur américain mythomane qui n’apprend pas son texte. A la maison, elle se sépare de son ami du moment et entretient une relation apparemment apaisée avec son ex-mari, moins avec Livia [Beatrice Mancini], sa fille adolescente qui rechigne à apprendre le latin. Il lui reste peu de temps pour aller à l’hôpital, où son frère Giovanni [Nanni Moretti] passe beaucoup de temps, ayant pris une disponibilité pour être plus présent.

Mon avis: ce n’est pas mon film préféré de Nanni Moretti, contrairement à ce qu’ont dit beaucoup de critiques, je n’ai pas ressenti de vrais moments d’émotion. La fin de vie de la grand-mère ne m’a pas semblé le personnage principal, et l’ambiguïté de Margherita, ses doutes (sur sa vie, sur son film qui vire au fiasco à cause de son erreur de casting, etc.) ne la rendent pas plus sympathique que ça, mais pas non plus antipathique, pas d’empathie non plus pour les moments qu’elle vit. Trop lisse, un peu comme si Nanni Moretti n’était pas allé assez loin dans ce personnage (son double féminin, sa mère est morte pendant le montage de Habemus papam) ? Je n’ai pas toujours bien compris les moments où elle s’échappe par la pensée, souvenirs avec sa mère souvent (avenir avec les caisses de livres), mais j’ai eu du mal avec le réveil dans un appartement inondé, réalité? rêve? Finalement, les moments que j’ai préférés sont ceux sur le plateau de tournage, avec cet acteur qui risque de faire tourner le film à la catastrophe. Allez, j’ai quand même passé un bon moment! Allez le voir pour vous faire votre propre idée, et n’hésitez pas à la partager!

Le petit plus: dans une courte scène, il est question de prosopagnosie sans que le nom soit cité! Barry, l’acteur américain, s’invite dans la famille, sort une pile de photographies de l’équipe du film, parce qu’il est incapable de retenir leur visage, « comme son père », dit-il (et comme Brad Pitt… et plein d’autres personnes, voir mon précédent article). Ceci étant, moi, j’ai eu beaucoup de mal avec son visage, heureusement qu’il y a son italien hésitant, parce qu’il est soit moustachu (l’entrepreneur du film de Margherita), soit glabre (hors plateau), comment voulez-vous que je (enfin, mon cerveau) repère que c’est la même personne???

L’homme irrationnel de Woody Allen

Je suis allée voir le dernier film de Woody Allen, L’homme irrationnel, la semaine dernière (j’ai aussi vu Marguerite, il faut que je vous en parle)…

Le film : de nos jours, dans le Rhode Island. Après un divorce et la perte d’un de ses amis – dans des circonstances qui varient suivant ses récits – Abe Lucas [Joaquin Phoenix] vient prendre son poste de professeur de philosophie sur un campus secondaire. Pessimiste, déprimé, forçant sur le whisky, il arrive avec une réputation de coureur de jupons. Il tombe d’ailleurs très vite dans le lit d’une collègue mariée, Rita Richards [Parker Posey], mais il a une grosse panne au lit…Il se prend d’affection pour l’une de ses étudiantes, Jill Pollard [Emma Stone], qui s’éloigne peu à peu de son petit ami, Roy [Jamie Blackley]. Un jour, à la cafétéria, ils surprennent une conversation à la table voisine: un juge aux affaires familiales risque d’enlever la garde de ses enfants à une mère. Et si Abe se chargeait de changer le cours de cette décision annoncée?

Mon avis : euh, comment dire, ce n’est pas un mauvais film, la fin m’a même fait assez rire, mais je n’ai pas vraiment mordu à l’histoire de ce professeur déprimé. Woody Allen a trouvé un nouveau remède à la mélancolie: redonner du sens à la vie (sentimentale, intellectuelle, sexuelle) avec un projet… de crime! Le ton est léger, badin, de quoi déranger juste ce qu’il faut les bien-pensants américains. Une petite pincée de philosophes (tous européens, si je n’en ai pas raté) pour le côté intellectuel, une recette désormais classique chez Woody Allen. Allez y pour passer un agréable moment, même si on est loin des films cultes de ce réalisateur!

Pour Woody Allen, vous pouvez relire mes articles

Dheepan, de Jacques Audiard

Affiche de Dheepan, de Jacques AudiardJe suis allée voir Dheepan, le dernier film de Jacques Audiard, palme d’or à Cannes en 2015 (revoir Un prophète, De rouille et d’os).

