Archives par étiquette : sociologie

Les mauvaises gens d’Etienne Davodeau

Couverture de Les mauvaises gens d'Etienne Davodeau

Étienne Davodeau était venu début 2011 avec Richard Leroy, le vigneron, à Poitiers lors du festival Filmer le travail, pour un spécial  » dessiner le travail « , avec une exposition et une interview par un sociologue. Son album les ignorants est désormais sorti, mais je me suis aperçu que j’avais oublié de vous parler de Les mauvaises gens, qu’il m’avait alors dédicacé. Cet album avait reçu le prix du meilleur scénario et le prix public du meilleur album au festival d’Angoulême en 2006.

Le livre : Les mauvaises gens de Étienne Davodeau (scénario et dessin), collection Encrages, éditions Delcourt, 2005, 183 pages, ISBN 978-2-84789-449-3.

L’histoire : en Anjou dans les Mauges, en Maine-et-Loire, de nos jours et des années 1950 à 1981. Étienne Davodeau a décidé de raconter l’histoire de ses parents et de centaines de jeunes gens comme eux, en menant un questionnaire sociologique. Ces jeunes gens se retrouvent à travailler dans des usines à la campagne (ici de confection de chaussures) dans des conditions difficiles et sous le joug de patrons paternalistes. Dans cette région catholique, les loisirs sont organisés par la JOC, jeunesse ouvrière catholique. Et voici que parmi cette jeunesse docile apparaissent des revendications pour améliorer les conditions de travail notamment : ce sont les réunions dans des maisons privées, la naissance d’un mouvement syndicaliste (CFTC, confédération des travailleurs catholiques, puis CFDT), la nomination de délégués, les rencontres avec la direction, l’arrivée de la première grève. L’élection de François Mitterrand en 1981 va-t-elle changer la donne?

Mon avis : un album de bande dessinée certes, mais rapporté comme une enquête de sociologie, avec Étienne Davodeau dans le rôle de l’enquêteur, et ses parents dans ceux d’enquêtés. J’adore ce style. Pas de nostalgie, la vie de l’usine était dure, mais elle avait aussi ses bons côtés. La bande dessinée est juste au service du récit, entre BD sociale et roman graphique. On n’y trouve pas encore la maîtrise graphique de Rural! Chronique d’une collision politique ou de les ignorants, mais le traitement à la façon d’un enquête sociologique rappelle les grands travaux des sociologues des années 2000 et les essais de transcriptions en bande dessinée, à la suite de ce volume pionnier d’Étienne Davodeau, avec par exemple La communauté de Hervé Tanquerelle (dessin et scénario) et Yann Benoît (scénario) (revoir mes avis sur la première et la deuxième parties, parues respectivement en 2008 et 2010) ou encore Apprenti, mémoires d’avant-guerre de Bruno Loth, paru également en 2010.

d’Étienne Davodeau

Davodeau et Joub

Kris et Davodeau

Pour découvrir l’auteur : voir le site d’Étienne Davodeau, que je trouve très riche… et la venue à Poitiers de l’auteur.

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Apprenti, mémoires d’avant-guerre de Bruno Loth

COuverture de Apprenti, mémoires d'avant-guerre de Bruno Loth pioche-en-bib.jpgUn album trouvé au hasard dans les bacs de la médiathèque.

Le livre : Apprenti, mémoires d’avant-guerre de Bruno Loth (dessin, scénario et couleurs), collection Hors Champ, éditions La boîte à bulles, 2010, 94 pages (77 planches plus un reportage d’une dizaine de pages), ISBN 978-2-84953-110-5.

