Archives de catégorie : Cinéma

Les films que j’ai vus au cinéma ces dernières années.

La isla minima, de Alberto Rodríguez

Affiche de La isla minima, de Alberto RodríguezJ’ai vu il y a une quinzaine de jours La isla minima, de Alberto Rodríguez.

Le film : au sud de l’Espagne, dans les marais du Guadalquivir, dans les années 1980, juste après la chute de Franco. Deux flics sont envoyés de Madrid dans un village où la fête bat son plein, mais où deux jeunes filles ont disparu. Pedro [Raúl Arévalo], jeune flic progressiste mis au placard pour avoir dénoncé les agissements d’un supérieur, et Juan [Javier Guttiérez], le baroudeur violent au passé trouble sous le régime fasciste. Ils vont devoir travailler ensembles, enquêter en milieu hostile, dans une société machiste (ces deux jeunes filles n’étaient-elles pas des filles faciles?), alors que les ouvriers agricoles sont en grève pour améliorer leurs salaires… mais le gros propriétaire terrien du coin préfère faire réprimer le mouvement que de négocier. Les jeunes filles sont vite retrouvées dans le marais, mortes…

Mon avis : les deux acteurs principaux sont excellents, mais le rôle principal est tenu par… le marais! Le film s’ouvre par de superbes vues aériennes du delta du Guadalquivir, et les recherches sur les chemins à travers ce marais en font quasiment un personnage à part entière! Au-delà du polar, ce film aborde également le poids du passé, du franquisme encore récent (tellement récent que des photos de Franco et de Hitler sont accrochées au crucifix de la chambre d’hôtel), de la gestion de ce passé: pardon, oubli, condamnation? Juan est certes violent, son passé trouble est révélé à son collègue par un photographe, mais ses méthodes « musclées » n’ont-elles pas permis d’obtenir des indices? Que valent des informations obtenues par la violence? Le film n’est pas passé longtemps à Poitiers, j’espère que vous pourrez encore le voir chez vous, sinon à ne pas rater quand il passera à la télévision dans quelques mois.

Les nuits blanches du facteur, de Andreï Kontchalovski

Affiche de Les nuits blanches du facteur, de Andreï KontchalovskiSortie cinéma dimanche en fin d’après-midi avec Les nuits blanches du facteur, de Andreï Kontchalovski.

L’histoire : de nos jours dans le nord de la Russie, autour du lac Kenozero. Chaque jour, Lyokha le facteur [Aleksey Tryaptisyn], abandonné par sa femme, qui a arrêté de boire depuis deux ans, apporte aux villageois tout autour du lac le courrier, le pain, les journaux et surtout leur maigre pension. Il rend aussi visite à Irina [Irina Ermolova], la femme qu’il aime depuis son enfance, vit seule avec son jeune fils, Timur [Timur Bondarenko], à qui il entreprend de faire découvrir la vie d’avant, l’ancienne école en ruine, les légendes dont celle de la sorcière Kikimora qui habite le lac. Il rend aussi de multiples menus services, que ce soit à « Brioche », l’alcoolique du coin orphelin depuis l’âge de cinq ans, ou au général qui vient braconner dans le lac. Parfois, le matin, il voit un chat siamois tout gris, qui évidemment n’est pas là… Un jour, il se fait voler son moteur de bateau et part à la ville pour se le faire remplacer…