Le film : il y a quelques années, dans un camp de réfugié. Dheepan [Antonythasan Jesuthasan], ancien combattant des Tigres Tamouls, au Sri Lanka, a perdu toute sa famille, massacrée. Il achète des papiers, il lui faut trouver une femme et une fille d’environ 9 ans pour coller à ceux de la famille décédée dont il va prendre l’identité. Ça sera Yalini [Kalieaswari Srinivasan], qui rêve de rejoindre sa cousine en Angleterre, et Illayaal [Claudine Vinasithamby], une jeune orpheline trouvée dans les allées du camp. Les voici à Paris, sans parler la langue, vendeur à la sauvette, à la préfecture pour l’enquête pour les papiers de réfugiés, et finalement Dheepan est envoyé comme gardien dans une cité sensible. Il est accueilli par Youssouf [Marc Zinga], qui lui explique les règles, qu’il doit respecter les dealers, leurs horaires. Illayaal est scolarisée, Yalini est casée comme aide-ménagère chez un monsieur handicapé, dont le fils, Brahim [Vincent Rottiers], ne tarde pas à revenir, libéré de prison sous bracelet électronique, chef des trafics (drogue etc.) dans la cité…

Mon avis : j’ai beaucoup aimé ce film. Vous lirez partout des commentaires sur les trafics de cette cité sensible (drogue, mais aussi en filigrane sexe, armes), je n’aborderai pas cet aspect. Je vous conseille le dossier des Inrocks sur la transformation de la paisible cité Coudraie à Poissy en zone de non-droit dans le film, avec l’implication des habitants. La partie violente annoncée partout est assez brève, un peu avant la fin critiquée elle-aussi mais elle permet aussi de repartir le cœur plus léger du cinéma… L’intégration de la famille est montrée de manière discrète, d’abord la fillette qui apprend très vite le français, puis la mère et le père, qui apprennent de plus en plus de mots ; le logement, vide quand ils arrivent, se meuble peu à peu, jusqu’à l’apparition d’une machine à coudre. Le poids de la diaspora n’est pas oublié, avec le rôle du traducteur [voir ci-dessous], qui signale que l’histoire servie par les passeurs ne sera pas crue, qui retrouve quelques mois plus tard la « famille » lors d’une cérémonie religieuse et qui conduit Dheepan à un ancien supérieur militaire qui va essayer de le racketter. Le film donne d’ailleurs envie d’en savoir plus sur la guerre civile au Sri-Lanka, qui est censée avoir pris fin en 2009 : les Tigres Tamouls avaient été inscrits sur la liste des organisations terroristes par l’union européenne, le tribunal a annulé cette inscription, mais en ce début 2015, le gouvernement sri-lankais a encore essayé de faire pression sur l’UE pour qu’aucun Tigre tamoul n’y reçoive le statut de réfugié… Dheepan a trouvé de quoi contourner cette interdiction en passant dans le camp des victimes par l’achat de papiers. Le film est aussi l’histoire de l’apprivoisement (au sens du Petit Prince de Saint-Exupéry) de trois personnes qui ne se connaissent pas, qui ont vécu la guerre civile et des choses terribles, visiblement dans des camps opposés, et qui doivent apprendre à se connaître pour former la famille conforme aux passeports achetés aux passeurs.

Pour aller plus loin : sur le thème des traducteurs et de leur rôle dans les préfectures : (re)lire Assommons les pauvres de Sinha Shumona.

La belle saison de Catherine Corsini

Affiche de La belle saison de Catherine CorsiniAprès deux semaines sans cinéma, je me suis rattrapée cette semaine avec La belle saison de Catherine Corsini.