L’histoire : 1935, sur un chantier naval à Bordeaux. Jacques (le père de l’auteur), alors bon élève, quitte l’école pour entrer comme apprenti aux Chantiers du Sud-Ouest, sa mère est malade, il faut aider son père, traminot, à faire bouillir la marmite. Accompagné par son père, il se présente aux Chantiers, entre directement dans le vif d’un atelier où règne la hiérarchie des ouvriers, des apprentis plus anciens, les derniers arrivés corvéables à merci, dans les tâches les plus risquées. Mais à côté, il y a aussi la montée du Front populaire, les filles, la naissance des mouvements d’auberge de jeunesse…

Mon avis : décidément, j’aime bien les bandes dessinées sociales, qui racontent une tranche de vie de la société, entre témoignage et histoire… Je vous le recommande chaudement, même si je ne suis pas complètement séduite par le graphisme et la mise en couleur de cet album…

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La communauté de Tanquerelle et Yann Benoît (tome 2)

Couverture de La communauté de Tanquerelle et Yann Benoît (tome 2)

pioche-en-bib.jpgLe contexte de lecture de cette bande dessinée est assez particulier, je vous renvoie à mon avis sur la première partie pour vous le remémorer. Sinon, sachez juste que je l’ai emprunté à la médiathèque suite à un avis de Zazimuth.

Le livre : La communauté [entretiens] deuxième partie de Hervé Tanquerelle (dessin et scénario) et Yann Benoît (scénario), éditions Futuropolis, 2010, 174 pages, ISBN 9782754802321.

L’histoire : dans la région de Nantes, de 1974 à 1985 et de nos jours. Hervé mène un entretien avec Yann, son beau-père, pour reconstituer l’expérience qu’il a vécue, la création et la vie d’une communauté à la campagne. Nous avons quitté dans le premier tome la communauté à son apogée, après une grande fête avec tout le voisinage, en 1974. La minoterie a été aménagée, l’atelier de sérigraphie fonctionne bien, chacun participe aux tâches communes (jardin, petit élevage, courses, atelier, garde des enfants, repas du midi et du vendredi soir). Si l’artisanat ne se vend pas bien, ils trouvent très vite un nouveau créneau, la fabrication de jouets en bois qu’ils vendent dans des salons d’abord, puis à des boutiques qui constituent leur carnet d’adresses. Avec l’extension, la vie communautaire devient pesante à chacun, surtout l’absence de budget privé: tout est mis en commun dans des caisses dédiées à chaque type d’activité ou de besoin de la communauté. L’individualisme finit par reprendre ses droits peu à peu, au fil des tensions, des coucheries (qui étrangement sont aussi partagées avec tout le groupe). AU début des années 1980, les premiers quittent la communauté, le début de la fin d’une utopie…

Mon avis : j’ai adoré, tant sur le fond, le récit de l’expérience sans en cacher ses aspects négatifs, que sur le graphisme. Les astuces de narration, qui permettent de voir tout le temps que l’on est dans le récit et la transcription d’un entretien (renforcé par la présence dans le champ de certaines cases du micro, ou l’interrogatoire de la femme de Hervé, fille de ), la vision « de haut », à la façon de témoins, la façon de montrer aussi le fossé entre la minoterie et le monde extérieur, que ce soit l’environnement proche (le village et ses habitants) ou plus lointain (les clients étrangers qui viennent visiter l’atelier de fabrication).

Pour aller plus loin : voir le site de Hervé Tanquerelle

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La communauté de Tanquerelle et Yann Benoît (tome 1)

