Archives de catégorie : Cinéma

Les films que j’ai vus au cinéma ces dernières années.

Cigarettes et chocolat chaud de Sophie Reine

Pour ma sortie dominicale au cinéma, je suis allée voir Cigarettes et chocolat chaud de Sophie Reine.

Le film : de nos jours en région parisienne. Veuf depuis trois ans, Denis Patar [Gustave Kervern] se débat pour joindre les deux bouts entre plusieurs petits boulots et élever ses deux filles, Janis, 13 ans [Héloïse Dugas] et Mercredi, 9 ans [Fanie Zanini]. Un soir, il est encore arrivé trop tard pour aller chercher Mercredi à l’école et le policier a été obligé de faire un signalement au service d’aide sociale à l’enfance. L’assistante sociale, Séverine [Camille Cottin], est chargée de faire l’évaluation et le contraint de suivre un stage de parentalité, faute de quoi les deux fillettes lui seront retirées…

Mon avis : après un rôle de gardien un peu déconnecté de la réalité dans le film Dans la cour de Pierre Salvadori, revoilà Gustave Kervern dans un autre rôle de paumé, cette fois en papa poule, sans le sou, un peu débordé, tendre et aimant… bref un « parent défaillant » au regard de la loi! Le stage de parentalité et son absurdité sont très bien vus, et le scénario a le bon goût de faire évoluer l’assistante sociale dans sa vision de ce qu’est un « bon parent », ce qui ne doit pas arriver souvent dans la vraie vie… En parallèle, l’ainée développe avec l’adolescence un syndrome Gilles de la Tourette [télécharger la fiche maladie rare Orphanet], là encore, deux visions vont s’affronter, le neurologue très rationnel avec ses neuroleptiques et le père et la sœur qui vont organiser une thérapie comportementale « sauvage » mais semble-t-il efficace!

J’ai passé un agréable moment avec ce film touchant, parfois un peu trop empathique, avec deux jeunes actrices que l’on aimerait voir évoluer dans quelques années.

PS : Gustave Kervern a aussi réalisé Saint-Amour avec Benoît Delépine

 

Baccalauréat, de Cristian Mungiu

Ma sortie cinéma, cette semaine, a été pour voir Baccalauréat, de Cristian Mungiu, qui a reçu le prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes.

Le film : de nos jours en Roumanie, dans une petite ville de Transylvanie. Romeo [Adrian Titieni], chirurgien à l’hôpital local, et sa femme Magda [Lia Bugnar], bibliothécaire, sont revenus en Roumanie après 1991.Ils ont tout fait pour que leur fille Eliza [Maria Drăguș] ait la meilleure vie possible, en économisant pour lui donner des cours particuliers dès son plus jeune âge. Elle doit passer son baccalauréat dans quelques jours et doit impérativement avoir une moyenne de 18 pour pouvoir aller à l’université à Cambridge, en Angleterre, avec une bourse d’étude. A la veille de l’examen, alors que son père l’a laissée à proximité du lycée, elle est agressée physiquement et sexuellement sur le chantier voisin, s’en sort avec un poignet plâtré et une grand frayeur. Pour mettre toutes ses chances de son côté, Romeo est prêt, contre tous ses principes, à accepter la solution proposée par son ami d’enfance, l’inspecteur en chef de la police [Vlad Ivanov]… Il y a sans doute une solution pour que les résultats soient bons même si Eliza n’est pas au mieux de sa forme.

Mon avis : le thème central du film, la corruption en Roumanie, est particulièrement d’actualité après le week-end électoral dans ce pays.