L’histoire : 1971, en Corrèze. Delphine [Izïa Higelin], fille d’agriculteurs, apprend que l’amie avec qui elle a eu une relation va se marier, sur la pression familiale et sociale. Ses parents (et surtout sa mère, Monique [Noémie Lvovsky]) la verraient d’ailleurs bien épouser Antoine [Kévin Azaïs]. Pour échapper à cette ambiance, elle « monte à Paris », se fait embaucher chez Félix Potin. Elle croise un jour un groupe de militantes féministes en pleine action, les rejoint dans un amphithéâtre de la Sorbonne, où se jouent les prémices du MLF, rédaction de tracts et chant du MLF en chœur général. Elle y fait la connaissance de Carole [Cécile de France], professeure d’espagnol qui vit en couple avec Manuel [Benjamin Bellecour]. Les deux femmes tombent amoureuses, mais voici que le père de Delphine est terrassé par un infarctus, Delphine retourne à la ferme pour faire tourner l’exploitation avec sa mère, Carole décide de la rejoindre…

Mon avis : ce film se situe lors de la structuration du MLF (mouvement de libération des femmes), juste avant la grande manifestation du 20 novembre 1971, qui eut lieu à Paris et dans plusieurs pays, pour l’avortement libre et gratuit, la contraception, l’égalité des droits, etc. Il montre l’écart entre la liberté parisienne et l’importance du qu’en dira-t-on à la campagne. A Paris, le militantisme est possible, avec des manifestations comme on n’ose plus en faire aujourd’hui… Et si nous faisions comme ces pionnières, une course de femmes mettant la main aux fesses des mecs sur les trottoirs ou dans les transports parisiens, pour changer? Dans la Corrèze profonde, la mère de Delphine n’a pas de sécurité sociale, pas de salaire, pas de compte en banque. Delphine est tolérée aux réunions de la CUMA (les urbains n’ont peut-être pas compris, seul le sigle est donné dans le film, il s’agit des coopératives d’utilisation -et donc d’achat- de matériel agricole) tant que son père est hospitalisé puis invalide à la maison, mais qu’elle ait pu prendre seule un rendez-vous à la banque pour obtenir le prêt nécessaire lui est fermement reproché. Pas question d’homosexualité dans ce milieu, la discrétion s’impose, je pense que sur ce point, 45 ans plus tard, il n’y a pas eu d’évolution dans les villages les plus reculés! Côté film, les relations sexuelles entre femmes sont beaucoup plus discrètes que dans La vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche (inspiré de la très belle bande dessinée Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh), palme d’or à Cannes en 2013. Le militantisme et ses contradictions sont privilégiés, alors, pour ceux ont besoin d’une piqûre de rappel, je vous ai trouvé une belle version du chant du MLF! Celle que vous verrez dans La belle saison de Catherine Corsini est poignante, quelques spectatrices semblaient d’ailleurs reprendre au minimum le refrain sur leur siège! Allez, n’hésitez pas à aller voir ce film qui vient de sortir!

Pour aller plus loin, à réviser avant la prochaine manifestation du 8 mars (journée internationale des femmes, pour l’égalité des droits)

L’hymne des femmes [hymne du MLF] sur l’air du Chant des marais

Nous qui sommes sans passé, les femmes,
Nous qui n’avons pas d’histoire
Depuis la nuit des temps, les femmes,
Nous sommes le continent noir.

Refrain :
Levons-nous femmes esclaves [Variante: Debout femmes esclaves]
Et brisons nos entraves
Debout, debout, debout !

Asservies, humiliées, les femmes,
Achetées, vendues, violées
Dans toutes les maisons, les femmes,
Hors du monde reléguées.

Refrain

Seules dans notre malheur, les femmes,
L’une de l’autre ignorée
Ils nous ont divisées, les femmes,
Et de nos sœurs séparées.

Refrain

Le temps de la colère, les femmes,
Notre temps est arrivé
Connaissons notre force, les femmes,
Découvrons-nous des milliers !

Refrain

Reconnaissons-nous, les femmes,
Parlons-nous, regardons-nous,
Ensemble on nous opprime, les femmes,
Ensemble révoltons-nous !

Refrain de fin (deux fois) :

Levons-nous [ou: Debout] femmes esclaves
Et jouissons sans entraves
Debout, debout, debout !

Les deux derniers couplets sont parfois inversés et le dernier refrain pudiquement remplacé par le refrain général ou par une alternative soft « Nous ne sommes plus esclaves / nous n’avons plus d’entraves / debout, debout, debout ».

A écouter par exemple sur le compte youtube de ce site allemand de chants de lutte (la version sur le site de l’INA incluse dans un reportage du 8 mars 1982 est tronquée):

Pour une version pleine de pep’s (un peu rapide), voir la version de La contrebande à Simone

Et pour les apprenti(e)s choristes, en bas de cette page pour chanteurs, vous trouverez la partition en pdf et un mp3 avec chaque pupitre, même une voix de basse (oups, un peu « casserole »), les premières militantes du MLF qui interdisaient leur réunion aux hommes seront surprises.