Couverture de La communauté de Tanquerelle et Yann Benoît (tome 1) pioche-en-bib.jpgLe contexte de lecture de cette bande dessinée est assez étrange, je vais prendre le temps de vous situer le contexte, pour une fois. C’était il y a quelques semaines, début septembre. Quelques jours avant, Zazimuth avait parlé de cette bande dessinée et je l’avais fait venir d’une autre bibliothèque du réseau de la médiathèque. Ce vendredi soir, temps lourd, orage menaçant, je me fais une soirée BD au lit… Une pile de livres, une pile d’oreillers, un fond de musique classique… Il faut dire que j’étais revenue de la médiathèque avec un sac lourd, deux mangas de Tatsumi (mes premiers mangas!, voir Les larmes de la bête), quatre bandes dessinées (en respectant la parité, deux volumes d’auteures féminines, Une chance sur un million de Cristina Durán et Miguel A. Giner Bou et Anna en cavale de Lucie Lomová, et les deux tomes de La communauté), deux volumes de nouvelles (Sept histoires qui reviennent de loin de Jean-Christophe Ruffin et La lettre de Buenos Aires de Hubert Mingarelli), deux polars (La chambre des morts et Le syndrome [E], de Thilliez)… Le week-end était annoncé pluvieux, je voulais un minimum de réserve et pouvoir abandonner un livre s’il ne me plaisait pas… J’avais déjà lu les deux mangas et les deux BD de femmes quand j’ai attaqué La communauté vers 22h. Surprise dès la première page, il s’agit de la transcription d’un entretien de type sociologique… alors que je sortais de la deuxième journée d’une formation à … l’entretien sociologique (pour mon boulot). Je n’avais pas repéré qu’il s’agissait de ce type de travail! Je pensais juste tomber sur une BD de reportage dans le genre de celles d’Étienne Davodeau… (pour lequel je vous ai parlé de chute de vélo, Lulu femme nue, le tome 1 et le tome 2, Rural!, un monde si tranquille, 1 La gloire d’Albert, 2 Anticyclone, 3 Ceux qui t’aiment, je dois encore vous parler des Mauvaises gens, acheté l’année dernière en 2010 lors du festival Filmer le travail à Poitiers). J’ai lu ce soir là le tome 1, et le tome 2 le lendemain matin. Voilà, vous savez tout… ou presque. J’ai rédigé tous mes avis le samedi matin, programmés pour les semaines suivantes, en attendant une éclaircie pour aller au marché. Ah, au fait, je vous parlerai aussi du tome 2 de La communauté.

Le livre : La communauté [entretiens] première partie de Hervé Tanquerelle (dessin et scénario) et Yann Benoît (scénario), éditions Futuropolis, 2008, 173 pages, ISBN 9782754801614.

L’histoire : dans la région de Nantes, de 1968 à 1974 et de nos jours. Hervé mène un entretien avec Yann, son beau-père, pour reconstituer l’expérience qu’il a vécue, la création d’une communauté à la campagne. En mai 1968, Hervé était étudiant à Nantes. En 1972, avec ses frères, deux de ses sœurs et des amis (et l’aide de son père), il rachète le site d’une ancienne minoterie à moitié en ruine à la campagne. Ils y déménagent l’atelier de sérigraphie qu’ils avaient en ville, font le minimum de travaux pour rendre le lieu habitable par plusieurs familles, avec des espaces collectifs et des espaces individuels. Deux ans plus tard, le projet est bien lancé, la communauté est assez différente d’autres expériences de ce type: pas de drogue (mais pas mal de vin…), pas de sexe libre, du travail (à la sérigraphie pour des clients du monde capitaliste). Un récit de l’installation, du potager, des animaux, de la rénovation (puis de la construction de nouveaux bâtiments), les décisions collectives, l’intégration dans le tissu local avec les voisins méfiants, les amis devenus agriculteurs dans les Pyrénées-Orientales, etc.

Mon avis : j’ai adoré, tant sur le fond, le récit de l’expérience, que sur le graphisme. Les astuces de narration, qui permettent de voir tout le temps que l’on est dans le récit et la transcription d’un entretien, la vision « de haut », à la façon de témoins, de l’expérience, de la minoterie qui se transforme, de Hervé qui prend les traits d’un enfant au début, etc. L’alternance aussi de dessin à la plume et de dessins estompés, à l’encre, avec un effet presque photographique.

Pour aller plus loin : voir le site de Hervé Tanquerelle.