Mon avis : un film lent, très lent. Soit mon russe -appris sur le tas- est vraiment très rouillé, soit les personnages (notamment le vieil orphelin alcoolique) parlent tellement dans leur barbe qu’il est difficile de les comprendre, en dehors des mots courants (bonjour et salut, d’ailleurs sous-titrés de la même manière et sans nuance, merci, les nombres pour le compte des billets des pensions, le pain, les pommes de terre, etc.). Visiblement, d’autres personnes présentes à la même séance ont eu encore plus de mal que moi à suivre, ne pouvant pas goûté au décalage entre la vie rurale et la vie urbaine ou la base de lancement de Plesetsk. Les paysages de la réserve naturelle du lac de Kenozero [voir le site officiel en russe], classée au patrimoine mondial par l’Unesco, dans le district de Plesetsk (région d’Arkhangelsk, une ville de 350 000 habitants), sont superbes, hors du temps, filmés ici dans des paysages d’été et d’automne. Un bac, quelques heures de bus et voilà la vie urbaine contrastée qui attire les jeunes du coin… La vie rurale y ressemble beaucoup à ce que j’ai pu partager il y a une grosse vingtaine d’années dans l’est de l’Ukraine, pas d’eau courante, ils ont de l’électricité*, et donc captent la télévision, plutôt sur de vieux postes. L’intérieur de la maison d’Irina, avec sa nappe en toile cirée, son réchaud, sa cheminée au centre de la pièce à vivre, me rappelle l’intérieur de la maison où nous mangions. Mon voisin de siège n’a pas compris -et longuement commenté avec sa femme à voix basse- pourquoi le facteur demande une soucoupe (à hauts bords), y verse son thé depuis sa tasse et le boit dans la soucoupe plutôt que dans la tasse , c’est que ce monsieur n’a jamais goûté le thé brûlant sortant du samovar, même dilué avec l’eau moins chaude de la théière à côté, ça reste trop chaud pour être bu rapidement au milieu de la tournée à poursuivre… Bref, pour un spectateur non averti, le film peut sembler s’étirer interminablement pendant 1h45, mais profitez donc de la vie simple de la campagne profonde, les légendes qui restent vivantes (et participent à l’éducation des enfants), voyez ce film presque comme un reportage ethnographique… même si la garde-pêche ne se laisse pas corrompre par les habitants/braconniers, ce qui a peut de chance d’être vrai 😉 Notre société ne prend pas assez le temps de vivre et de s’ennuyer, de profiter du temps présent, ce film devrait vous y aider pendant un tout petit moment!

* en Ukraine, nous n’avions pas l’électricité, restrictions post-Tchernobyl obligent dans une zone située à l’est de la centrale donc pas touchée, les vents ayant chassé le nuage radioactif vers l’ouest et surtout la Biélorussie – pas du tout la France, si vous vous souvenez bien!

Daddy cool de Maya Forbes

Affiche de Daddy cool de Maya ForbesSortie cinéma ce week-end, avec Daddy cool de Maya Forbes.

Le film : à Boston à la fin des années 1970. Un couple et leurs deux fillettes, Amélia et Faith. La mère, Maggie [Zoe Saldana] noire et jeune juriste prometteuse. Lui, Cameron Stuart [Mark Ruffalo], descendant de l’une des plus grandes familles de Boston, et diagnostiqué bipolaire. Alors qu’il n’avait pas pris ses médicaments, il « pète les plombs » et se retrouve interné, shooté aux tranquillisants. Contre promesse de prendre ses médicaments, il emménage dans un appartement thérapeutique. Pour trouver un meilleur travail, Maggie décide de reprendre ses études, est acceptée comme boursière à Columbia à New-York, mais impossible d’y vivre avec ses filles. Elle va donc accepter que le père s’installe dans l’appartement familial, avec les filles, et elle rentrera chaque week-end. Commence alors une drôle d’années, avec un père « pas dans la norme ».

Mon avis: j’ai lu que ce film était en grande partie auto-biographique, la cinéaste et sa sœur ayant été élevées par leur père bipolaire. A part l’épisode de départ, en pleine dépression, le père est en phase maniaque pendant la plus grande partie du film, envahissant pour ses filles, ne sachant pas maîtriser ses envies, il collectionne tout ce qu’il trouve, en quête de reconnaissance il tente de s’imposer auprès des voisins et des copains des filles, qui ont honte et n’osent pas accepter les visites chez elles, jusqu’au jour où finalement, les ami(e)s vont découvrir cet univers particulier. S’il est inadapté à la vie en société, il fait découvrir la nature aux enfants, plein d’autres aspects de la vie! Je vous laisse découvrir la scène assez drôle avec la patriarche (la grand-mère qui tient les cordons de la bourse). Les deux fillettes sont aussi très bien, l’aînée, Imogene Wolodarsky, pré-ado un peu enrobée, est la propre fille de la cinéaste, la cadette est souvent irrésistible avec ses petites fossettes quand elle sourit! Je pense que c’est une vision très intéressante des troubles bipolaires, pour lesquels on parle plus souvent des phases dépressives, mais les phases maniaques peuvent être aussi très compliquées à vivre pour le malade… et surtout son entourage! Un film à voir!

