Aujourd’hui, c’est Maryse qui partage l’une de ses lectures avec vous…
Le livre : Capitaines des sables, de Jorge Amado, traduit du portugais par Vanina, collection L’Imaginaire, numéro 141, Éditions Gallimard, 1984 [première parution 1952], 308 pages, ISBN 9782070702374.
L’auteur: Jorge Amado est né en1912 à Ferradas, dans une plantation de cacao du sud de l’état de Bahia au nord-est du Brésil. Son enfance a été marquée par la rudesse de cette terre que les planteurs disputent. A l’âge de 13 ans, il fuit l’école religieuse pour courir la campagne. Il part ensuite à Rio de Janeiro et publie son premier roman « Le pays du carnaval » à l’âge de 19 ans. Un an après son roman « Cacao » le classe parmi les écrivains les plus populaires du Brésil. Engagé politiquement, devenu docteur en droit en 1936, à la veille de la dictature de l’Estado Novo, ses livres sont interdits et il est emprisonné. Contraint de s’exiler en Argentine, il ne regagne son pays que lorsque celui-ci se range aux côtés des Alliés de l’Axe. Il reprend alors son activité politique et littéraire et en 1945 devient membre du parti communiste. Ce parti est interdit en 1945, il doit donc à nouveau s’exiler et part en France où il côtoie Picasso, Aragon, etc… puis va en Tchécoslovaquie, en URSS. Il rentre au Brésil en 1953 et publie de nombreux romans.
J’ai lu plusieurs livres d’Amado grâce à un ami brésilien étudiant à Poitiers, dont « Les pâtres de la nuit », « Cacao », « Bahia de tous les saints », « Gabriela, Girofle et Cannelle » et « Capitaines des sables ».
J’ai choisi ce dernier titre car il fallait bien commencer par l’un d’entre-eux.
Présentation du livre: Dans un coin abandonné et désert des entrepôts de Bahia, grand port brésilien, vivent en marge de la société de nombreux gamins surnommés les « capitaines des sables ». Vêtus de guenilles, sales, quasi affamés, lâchant des jurons et fumant des mégots, ils sont en vérité les maîtres de la ville, ceux qui la connaissent totalement, ceux qui totalement l’aiment, ses poètes. Ils volent, participent à toutes sortes de mauvais coups, et si habilement, que la police ne peut jamais les prendre sur le fait.
Leur chef s’appelle Pedro Bala. Ses lieutenants sont le Professeur (parce qu’il aime lire), Patte-Molle, etc… Un jeune prêtre , l’abbé José Pedro, s’intéresse à eux, essaie de les ramener à une vie meilleure. S’il réussit à se faire aimer d’eux, il ne parvient pas à les amender et n’aboutit qu’à se faire très mal voir se ses supérieurs. C’est l’existence mouvementée, dramatique et poétique à la fois, de cette bande de petits chenapans qui unissent la ruse et l’audace des hommes à l’innocence et au charme des enfants qu’évoque le roman de Jorge Amado.
Mon avis: Tous les livres d’Amado parlent de la misère des populations défavorisées du nord-est du Brésil dans la région de Bahia. L’écriture est poétique, engagée, jamais misérabiliste. Au contraire, il y a toujours de l’humour, de la fantaisie. Le style d’Amado est très différent des écrivains latino-américains hispaniques que je vous ferai découvrir. La misère des « favellas » (bidonvilles) n’empêchent pas de montrer l’intensité de la vie, les anecdotes quotidiennes qui font sourire, rire et qui rendent la vie « vivable »… Noirceur, tristesse, mais malgré tout les gens font la fête, font des pieds de nez à la vie qui ne leur fait pas de cadeaux.
L’histoire commence dans l’entrepôt où dorment des enfants. L’entrepôt est vide car il n’y a plus d’activité, la mer s’est retirée et le sable a tout envahi. Les enfants règnent sur cet espace où ils se réfugient. Ils sont tous là, Patte-Molle, Chéri-du-Bon-Dieu, Sucre-d’Orge, le Chat, Coude-Sec, le Professeur, S’la-Coule-Douce, des noms savoureux qui font sourire et pourtant, ils mijotent des mauvais coups, boivent, fument, parlent grossièrement. Et l’aîné n’a pas 16 ans. C’est leur chef, Pedro Bala. Il organise et programme comme un « grand »: aujourd’hui il est prévu de voler un chapeau en feutre pour Gonzales alors il faut aller dans un endroit « rupin » pour en trouver. Au cinéma par exemple. C’est Patte-Molle qui s’en chargera avec le Professeur qui en veut un aussi.
Et la police? « Tu t’en fais pour les flics? Si encore c’était les bourres… Les gardes c’est rien que pour jouer à cache-cache. »
L’organisation est parfaite et si l’un d’entre-eux se fait surprendre il doit s’enfuir et ne pas revenir à l’entrepôt.
Leur vie passe ainsi de rapines, et il est impossible de décrire toutes leurs activités tant elles sont variées et multiples, violentes aussi : « …une autre fois, il donna un coup de rasoir à un garçon de restaurant afin de lui voler uniquement un poulet rôti ». Difficile de dire qu’il y a une histoire, car c’est la vie, une vie quotidienne très dense et dangereuse.
Les dialogues sont pleins d’humour, de réalisme, de finesse. Ils sont retranscrits tels que les personnages peuvent les dire en vrai!
« Où a-t-on vu un gamin de cette taille parler poitrine à une vieille ratatinée comme moi?
– Ne fais pas de chichis, la tante. Tu le fais encore bien…
– J’ai fermé la boutique […] J’ai passé l’âge. »
Les personnages sont hauts en couleur, ils parlent un langage fleuri, plein de verve. Ils connaissent tout de la vie. Ils traînent en ville et discutent entre-eux, cherchant les moyens de manger pour survivre. Ils volent, font du troc et sont les maîtres, les capitaines de la ville, ils se moquent bien de la police.
Dans toute cette misère humaine, il y a José Pedro, le prêtre, qui veut aider ces enfants et sauver leur âme. Il a beaucoup de mal à être entendu. Certains n’échappent pas à la maison de correction mais ils n’en sortent pas guéris pour autant. Ils ont soif de vengeance et veulent « tuer les soldats de la police ». Ils s’exilent alors quelque temps chez les Indiens Maloqueiros d’Aracaju qui sont les équivalents des Capitaines des sables de Bahia et reviennent plus tard à l’entrepôt. Les autres font de même, c’est un jeu de chaise musicale pour se faire oublier des autorités, une partie de cache-cache.
Dans cet univers tourmenté il y a place aux sentiments, à l’amour, à la tendresse, mais Amado ne s’y attarde pas beaucoup, car eux, les gamins, les durs, ne veulent pas y donner de l’importance, même si…
Histoire sans histoire mais belle histoire!
Et une très belle rencontre avec le Brésil.