Amnesia de Barbet Schroeder

Affiche de Amnesia de Barbet SchroederAprès quinze jours de fermeture, la salle d’art et essai de TAP a rouvert… Je suis allée voir avec une amie Amnesia de Barbet Schroeder.

L’histoire : 1990, un an après la chute du mur de Berlin, à Ibiza aux Baléares. Fils d’une médecin [Corinna Kirchhoff], Jo [Max Riemelt], vingt ans, rêve de devenir DJ et de se faire embaucher dans la boîte de nuit à la mode, l’Amnesia. Il vient d’arriver de Berlin et de s’installer dans une petite maison au-dessus de chez Martha [Marthe Keller], qui vit là depuis quarante ans, sans électricité mais dans un lieu idyllique, face à une petite crique. Alors qu’elle vient de mettre à la porte un Allemand d’un certain âge en refusant d’aller régler des affaires familiales en Allemagne, Jo se présente chez elle, brûlé à la main. Elle lui demande de parler en anglais. Peu à peu, ils vont apprendre à se connaître, Martha refuse de rouler en Volkswagen (programme lancé par Hitler), de boire du vin allemand, possède un violoncelle dont elle ne veut pas jouer… Ils apprennent à se connaître, Jo gagne un point en montrant qu’il sait pêcher, grâce à son grand-père [Bruno Ganz]. Un jour, elle pose une question à Jo sur une conversation qu’il vient d’avoir en allemand avec un ami, elle va devoir expliquer pourquoi elle refuse tout ce qui est allemand… Les blessures de la guerre ne sont pas refermées, comme Jo va aussi le constater quand sa mère et son grand-père viennent lui rendre visite.

Mon avis : ce film pose la question de la mémoire, au sens du vilain mot « devoir de mémoire ». Martha a fui l’Allemagne sans avoir été directement victime, après avoir vu un bus d’enfants évacués des camps par la croix rouge suisse, fuir, est-ce un refus de complicité ou de la lâcheté? Depuis toujours, le grand-père a donné plusieurs versions de son rôle de gardien dans un camps, ou plutôt dans un Kommando, une usine d’armement qui employait des déportés. Est-il pour autant un nazi? Qu’a-t-il fait lors de la grande marche de l’évacuation des camps? Rien n’est noir ou blanc, ce fut aussi l’objet d’un livre de Primo Levi, déporté à Monowitz, un camp annexe d’Auschwitz, Les naufragés et les rescapés. Cependant, dans le film, j’ai trouvé que le parallèle réconciliation allemande (un an après la chute du mur) et réconciliation / oubli après la Shoah n’est pas très réussi. Lorsque Martha va voir Jo à l’Amnesia, l’enregistrement de son violoncelle qu’elle lance au milieu de la musique techno provoque une peu crédible scène de liesse parmi les danseurs, juste quelques minutes après que le réalisateur a mis en fond dans la maison de Jo un reportage sur le premier anniversaire de la chute du mur de Berlin avec Mstislav Rostropovitch jouant au pied du mur. Un rapprochement un peu lourd… La « confession » larmoyante de Bruno Ganz manque de crédibilité, Jo en dit trop ou pas sur les programmes d’histoire en Allemagne.

Au-delà de la question mémorielle, ce film montre, dans un beau paysage (la maison de Martha est la propre maison du réalisateur, Barbet Schroeder, où il avait déjà tourné son premier film, More, en 1969), l’apprivoisement de deux personnes que tout devrait éloigner, la dame déjà âgée, qui vit loin du monde et élevée dans la musique classique, le jeune allemand qui enregistre et mixe les sons les plus diverses sur un fond de basse.

Sinon, les sous-titres sont, encore une fois, très médiocres, heureusement que le film, à part quelques rares répliques en espagnol, est en anglais et en allemand… S’il y a une VF, j’espère pour les spectateurs que la traduction est meilleure.

Bref, de beaux paysages, une photographie très soignée, mais je ne suis pas entièrement conquise par ce film. J’attends de lire d’autres avis en commentaires ou d’en discuter avec des amis cinéphiles à leur retour de vacances…

Pour aller plus loin sur la question de la mémoire de la seconde guerre mondiale, outre Si c’est un homme et Les naufragés et les rescapés de Primo Levi, voir les témoignages et récits de , également déportée à Auschwitz, notamment Aucun de nous ne reviendra, Le convoi du 24 janvier, La mémoire et les jours, ou Sauve-toi, la vie t’appelle de Boris Cyrulnik qui rapporte son propre sauvetage, enfant, alors que sa mère vient d’être victime d’une rafle.