Si le couple a cru à la révolution et aux espoirs nés en 1989 en revenant de leur exil pour reconstruire leur pays, il a déchanté et décidé de tout faire pour que leur fille puisse partir étudier et faire sa vie à l’étranger. Cristian Mungiu a centré le scénario – et de très longues minutes de gros plans et de plans séquences parfois interminables – autour de la figure du père, qui a projeté sa vie sur sa fille, qui maintient aussi à elle seule le couple, il a une amante [Mălina Manovici] et couche sur le canapé. Il oublie de lui demander son avis, prend des décisions à sa place, sait ce qui est bien (les études, les morceaux de pommes soigneusement épluchés et découpés sur une assiette) ou mal (son petit copain motard passé par le lycée technique) pour elle. Ses certitudes vacillent quand même une fois, quand il revient là où il a heurté un chien en voiture dans la journée et finit par éclater en sanglots dans les broussailles. L’ambiance est lourde, par moment le film (presque 2h10) traîne en longueur, mais le mécanisme de la corruption, depuis la petite compromission, de la simple « magouille », jusqu’à la plus grande et aux renvois d’ascenseurs, est bien démont(r)é. Les jeunes procureurs pourront-ils mettre un terme à ces pratiques qui se reproduisent de de génération en génération? Au-delà du scénario principal apparaît en toile de fond un monde qui semble immuable, fait d’immeubles délabrés, d’habitats précaires en planches, de chiens errants, de chantiers interminables (« Na remont », en rénovation, comme j’ai pu le voir il y a plus de 20 ans dans les ex-pays de l’Est, avec même de savantes restaurations d’échafaudages plutôt que des façades).

Un film à voir malgré les quelques longueurs que j’ai ressenties…

Planétarium de Rebecca Zlotowski

Affiche de Planétarium de Rebecca ZlotowskiEntre deux giboulées et coups de vent, je suis allée voir hier au cinéma Planétarium de Rebecca Zlotowski [voir mon avis sur son film précédent, Grand central].

L’histoire : à Paris, dans les années 1930. Laura [Natalie Portman] et Kate [Lily-Rose Depp], deux jeunes mediums américaines, donnent leur numéro dans un cabaret quand elles sont abordées par André Korben [Emmanuel Salinger], un riche producteur de cinéma juif d’origine polonaise, naturalisé français. Il demande une séance privée, les invite à emménager dans sa villa, pour les engager dans l’aventure d’un film qui mettrait leur don en avant en filmant un revenant. Fêtes et tournage se poursuivent alors que s’annonce le nazisme…

Mon avis : les costumes, les maquillages et les reconstitutions de décor sont soignés. La villa qui a été trouvée pour le tournage est parfaite pour ce film. Côté scénario, c’est un peu fouillis. La fête, le spiritisme et le milieu du cinéma sont privilégiés sur la montée du nazisme, qui apparaît d’abord sous forme d’allusions ou d’un slogan écrit au rouge à lèvres sur un miroir avant d’exploser à la fin du film. La cinéaste semble parfois prendre position sur le spiritisme /  » piège à gogos « , les deux sœurs ne semblent guère y croire, l’une y voit un moyen de gagner sa vie grâce à la crédulité des  » clients « , l’autre, en apparence fragile et naïve, finit par dire que son  » don  » est la conséquence d’une maladie qui l’emportera. Illusion que le spiritisme, illusion aussi, dans le film, que le cinéma et son mode de financement… et l’on voudrait donc croire que la montée du nazisme est aussi une illusion, même à la fin la réalité des camps de concentration : « il ne faut pas croire à tout ce que l’on dit qu’il se passe à l’est » (ou quelque chose comme ça). Même s’il y a de très jolis cadrages, des scènes touchantes, je reste un peu réservée pour ce film.

Le client d’Asghar Farhadi

Affiche de Le client d'Asghar FarhadiJe suis allée voir Le client d’Asghar Farhadi, prix du scénario et prix d’interprétation masculine au dernier festival de Cannes (revoir mes avis sur ses films précédents, Une séparation ; Les enfants de Belle Ville ; Le passé).