Mustang de Deniz Gamze Ergüven

Affiche de Mustang de Deniz Gamze ErgüvenDepuis ma dernière chronique cinéma, j’ai vu La loi du marché, mais je vous en parlerai une autre fois. J’ai aussi vu ce week-end Mustang, de Deniz Gamze Ergüven, présenté à la Quinzaine des réalisateurs au dernier festival de Cannes.

L’histoire : de nos jours dans un village reculé de Turquie, sur la côte, à 1000 km d’Istanbul. C’est la dernière journée de l’année scolaire, un groupe d’enfants et d’adolescent(e)s décident de rentrer à pied. Sur la plage, tout le monde finit à l’eau, les plus grands jouent, filles à cheval sur les épaules des garçons… Mais arrivées chez elles, cinq sœurs, âgées de 12 à 16 ans et orphelines, sont attendues par leur grand-mère [Nihal Koldaş]. Les aînées sont battues, contraintes à un examen gynécologique de virginité, les filles sont peu à peu enfermées dans la maison, les oncles, dont Erol [Ayberk Pekcan] sont terribles. Elles réussissent quand même à s’échapper par une fenêtre et une brèche dans la clôture pour aller voir un match de foot réservé aux femmes suite à des débordements de hooligans. Couvertes par une tante, néanmoins, au retour, les clôtures sont améliorées et la famille cherche un mari aux aînées…

Mon avis : un très beau film, qui montre aussi l’écart entre la ville (Istambul fantasmée par les jeunes filles) et la vie dans une campagne reculée, avec les conséquences du qu’en dira-t-on et des bienséances vis-à-vis du voisinage. Il aborde aussi les conséquences du mariage forcé: seule l’aînée, Sonay [İlayda Akdoğan] réussit à imposer son amoureux, la seconde, Zelma [Tuğba Sunguroğlu] se marie le même jour avec un garçon qu’elle n’a vu qu’une fois, la troisième, Ece [Elit İşcan] se suicide pour échapper à son sort… Quant aux deux plus petites, Lale [Güneş Nezihe Şensoy] et Nur [Doğa Zeynep Doğuşlu], je vous laisse voir le film… Dit comme ça, cela peut sembler une tragédie, mais il y a beaucoup de moments très drôles avec ces cinq jeunes actrices formidables dans leurs rôles! Une fois n’est pas coutume, j’ai aussi trouvé la bande originale de Warren Ellis très réussie, pas trop présente mais soulignant juste ce qu’il faut dans le film. La Turquie est pleine de contrastes aujourd’hui, elle qui vient quand même d’élire 17% de femmes aux dernières élections législatives, des femmes présentées pour la plupart par le parti kurde qui n’a pas non plus hésité à présenter un candidat homosexuel qui revendique sa sexualité, et qui vient de refuser ce qui aurait débouché sur les pleins pouvoirs au très conservateur Recep Tayyip Erdoğan. Elle est pleine de contrastes aussi dans ce film, jusqu’à ce retour d’école, les filles étaient très libres, très émancipées. La grand-mère les punit sévèrement, restreint leur liberté… mais fournit un manuel d’éducation sexuelle à la veille du mariage des deux aînées. Il montre aussi la complicité des médecins, qui ne refusent pas l’examen de virginité… ni l’examen de non-virginité le lendemain du mariage de la seconde, qui n’a pas saigné lors de sa nuit de noces. De l’espoir aussi, avec ce match de foot réservé aux femmes, ou l’artisan (d’une minorité ethnique) qui accepte de les aider discrètement. Vite, allez voir ce très beau film!!!