La isla minima, de Alberto Rodríguez

Affiche de La isla minima, de Alberto RodríguezJ’ai vu il y a une quinzaine de jours La isla minima, de Alberto Rodríguez.

Le film : au sud de l’Espagne, dans les marais du Guadalquivir, dans les années 1980, juste après la chute de Franco. Deux flics sont envoyés de Madrid dans un village où la fête bat son plein, mais où deux jeunes filles ont disparu. Pedro [Raúl Arévalo], jeune flic progressiste mis au placard pour avoir dénoncé les agissements d’un supérieur, et Juan [Javier Guttiérez], le baroudeur violent au passé trouble sous le régime fasciste. Ils vont devoir travailler ensembles, enquêter en milieu hostile, dans une société machiste (ces deux jeunes filles n’étaient-elles pas des filles faciles?), alors que les ouvriers agricoles sont en grève pour améliorer leurs salaires… mais le gros propriétaire terrien du coin préfère faire réprimer le mouvement que de négocier. Les jeunes filles sont vite retrouvées dans le marais, mortes…

Mon avis : les deux acteurs principaux sont excellents, mais le rôle principal est tenu par… le marais! Le film s’ouvre par de superbes vues aériennes du delta du Guadalquivir, et les recherches sur les chemins à travers ce marais en font quasiment un personnage à part entière! Au-delà du polar, ce film aborde également le poids du passé, du franquisme encore récent (tellement récent que des photos de Franco et de Hitler sont accrochées au crucifix de la chambre d’hôtel), de la gestion de ce passé: pardon, oubli, condamnation? Juan est certes violent, son passé trouble est révélé à son collègue par un photographe, mais ses méthodes « musclées » n’ont-elles pas permis d’obtenir des indices? Que valent des informations obtenues par la violence? Le film n’est pas passé longtemps à Poitiers, j’espère que vous pourrez encore le voir chez vous, sinon à ne pas rater quand il passera à la télévision dans quelques mois.

Les nuits blanches du facteur, de Andreï Kontchalovski

Affiche de Les nuits blanches du facteur, de Andreï KontchalovskiSortie cinéma dimanche en fin d’après-midi avec Les nuits blanches du facteur, de Andreï Kontchalovski.

L’histoire : de nos jours dans le nord de la Russie, autour du lac Kenozero. Chaque jour, Lyokha le facteur [Aleksey Tryaptisyn], abandonné par sa femme, qui a arrêté de boire depuis deux ans, apporte aux villageois tout autour du lac le courrier, le pain, les journaux et surtout leur maigre pension. Il rend aussi visite à Irina [Irina Ermolova], la femme qu’il aime depuis son enfance, vit seule avec son jeune fils, Timur [Timur Bondarenko], à qui il entreprend de faire découvrir la vie d’avant, l’ancienne école en ruine, les légendes dont celle de la sorcière Kikimora qui habite le lac. Il rend aussi de multiples menus services, que ce soit à « Brioche », l’alcoolique du coin orphelin depuis l’âge de cinq ans, ou au général qui vient braconner dans le lac. Parfois, le matin, il voit un chat siamois tout gris, qui évidemment n’est pas là… Un jour, il se fait voler son moteur de bateau et part à la ville pour se le faire remplacer…