L’histoire : de nos jours à Téhéran. Un couple de jeunes acteurs, Emad [Shahab Hosseini] et Rana [Taraneh Allidousti], sont contraints d’abandonner dans l’urgence leur appartement, l’immeuble qu’ils habitent est en train de s’effondrer à cause de travaux mitoyens. Babak [Babak Karimi], un acteur de leur troupe qui répète Mort d’un commis voyageur d’Arthur Miller, leur propose un appartement libéré depuis quelques semaines par son ancienne locataire, enfin, presque libéré, elle y a laissé des affaires dans une pièce. Mais alors qu’elle attend son mari en prenant une douche, Rana ouvre la porte à la sonnerie de l’interphone, retourne sous la douche… Elle est retrouvée inanimée par les voisins qui mettent en fuite son agresseur. Dévastée, Rana refuse de porter plainte mais ne veut plus rester dans cet appartement, alors qu’Emad part en quête de cet agresseur qui a abandonné dans sa fuite les clefs de sa camionnette…

Mon avis : au centre du film, Téhéran, en pleine mutation, avec une urbanisation mal maîtrisée, des immeubles neufs mal construits, la vie avec les voisins, qui épient mais s’entraident, que ce soit pour l’évacuation de l’immeuble menaçant de s’effondrer ou pour  porter secours à Rana, rapportent à demi-mots ce qu’ils savent de l’ancienne locataire, aux mœurs légères sans jamais prononcer le mot de prostitution. Le parallèle avec la pièce de théâtre d’Arthur Miller est savamment mis en scène, les scènes au théâtre (les répétitions, la première) alternent avec les scènes en ville ou dans l’appartement. Certaines scènes se passent hors champ, comme l’agression ou la visite de la censure avant la première. D’autres non, comme les élèves qui filment avec leur téléphone leur professeur (acteur impose d’avoir un « vrai métier » à côté), épuisé, qui s’est endormi pendant la projection d’un film. Au centre du film reste la vie d’un couple, plein de contradiction, entre refus de porter plainte de la femme, qui ne veut pas étaler sa honte en public, et désir de vengeance du mari, prêt à faire justice lui-même et à utiliser lui-même la honte de l’agresseur pour le punir. Un film qui m’a bien plu.

Moi, Daniel Blake, de Ken Loach

Affiche de Moi, Daniel Blake, de Ken LoachHier, je suis allée au cinéma voir Moi, Daniel Blake, de Ken Loach, qui a reçu la palme d’or au dernier festival de Cannes (voir ou revoir mon avis sur Jimmy’s Hall).

L’histoire : de nos jours à Newcastle. Daniel Blake [Dave Johns], menuisier de 59 ans, veuf depuis peu, se remet doucement d’une crise cardiaque. Son médecin le juge encore inapte à reprendre le travail, mais une évaluation téléphonique par une société prestataire de pôle emploi estime qu’il n’a plus le droit aux indemnités d’invalidité et doit à nouveau chercher du travail. Le voici à pôle emploi, qui le renvoie à une inscription sur internet. Alors qu’il tente de reprendre ses esprits dans cette situation ubuesque, il tente de venir en aide à Katie [Hayley Squires], mère célibataire de deux enfants, qui est mise à la porte pour être en retard ; elle vient d’être relogée à 450 km au nord de Londres et s’est perdue dans la ville. Se sortiront-ils de cette situation?

Mon avis : un très beau film sur l’absurdité de l’administration de l’aide sociale en Angleterre, mais ce n’est sans doute pas très différent chez nous (voir ci-dessous). Quoi de mieux qu’une administration bornée (ou ses sous-traitants, plateforme d’appel ou gestionnaire de site internet) pour faire baisser les indemnisations pour inaptitude au travail ou les allocations chômage? Venir en aide aux plus précaires devrait être leur mission, la direction ne l’entend pas ainsi et remet à sa place l’employée qui tente de faire preuve d’humanité, comme les bénévoles de la banque alimentaire ou les usagers de la bibliothèque qui vont tenter de guider Daniel sur sa découverte d’internet – ou plutôt du formulaire en ligne de pôle emploi. Ken Loach filme avec justesse ce fossé entre la mission de pôle emploi et la capacité d’adaptation et de survie de ses deux personnages principaux, cabossés par des accidents de la vie. Quand on est une jeune femme et que l’on s’enfonce au fond du trou, devinez l’ultime solution proposée par un vigile de supérette un peu mac sur les bords? Les deux enfants donnent le contrepoint au film, le garçonnet agité après des mois passés dans une chambre en foyer à Londres, la fillette qui souffre du regard des autres à l’école, évoluent grâce à toute la gentillesse de Daniel Blake.