Nos femmes, de Richard Berry

Affiche de Nos femmes, de Richard BerryIl y a déjà une quinzaine de jours que je suis allée voir au cinéma, sur les conseils d’une amie, Nos femmes, de Richard Berry. Le film est adapté d’une pièce d’Éric Assous, créée en 2013 au théâtre de Paris par et avec Richard Berry, accompagné de Daniel Auteuil et Didier Flamand, remplacés en tournée par Jean Reno et Patrick Braoudé.

Le film : à Paris de nos jours. Amis depuis 35 ans, Max [Richard Berry], Paul [Daniel Auteuil] et Simon [Thierry Lhermitte] ont réussi dans la vie, les deux premiers comme radiologue et rhumatologue, le dernier comme coiffeur à la mode. Ils se retrouvent chaque année pour des vacances et célibataires et régulièrement le soir pour des parties de carte. La nouvelle soirée doit avoir lieu chez Max, appartement nickel, disques du bas en haut des murs. Avec Paul, il s’impatiente du retard de Simon. Le voici qui finit par arriver, avalant coup sur coup des verres d’alcool fort. Il dit s’être disputé avant de partir avec sa femme, Estelle [Pauline Lefèvre], qu’il a fini par étrangler et qu’il a laissée pour morte ! Il supplie ses deux amis de lui fournir un alibi… avant de s’endormir, abruti par les calmants qu’il a avalés comme des bonbons.

Mon avis : j’ai trouvé ce film très « lourdingue », s’il a sans doute fait rire les acteurs au cinéma comme au théâtre, il ne m’a pas fait rire du tout, j’ai oscillé entre ennui et affliction. Alors que les violences faites aux femmes sont un vrai sujet à traiter au cinéma, ici, on assiste à un film de potaches qui banalise complètement cette question et ne fera pas avancer la cause des femmes battues et de toutes celles qui meurent sous les coups de leur mari (une femme meurt sous les coups de son mari tous les trois jours en France, deux hommes sous les coups de la conjointe par mois… et je n’ai trouvé qu’un homme tué par son conjoint depuis le mariage pour tous). Certes, il est possible de rire de tout (ou de beaucoup de choses), mais là, la présentation est vraiment trop « déculpabilisante » pour les maris violents. Surtout que finalement, laissée pour morte, la femme est allée porter plainte, ce n’était donc pas si grave??? Affligeant! Il paraît que le sujet du film est plutôt jusqu’où peuvent aller de vieux amis, mentir à la police, couvrir un ami? Une suite de bons mots (et encore, bons mots, ça se discute) ne fait pas un bon film… Bref, pas drôle du tout, le trio a mal vieilli !

Every thing will be fine, de Wim Wenders

Affiche de Every thing will be fine, de Wim WendersMétéo pourrie donc le week-end dernier. Après Le labyrinthe du silence de Giulio Ricciarelli, je suis allée voir Every thing will be fine will be fine, de Wim Wenders, en version 2D. Contrairement au cinéma commercial, dans la salle art et essai, nous avons la chance de pouvoir choisir entre la 3D (sans supplément) et la 2D, pour ceux qui ne peuvent pas voir en 3D (nous sommes finalement nombreux dans ce cas), ce qui m’a empêchée de voir par exemple le dernier film de Jean-Jacques Annaud, Le dernier loup.

Le film : il y a une dizaine d’années quelque part au Canada. Dans une cabane de pêcheur sur un lac gelé, Tomas [James Franco], un jeune écrivain, tente d’avancer son deuxième livre. Au retour, il se dispute au téléphone avec son amie quand, au détour d’un virage sur un petit chemin de terre, il percute une luge. Un enfant est indemne, il le ramène à la maison où sa mère, Kate [Charlotte Gainsbourg], lit avant de s’apercevoir qu’il manque son deuxième enfant… Tragique accident, la mère, pratiquante fervente, pardonne et poursuit son travail d’illustratrice en élevant Christopher, Tomas fait une tentative de suicide, quitte son amie, déménage, puis refait sa vie, se remet à écrire, un livre bien meilleur qui sort deux ans plus tard. Il revient sur le lieu de l’accident, veut voir la mère, lui dire qu’elle est coupable de ne pas avoir surveillé ses fils. Christopher [Robert Naylor] devient adolescent, est obnubilé par l’accident et son auteur…