Logo 2012 du Top BD des blogueursCette BD sera soumise pour le classement du TOP BD des blogueurs organisé par Yaneck / Les chroniques de l’invisible. Mes chroniques BD sont regroupées dans la catégorie pour les BD et par auteur sur la page BD dans ma bibliothèque.

Du côté des hommes de Marie Rouanet

couverture de Du côté des hommes de Marie Rouannet pioche-en-bib.jpgIl y a quelques semaines, j’ai lu Nous les filles pour tenter de lever le voile sur le secret de l’antipetitserpentigraphe, un vrai mystère soulevé par Michel, responsable de Belvert/l’ethnoblogue… Il me fallait lire aussi son point de vue sur les hommes, direction donc la médiathèque

Le livre : Du côté des hommes, Marie Rouanet, éditions Albin Michel, 234 pages, 2001, ISBN 9782226126634 (a aussi été publié en livre de poche).

L’histoire : cette fois, Marie Rouanet nous présente le monde des hommes, notamment de son enfance, mais vu depuis l’intérieur des maisons, le domaine des femmes. Les hommes, c’est l’extérieur, la chasse, la pêche, les mystères de certaines cérémonies (lors du carnaval ou de fêtes religieuses). Les hommes, c’est aussi le travail, les odeurs (de sueur, du bleu de travail, de l’extérieur, en un mot), des histoires que les femmes (et encore moins les filles) ne doivent entendre.

Mon avis : ce livre est plus construit comme un récit que nous les filles, qui est plus un livre d’observation sociologique ou ethnographique, avec un appareil de notes sur les variantes de jeux d’enfants par exemple. Ici, nous vivons la vie des hommes vue par la lorgnette de la petite fille devenue mère et épouse, même si parfois, l’observation ethnographique prend le pas, comme vers la fin du livre, les récits de fêtes populaires. Je suis sûre que ce monde séparé d’hommes et de femmes, avec chacun son territoire, n’est pas si loin que cela malgré mai 1968 et la libération sexuelle…

Nous les filles, de Marie Rouanet

Couverture de Nous les filles, de Marie Rouanet pioche-en-bib.jpgPour percer le secret de l’antipetitserpentigraphe, j’ai sorti de la médiathèque ce livre, sur la recommandation de Michel, responsable de Belvert/l’ethnoblogue

Le livre : Nous les filles, de Marie Rouanet, éditions Payot , 365 pages, 1990, ISBN 2-228-88272-0.

L’histoire : dans un quartier modeste de Béziers, dans les années 1950. La narratrice nous raconte son enfance, ses jeux entre filles, la tenue du dimanche, la tenue de la semaine qu’il faut faire durer, l’école (celle des sœurs où elle est admise dans un quota de « pauvres »), les clans qui se font et se défont, les jeux sans jouets (jeux de mots, dînettes offertes par les ressources de la nature, etc.), le groupe lointain des garçons, le patronage, la colonie de vacances, le passage à l’adolescence, quand certaines entre en apprentissage, sont contraintes de se marier alors qu’elle entre au lycée.

Mon avis : un texte un brin nostalgique peut-être, mais superbement écrit, je l’ai dévoré au jardin, par un chaud après-midi de fin août… J’ai bien apprécié aussi, pour ceux qui veulent aller plus loin, les règles et variantes de certains jeux d’enfants, plutôt de fillettes, de la marelle, des osselets (joués différemment des garçons), etc. Assurément un témoignage qui servira dans le futur aux ethnologues (il y en a toujours aujourd’hui qui étudient les relations entre filles et entre garçons dans les cours d’école…). Et j’ai appris le secret de l’antipetitserpentigraphe, dans le jeu des métiers (faire deviner par un mime ou des questions un métier), mais chut… la signification est réservée aux initié(e)s. Il vous faudra donc lire ce livre !

J’ai aussi lu Du côté des hommes et Le crin de Florence de Marie Rouanet.

Logo du challenge ABC critique de BabelioJ’ai sélectionné ce livre pour le défi ABC critique organisé par Babelio.