Il ne faut pas rire de l’absurdité du questionnaire qui ouvre le film, en disant ah ces Anglais, chez nous aussi, les formulaires d’évaluation des maisons départementales du handicap commencent par l’autonomie de la marche (50 m, 100 m etc.), de la réalisation des mouvements ou de « l’évacuation » [des sphincters], comme ils disent. C’est le même formulaire pour tout le monde, adapté sans doute aux personnes à mobilité réduite, pas du tout au handicap lié aux maladies. Le score obtenu (comme le 12 de Daniel Blake alors qu’il lui fallait 15) vous classera handicapé ou pas bien davantage que les certificats médicaux, dans certains départements -sans doute débordés, plusieurs mois d’attente d’instruction-, ceux-ci ne semblent lus que lors de l’appel des décisions lors des recours!

 

La fille inconnue de Luc et Jean-Pierre Dardenne

Affiche de La fille inconnue de Luc et Jean-Pierre DardenneSortie cinéma hier en fin d’après-midi, pour aller voir La fille inconnue de Luc et Jean-Pierre Dardenne. Vous pouvez aussi (re)voir mes avis sur leurs films précédents Le gamin au vélo, Le silence de Lorna, Deux jours une nuit.

L’histoire : de nos jours à Seraing, dans la banlieue de Liège, sur les bords de la Meuse. Jenny Davin [Adèle Haenel], jeune médecin, devrait avoir terminé ses consultations du jour depuis une heure avec Julien, son stagiaire [Olivier Bonnaud], avec qui elle vient de se disputer. Épuisée, elle décide de ne pas ouvrir à un ultime appel. Le lendemain, la police vient sonner chez elle pour récupérer la vidéo-surveillance qui film l’entrée du cabinet. Une jeune fille noire a été retrouvée morte sur le quai non loin de là. Alors qu’elle avait trouvé un poste bien rémunéré dans un centre de santé privé le lundi suivant, Jenny décide de reprendre le cabinet du vieux généraliste malade, de s’y installer et de mener l’enquête pour identifier la jeune inconnue.

Mon avis : La médecin fume trop, le cabinet n’est pas vraiment adapté à la patientèle avec son perron et surtout la volée de marches pour aller de la salle d’attente au cabinet. Le film se disperse, entre les doutes du jeune stagiaire, l’enquête et le portrait des patients et de leur prise en charge : la jeune médecin aide la vieille dame à se lever, va voir tard un ado cancéreux, appelle les services sociaux pour un patient diabétique qui ne peut pas aller recharger son compteur de gaz, etc… Très vite, par un jeune patient, elle découvre que l’inconnue se prostituait, mais cela n’a guère d’importance, je me suis plutôt ennuyée dans ce défilé de patients (pauvres, banlieue sidérurgique sinistrée de Liège oblige) avec leurs maux ordinaires, la compassion (ou au moins l’empathie) de la médecin, sa recherche qui finit par virer à l’obsession.

Juste la fin du monde, de Xavier Dolan

Affiche de Juste la fin du monde, de Xavier DolanUn mois sans cinéma pour cause de déplacements, j’ai failli ne pas voir Juste la fin du monde, de Xavier Dolan, grand prix du jury au dernier festival de Cannes, programmé en dernière semaine ici. Il s’agit d’une adaptation d’une pièce de Jean-Luc Lagarce (mort à 38 ans du sida, en 1995). Du même réalisateur, revoir mon avis sur Mommy.