Mon avis: j’ai eu l’impression de me perdre parfois dans les à-côtés de cette histoire, les relations avec l’éditeur (pour y rencontrer sa nouvelle amie), avec le père (chez lui puis en maison de retraite), etc. Wim Wenders a mis en scène un personnage pas sympathique, Tomas, un écrivain qui pense d’abord à lui, à ses livres, à son travail, avant ses amies, sa belle-fille, Christopher qui aimerait avoir des explications, la mère qui a perdu son fils. Deuil impossible de la mère (réfugiée dans son travail et la religion), du fils survivant, alors que l’auteur de l’accident rebondit sans vrais remords. Le film est à la fois long (2h) mais sans réussir à approfondir les deux personnages principaux, dont l’une (Charlotte Gainsbourg) disparaît à la fin, on assiste au déménagement, le fils laissé seul explique qu’elle est partie dans sa famille en Angleterre… certainement juste pour expliquer au spectateur d’Amérique du Nord son accent british. Je n’ai pas été entièrement emballée par ce film.

Le labyrinthe du silence de Giulio Ricciarelli

Affiche de Le labyrinthe du silence de Giulio RicciarelliilenceWeek-end pourri, week-end cinéma…. Je n’ai pas eu le courage d’aller au marché aux fleurs de Saint-Benoît, près de Poitiers, avec la fin du trajet à faire en navette (départ toutes les 20 minutes pour un trajet de quelques minutes, environ 20 minutes si on le fait à pied…). Le premier film que j’ai vu est Le labyrinthe du silence de Giulio Ricciarelli, je vous parle demain de Every thing will be find.

Le film : Francfort-sur-le-Main, 1958. Johann Radmann [Alexander Fehling] est un jeune procureur chargé des infractions routières, où il prête de l’argent à Marlène [Friederike Becht] pour l’aider à payer son amende. Un jour, un journaliste, Thomas Gnielka [André Szymanski] fait irruption au tribunal. Son ami, Simon Kirsch [Johannes Krisch] rescapé d’Auschwitz, a reconnu l’un de ses bourreaux dans la cour d’un collège.  Il souhaite le faire sinon juger, du moins suspendre… Mais rien ne se passe, les juges et procureurs veulent continuer à enterrer le passé, conformément aux souhaits d’Adenauer. Dans un souci de réconciliation nationale, tous les délits commis sont prescrits, seuls les crimes pourraient être jugés.  Le procureur général Fritz Bauer [Gert Voss] encourage Johann Radmann a aller plus loin. Né dans les années 1930, il n’a jamais entendu parler d’Auschwitz qu’il prend pour un camp de regroupement et il découvre peu à peu la réalité du camp d’extermination et de concentration. Seul, puis aidé d’un second procureur, Otto Haller [Johann von Bülow], il va plonger dans les archives nazies récupérées par les Américains, auditionner des dizaines de survivants grâce à l’association des rescapés d’Auschwitz, recueillir les témoignages pour arriver au procès après plusieurs années d’efforts…

