J’ai longtemps hésité à vous monter ces graffitis, mais la multiplication de graffitis actuels qui les menacent m’incitent à vous les montrer avant qu’ils ne soient détruits… en espérant que la ville de Poitiers prendra conscience de l’importance de ceux-ci et leur offre une protection, ils sont actuellement dans le jardin qui sépare l’église Saint-Hilaire le Grand (revoir son chevet) du Clos Saint-Hilaire, dont je vous ai parlé la semaine dernière. Nous sommes donc sur l’enfeu de Constantin de Melle, sur les deux zones encadrées.
Sur la colonnette gauche est gravé le début d’un alphabet en minuscule, un tracé qui ressemble à un jeu de mérelle (ou jeu du moulin) et le début d’un alphabet en majuscule. Il pourrait être contemporain du tombeau, à la fin du 11e siècle.
Le tracé de l’alphabet renvoie (voir références en fin d’article) au rituel de consécration de l’église, dans lequel l’évêque trace au sol avec de la cendre un alphabet latin et un alphabet grec. Des alphabets gravés ont aussi été trouvés dans un certains nombres d’églises romanes. L’alphabet en minuscule est tracé ici de a à m, sans le J (à l’époque, I et J se confondent). Pas de k non plus. Voici le détail de a à g…
… et en tournant autour de la colonnette, de e à m. En-dessous, on voit un jeu de mérelle ou de marelle ou jeu du moulin (voir la règle du jeu par exemple ici) est un jeu qui devient familier au 14e siècle. Son tracé rappelle celui du labyrinthe (voir les interprétations de ce dernier dans l’article sur le labyrinthe de la cathédrale de Poitiers).
En dessous se trouve le début d’un alphabet en majuscule, A, B, C et D avec la courbe du D à l’envers. Il s’agit bien d’un alphabet latin, et non de l’alphabet grec. La forme du A incite à dire que cet alphabet majuscule est de la même main que les minuscules au-dessus.
Un autre jeu de mérelle (flèche rouge) est tracé sur le mur du fond de l’enfeu. Il est accompagné de plusieurs croix (flèches bleues) et est sans doute lié au passage de pèlerins.Son tracé est plus hésitant que le précédent. Au passage, rappelons que mérelle est aussi le nom de la coquille du pèlerin.
Pour aller plus loin :
– Cécile Treffort : Opus litterarum, l’inscription alphabétique et le rite de la consécration de l’église (IXe-XIIe siècle), Cahiers de civilisation médiévale, n° 53, 2010, p. 153-180.
– plus facile à trouver, mais juste quelques lignes sur le sujet, p. 222 : Cécile Treffort, l’amour des lettres: culture écrite et jeux graphiques en Poitou et dans les pays charentais à l’époque romane, dans le catalogue de l’exposition L’âge roman, arts et culture en Poitou et pays charentais (Xe-XIIe siècles), musée de Poitiers, 2011, éditions Gourcuff-Gradenigo.