L’histoire : de nos jours dans un coin paumé au Canada, à une heure de l’aéroport. Louis [Gaspard Ulliel], auteur de pièces de théâtre, 34 ans, revient dans sa famille après douze ans d’absence, avec un objectif, annoncer sa mort prochaine. Il retrouve sa mère [Nathalie Baye], Antoine son frère aîné [Vincent Cassel] et sa femme Catherine [],dont il fait la connaissance, et  Suzanne [], sa petite sœur. Le repas dominical s’annonce tendu, entre la mère « qui en fait trop », Suzanne, jeune adulte qui suit la vie de son frère par des coupures de presse et ses brèves cartes postales, Antoine, désagréable, la violence à fleur de peau, et Catherine, qui essaye maladroitement de détendre la situation… Louis réussira-t-il à faire son annonce?

Mon avis : un film avec juste cinq personnages, un lieu, une maison et son jardin, et surtout de très gros plans de visages, la petite cicatrice qui fait fossette sur la joue de Gaspard Ulliel quand il sourit n’a plus de secret à la fin du film… mais les secrets de famille, omniprésents, alourdissant l’ambiance, n’arrivent pas à émerger dans cette famille incapable de communiquer: pourquoi Louis est-il parti? Qui est le père, absent? Pourquoi Antoine envoie-t-il en permanence des références douteuses à l’homosexualité de son frère? S’est-il passé un fait grave, comme le suggère Suzanne, qui a peu de souvenirs de cette période? Louis non plus n’est pas doué pour communiquer, sa mère moque ses phrases de trois mots, tous ses cartes postales, si courtes et vides de mots ouverts à tous avec leur absence d’enveloppes… Pour rompre le huis-clos, il ne faut pas compter sur le bref voyage en voiture des deux frères, où la tension monte encore, la respiration vient de quelques flash-backs, le retour des courses de la mère et de Suzanne, le pique-nique dominical du dimanche (avec le père, tiens, tiens, mais avant la naissance de Suzanne), l’attente au buffet du petit aéroport, une nuit de l’adolescent avec son amant…

PS : comme Danielle et Nini 79, deux fidèles lectrices du blog, l’ont souligné en commentaire, je n’ai pas donné mon avis sur le film… Acte manqué… le film a fait écho à beaucoup de vécu personnel. J’ai bien aimé cette façon de filmer les visages, les clairs-obscurs et surtout les silences, les non-dits, le secret!

Frantz, de François Ozon

Affiche de Frantz, de François OzonDimanche, je suis allée voir Frantz, de François Ozon, film inspiré – très librement d’après la critique – d’un drame peu connu d’Ernst Lubitsch, Broken Lullaby (L’homme que j’ai tué), 1932.

L’histoire : au printemps 1919, dans la petite ville de  Quedlinburg en Saxe-Anhalt. Alors qu’elle se rend sur la tombe de Frantz [Anton von Lucke] son fiancé tombé au combat en septembre 1918, Anna [Paula Bee] constate que la tombe a été fleurie… C’est un français, Adrien Rivoire [Pierre Niney] qui se présente le lendemain chez les parents inconsolables de Frantz, Magda [Marie Gruber] et le Dr Hoffmeister [Ernst Stötzner], chez qui loge Anna, en deuil et déprimée, refusant de céder aux avances de Kreutz [Johann von Bülow], militant nationaliste d’un certain âge qui a demandé sa main. Avant la guerre, Frantz, francophile et pacifiste, avait poursuivi ses études à Paris, Adrien Rivoire, riche héritier d’un château bourguignon, était violoniste dans l’orchestre de Paris. Adrien raconte la vie d’avant-guerre, leurs visites au Louvre, autour d’un tableau de Manet « montrant un homme renversé en arrière ».

Mon avis : le noir et blanc de ce film très travaillé (je trouve la scène nocturne dans le cimetière particulièrement réussie), entrecoupé de quelques scènes au couleurs plutôt sépias, quasi irréelles même pour l’apparition en rêve de la figure blessée de Frantz dans un rêve d’Anna (bon, ça passe mieux que le bébé aux ailes de poulet de Ricky). Il mêle aussi passages en français et en allemand, il est donc indispensable de le voir en version originale.