Mon avis: le réalisateur et les scénaristes ont choisi de regrouper les trois procureurs du procès de Francfort en un seul, le jeune, beau et naïf Johann Radmann [Alexander Fehling], pour les 50 ans de ce procès (20 décembre 1963 – 19 août 1965). Si le film montre bien l’ignorance de sa génération sur ce qui s’est passé dans les camps d’exterminations et les camps de concentration, son histoire d’amour avec Marlène n’apporte rien au récit, si ce n’est d’introduire la question du père, celui de la fille réunissant chaque mois bruyamment et en beuverie ses « amis » (Radmann l’interroge sur la relation entre les atrocités commises par son régiment et l’alcool), celui de Radmann aussi, disparu sur le front de l’est, sorte de héros mythique jusqu’à ce qu’il découvre qu’il avait aussi été membre du parti nazi. Introduire ce personnage rend probablement le film plus vivant et surtout plus « incarné » que dans la réalité. Sinon, le film relate des faits réels et trace les contradictions de cette Allemagne de l’Ouest une quinzaine d’années après les faits, même les Américains conseillent de tourner la page, l’ennemi n’est pas l’ancien nazi mais le communiste soviétique (et Auschwitz se trouve en Pologne, près de Łódź, au-delà du mur). Seuls 150 nazis avaient été jugés à Nuremberg, par les alliés, ce sont les 20 mois du procès très médiatisé de Francfort, premier procès « de masse » mené par une accusation allemande, qui va permettre la prise de conscience de l’ampleur des crimes nazis dans la population, même si aucun des accusés ne les reconnaîtra, ils se présenteront comme de simples exécutants des ordres. L’épisode de la traque contre le Dr Mengele, le procureur solitaire contre de puissantes protections qui lui permettent de faire impunément des allers-retours entre l’Amérique du Sud et l’Allemagne, est également romancé mais inspiré de la réalité, de même que la remise de documents au Mossad (les services secrets israéliens) qui aboutiront à l’arrestation et le jugement en Israël d’Adolph Eichmann (jugé en 1961, exécuté en 1962, avant l’ouverture du procès de Francfort en 1963). Si chez nous on présente le procès d’Oskar Gröning, à Lunebourg, comme le procès du comptable d’Auschwitz, ce n’est pas pour son travail de « comptable », affecté aux registres et à la gestion des objets récupérés sur les déportés, qu’il est jugé, mais pour avoir au moins une fois participé à une « sélection » et donc pour « complicité de 300 000 meurtres aggravés », le droit allemand a évolué depuis le procès de Francfort où seuls pouvaient être condamnés ceux qui avaient directement causé la mort d’au moins un prisonnier, sur les 22 accusés, 5 furent acquittés faute de preuves (11 condamnés à la prison à vie, 6 à des peines inférieures).

Le film parle d’ comme un tout, sans évoquer la complexité de ce camp, entre camp d’extermination (ceux qui sont « sélectionnés » dès l’entrée pour aller au four crématoire à Birkenau, le camp des femmes dont le nom n’est jamais prononcé), et camps de travail au pluriel, à Auschwitz, à Birkenau (moins de 2 km d’écart) et dans les camps « annexes » dont il est tant question dans les livres de témoignages et récits de , déportée à Auschwitz-Birkenau et son annexe de Rajsko, voir notamment Aucun de nous ne reviendra, Le convoi du 24 janvier, La mémoire et les jours.

Pour aller plus loin : suivre mes mots clefs sur les camps de concentration et particulièrement sur . Pour le Dr Mengele, lire sa biographie résumée d’un point de vue éthique dans Hippocrate aux enfers, de Michel Cymes.

La Niña de fuego, de Carlos Vermut

Affiche de La Niña de fuego, de Carlos VermutJ’ai vu ce film la semaine dernière en avant-première (d’où l’affiche espagnole…) au Tap-cinéma dans le cadre du festival du film hispano-américain organisé par le comité local de France Amérique latine, l’université de Poitiers et le TAP. La Niña de fuego, magical girl, de Carlos Vermut, a reçu les prix du meilleur film et du meilleur réalisateur au dernier festival de San Sebastian.

Le film : à Madrid de nos jours. Alicia [Lucía Pollán], une fillette d’une douzaine d’années, atteinte d’une leucémie, est chouchoutée par son père, Luis [Luis Bermejo], ex-professeur devenu chômeur avec la crise. Il a absolument besoin de trouver de l’argent pour lui offrir la robe, inspirée de la série japonaise « Magical Girl Yukiko », dont elle rêve sans même lui avoir demander. Alors qu’il réfléchissait au moyen de faire un casse à la bijouterie voisine, une jeune femme, Bárbara [Bárbara Lennie], vomit par la fenêtre… . Invité à aller se changer, il finit dans son lit et enregistre les ébats à son insu, l’argent du riche mari psychiatre devrait permettre de faire face. Mais pour Bárbara, impossible de faire appel à son argent, elle décide de renouer avec une ancienne connaissance interlope. Pendant ce temps, Damiàn [José Sacristán], un vieil homme, ancien professeur de mathématiques, essaye de retarder le moment de sortir de prison, il ne voudrait surtout pas revoir une certaine Bárbara, qui fut son élève et l’envoya en prison quand elle avait 12 ans…