Mon avis : un film lent, très lent. Soit mon russe -appris sur le tas- est vraiment très rouillé, soit les personnages (notamment le vieil orphelin alcoolique) parlent tellement dans leur barbe qu’il est difficile de les comprendre, en dehors des mots courants (bonjour et salut, d’ailleurs sous-titrés de la même manière et sans nuance, merci, les nombres pour le compte des billets des pensions, le pain, les pommes de terre, etc.). Visiblement, d’autres personnes présentes à la même séance ont eu encore plus de mal que moi à suivre, ne pouvant pas goûté au décalage entre la vie rurale et la vie urbaine ou la base de lancement de Plesetsk. Les paysages de la réserve naturelle du lac de Kenozero [voir le site officiel en russe], classée au patrimoine mondial par l’Unesco, dans le district de Plesetsk (région d’Arkhangelsk, une ville de 350 000 habitants), sont superbes, hors du temps, filmés ici dans des paysages d’été et d’automne. Un bac, quelques heures de bus et voilà la vie urbaine contrastée qui attire les jeunes du coin… La vie rurale y ressemble beaucoup à ce que j’ai pu partager il y a une grosse vingtaine d’années dans l’est de l’Ukraine, pas d’eau courante, ils ont de l’électricité*, et donc captent la télévision, plutôt sur de vieux postes. L’intérieur de la maison d’Irina, avec sa nappe en toile cirée, son réchaud, sa cheminée au centre de la pièce à vivre, me rappelle l’intérieur de la maison où nous mangions. Mon voisin de siège n’a pas compris -et longuement commenté avec sa femme à voix basse- pourquoi le facteur demande une soucoupe (à hauts bords), y verse son thé depuis sa tasse et le boit dans la soucoupe plutôt que dans la tasse , c’est que ce monsieur n’a jamais goûté le thé brûlant sortant du samovar, même dilué avec l’eau moins chaude de la théière à côté, ça reste trop chaud pour être bu rapidement au milieu de la tournée à poursuivre… Bref, pour un spectateur non averti, le film peut sembler s’étirer interminablement pendant 1h45, mais profitez donc de la vie simple de la campagne profonde, les légendes qui restent vivantes (et participent à l’éducation des enfants), voyez ce film presque comme un reportage ethnographique… même si la garde-pêche ne se laisse pas corrompre par les habitants/braconniers, ce qui a peut de chance d’être vrai 😉 Notre société ne prend pas assez le temps de vivre et de s’ennuyer, de profiter du temps présent, ce film devrait vous y aider pendant un tout petit moment!

* en Ukraine, nous n’avions pas l’électricité, restrictions post-Tchernobyl obligent dans une zone située à l’est de la centrale donc pas touchée, les vents ayant chassé le nuage radioactif vers l’ouest et surtout la Biélorussie – pas du tout la France, si vous vous souvenez bien!

Daddy cool de Maya Forbes

Affiche de Daddy cool de Maya ForbesSortie cinéma ce week-end, avec Daddy cool de Maya Forbes.

Le film : à Boston à la fin des années 1970. Un couple et leurs deux fillettes, Amélia et Faith. La mère, Maggie [Zoe Saldana] noire et jeune juriste prometteuse. Lui, Cameron Stuart [Mark Ruffalo], descendant de l’une des plus grandes familles de Boston, et diagnostiqué bipolaire. Alors qu’il n’avait pas pris ses médicaments, il « pète les plombs » et se retrouve interné, shooté aux tranquillisants. Contre promesse de prendre ses médicaments, il emménage dans un appartement thérapeutique. Pour trouver un meilleur travail, Maggie décide de reprendre ses études, est acceptée comme boursière à Columbia à New-York, mais impossible d’y vivre avec ses filles. Elle va donc accepter que le père s’installe dans l’appartement familial, avec les filles, et elle rentrera chaque week-end. Commence alors une drôle d’années, avec un père « pas dans la norme ».

Mon avis: j’ai lu que ce film était en grande partie auto-biographique, la cinéaste et sa sœur ayant été élevées par leur père bipolaire. A part l’épisode de départ, en pleine dépression, le père est en phase maniaque pendant la plus grande partie du film, envahissant pour ses filles, ne sachant pas maîtriser ses envies, il collectionne tout ce qu’il trouve, en quête de reconnaissance il tente de s’imposer auprès des voisins et des copains des filles, qui ont honte et n’osent pas accepter les visites chez elles, jusqu’au jour où finalement, les ami(e)s vont découvrir cet univers particulier. S’il est inadapté à la vie en société, il fait découvrir la nature aux enfants, plein d’autres aspects de la vie! Je vous laisse découvrir la scène assez drôle avec la patriarche (la grand-mère qui tient les cordons de la bourse). Les deux fillettes sont aussi très bien, l’aînée, Imogene Wolodarsky, pré-ado un peu enrobée, est la propre fille de la cinéaste, la cadette est souvent irrésistible avec ses petites fossettes quand elle sourit! Je pense que c’est une vision très intéressante des troubles bipolaires, pour lesquels on parle plus souvent des phases dépressives, mais les phases maniaques peuvent être aussi très compliquées à vivre pour le malade… et surtout son entourage! Un film à voir!