Mon avis: j’ai trouvé que ce film avait une forme assez originale, avec un rôle important de la bande musicale. Du passé de Bárbara, on apprend peu de choses, par petites touches, mais Luis a fait le mauvais choix en la faisant chanter pour satisfaire le plaisir de sa fille malade. Bárbara, psychiquement perturbée (à cause de son passé?), n’hésite pas à plonger dans un curieux enfer de débauche dont on ne voit que le résultat final (elle est devenue une sorte de momie bandée sur un lit d’hôpital) et sa vengeance des hommes, jadis contre son professeur de mathématiques, qui a fait de la prison (beaucoup de prison!) à cause d’elle mais sans plus de précisions et qui va cette fois basculer lui-même dans la violence pour la vengeance de celle-ci. Un thriller qui aurait pu tourner au bain d’hémoglobine à l’écran à la fin, mais ici, le réalisateur préfère la suggestion, le bruit, le résultat final, pas la scène elle-même, et c’est sans doute encore plus efficace! A ne pas rater quand il sortira en salle (pour l’instant prévu le 12 août 2015) ou s’il passe aussi près de chez vous en avant-première.

Taxi Téhéran de Jafar Panahi

Affiche de Taxi Téhéran de Jafar PanahiCe film a reçu l’ours d’or au dernier festival de Berlin. Interdit de tournage et de sortie d’Iran, Jafar Panahi a réussi à déjouer le régime, à réaliser un film et à le faire sortir d’Iran!

L’histoire : à Téhéran, de nos jours. Au volant de son taxi, Jafar Panahi accueille une série de passagers, un homme et une femme débattent de la peine de mort, un revendeur nain de DVD de films interdits en Iran (dont Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan et Magic in the Moonlight de Woody Allen), un blessé d’un accident de deux roues et sa femme larmoyante, deux dames qui veulent relâcher des poissons rouges dans une fontaine, sa nièce qu’il va chercher (en retard) à la sortie de l’école, Nasrin Sotoudeh, dans son propre rôle d’avocate militante des droits de l’homme (et de la femme)… Piètre chauffeur, il ne sait pas bien se diriger dans la ville mais celle-ci se révèle au fil des scènes!

Mon avis: le dispositif de prise de vues est composé d’une caméra triple cachée dans la boîte à mouchoirs du taxi, qui permet de filmer le chauffeur, l’avant de la voiture et les passagers. Le toit ouvrant du taxi laisse entrer la lumière tout en gardant une grande discrétion. Qu’est-ce qui a été écrit, qu’est-ce qui constitue des vraies scènes, écrites avec et pour des acteurs (même si ce sont des proches du réalisateur qui ne voulait pas impliquer d’autres personnes dans son projet pour ne pas les mettre en danger, la « nièce » est en fait sa fille), de « vrais » clients se cachent-ils parmi les passagers du taxi? Assurément non, toujours pour des questions de sécurité, mais il doit y avoir une bonne part d’improvisation dans ces dialogues… Ces petites ou longues scènes sont l’occasion de voir Téhéran aujourd’hui, au moins les passants aperçus au loin sont vrais, les rues pas si dégradées que cela (parfois moins même qu’à Poitiers!). Les sujets abordés permettent de dénoncer la peine de mort (très appliquée en Iran), le mariage, l’inefficacité de l’interdiction des films, qui entrent quand même en DVD, le tout traité avec beaucoup de légèreté et d’humour. Jusqu’à la scène finale et au générique (ou plutôt son absence), tout est traité avec le sourire, Jafar Panahi est souriant d’un bout à l’autre du film alors qu’il a traversé une période de grande déprime après son interdiction de tourner en 2010. Un film à découvrir!!!

 

Crosswind de Martti Helde

Affiche de Crosswind de Martti HeldeCrosswind, la croisée des vents, de Martti Helde, est sorti depuis plusieurs semaines et sa projection se termine aujourd’hui à Poitiers. Je n’ai pu le voir qu’hier, j’attendais qu’il passe à un horaire qui me convienne (18h)…

Le film: 14 juin 1941. Erna [Laura Peterson] et Eldur [Mirt Preegel] vivent heureux avec leur petite fille, Eliide [Ingrid Isotamm], quand ils sont arrêtés, embarqués sur des camions puis dans des wagons à bestiaux. Lui d’un côté, elle de l’autre avec la fillette. Direction la Sibérie, elle est placée avec d’autres Estoniens et surtout Estoniennes dans un village perdu, contrainte à travailler à l’abattage des arbres. Privée de nourriture, la fillette décède vite, au fil des mois, des années, elle continue à écrire ses peurs, ses espoirs à son mari…

Mon avis: un film tourné en noir et blanc de manière très originale. Les scènes en Estonie, au début et à la fin, sont tournées de « manière normale », avec une très belle lumière notamment sur le verger de pommiers en fleurs ou lors de la promenade en barque. Tout le reste du film est composé de longues scènes figées, avec des acteurs immobiles. Ici un oeil cligne, là un rideau bouge, mais pas les personnages, seule la caméra se déplace et film lentement la scène, embarquement dans les wagons, vie dans les masures, travail dans la forêt, etc. La scène de fête, avec danse un peu forcée entre les villageois et les déportés, où la mort de Staline est annoncée à la radio, le 5 mars 1953, est surréaliste, d’autres font tout pour associer dans l’imaginaire cette déportation à celles menées par l’Allemagne nazzie, notamment un énorme tas de bottes et chaussures. Je ne suis pas d’accord avec la dernière image, « en hommage aux victimes de l’Holocauste soviétique », Holocauste doit rester aux victimes des nazzis, génocide oui, Holocauste non. Épuration ethnique sans aucun doute, 10.000 Estoniens furent déportés sur ordre de Staline dans cette rafle du 14 juin 1941, la moitié n’en est pas revenu (dont le mari, fusillé 5 mois après son arrivée en Sibérie). Mais il s’agit d’une déportation d’opposants politiques (ou supposés politiques), pas d’une déportation d’hommes considérés comme « inférieurs », triés à l’arrivée pour être soit assassinés directement, soit d’abord utilisés comme du bétail pour finir à leur tour assassinés. Les déportés des Pays baltes ont eu en gros le même sort que les déportés politiques (résistants, etc.) par les nazzis (relire Les naufragés et les rescapés, de Primo Levi pour son analyse des profils de ceux qui ont survécu), ils ont constitué une main d’oeuvre corvéable à merci, avec un taux de mortalité énorme, mais sans plan d’élimination systématique. Les chiffres donnés à la fin mélangent aussi un peu tout. Aux 10.000 raflés de juin 1941 se sont ajoutés 90.000 Estoniens, Lituaniens et Lettons, arrêtés entre le 25 et le 29 mars 1949 et non mentionnés dans le générique, ou plutôt « amalgamés » avec les autres victimes. Pour arriver à plus de 580.000 victimes baltes annoncées à la fin du film, il faut ajouter les déportés en Sibérie, mais aussi les victimes des crimes nazzis (pensez à la famille de Roman Kacew / et relisez Éducation européenne), de la famine, etc. Ces déportations n’ont été dénoncées par Krouchtchev qu’en 1956, début du retour des survivants, et ce n’est que le 14 novembre 1989 que la Russie reconnaît les crimes staliniens et permet l’ouverture partielle des archives et l’annonce officielle des décès. Il ne faut pas minimiser ces crimes contre l’humanité, mais créer l’amalgame ne sert pas au propos ni à établir la « vérité historique ». A cette réserve près, qui concerne des mentions à la fin du film, en générique en quelque sorte, je vous conseille vivement de le voir pour ces longs tableaux quasi muets qui se succèdent, avec juste la lecture des lettres, le film d’un jeune réalisateur (27 ans) dont le grand-père a fait partie des victimes de cette rafle de 1941.