Le discours joue sur la difficulté, au lendemain de la guerre, pour un Français à apparaître dans la petite ville de Saxe ou une Allemande à Paris ou dans le château de Meursault (où l’on voit notamment les actrices Cyrielle Clair – la mère d’Adrien – et Alice de Lencquesaing – sa promise). La position du père évolue, lui qui a forcé son fils pacifiste à s’engager présente à ses amis de club qu’ils ont, comme les français, une responsabilité dans la mort de leurs fils, en les armant et en les envoyant à la boucherie. Un discours qui n’évite pas les clichés, Reiner Maria Rilke (tiens, pourquoi un Autrichien?) face à la poésie de Paul Verlaine (chanson d’automne… voir ci-dessous), une musique de film qui emprunte le thème de l’Ode à la joie de Beethoven, etc. En revanche, je ne connaissais pas le tableau Le suicidé, d’Édouard Manet, placé pour les besoins du film dans une galerie du Louvre et qui est d’une grande force.

Le charme du film repose aussi sur le charmant accent français de Paula Bee et sur l’accent allemand, comment dire, étrange, de Pierre Niney, j’ai entendu dans un entretien sur France Inter qu’il ne parlait pas allemand avant de tourner ce film… et il mélange curieusement certaines prononciations. Du coup, quand il aspire de « ch » dans « möchte » en [x] au lieu de [ç] , un peu à la bavaroise (« mokhte », quasi comme le prétérit mochte) , on hésite, qu’a-t-il voulu dire? Le sous-titre indique un conditionnel (« möchte » est un forme du subjonctif II qui correspond à notre conditionnel), mais le spectateur attentif a bien entendu [‘mOxt´], donc un prétérit (+/- passé)… Je ne suis pas si sûre qu’il s’agisse d’un simple détail, les dialogues en allemand m’ont paru très pauvres, et pas seulement à cause du scénario, les parents de Frantz qui apprennent à connaître Adrien Rivoire. S’il n’y avait des scènes en français dans la partie allemande, celle-ci serait sans doute très lassante, trop lente, trop pauvre.

Ceci étant, je vous conseille quand même ce film 😉

Pour aller plus loin :

– Voir le tableau Le suicidé, d’Édouard Manet, sur le site de la fondation Emil G. Buehrle à Zürich. Il s’agit d’une toile de moyen format (38 x 46 cm), peinte après 1877 et avant 1881, date de sa cession au cours d’une vente aux enchères organisée par le peintre Pierre Franc-Lamy au profit du compositeur Ernest Cabaner, alors au sanatorium.

– Voir le site de la ville de Quedlinburg en Saxe-Anhalt.

– Sur mon blog, voir quelques tombes du cimetière de Passy à Paris (où le cousin d’Adrien Rivoire est censé être enterré).

– Mes avis sur les précédents films de  François OzonUne nouvelle amie, Dans la maison, Ricky).

Chanson d’automne de Paul Verlaine

Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure

Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

Le fils de Jean de Philippe Lioret

Affiche de Le fils de Jean de Philippe LioretSamedi, après avoir installé le stand de Valentin Apac, association de porteurs d’anomalies chromosomiques, au parc des expositions de Poitiers pour la journée des associations 2016, je suis allée au cinéma voir Le fils de Jean de Philippe Lioret (voir mes avis sur ses films précédents, Toutes nos envies et Welcome). Le scénario a été écrit à partir du livre Si ce livre pouvait me rapprocher de toi de Jean-Paul Dubois, que je n’ai pas lu.

L’histoire : de nos jours, à Paris. Bien que séparé de sa femme, Mathieu [Pierre Deladonchamps], trente-trois ans, vit une vie tranquille entre son métier de représentant en croquettes pour chiens, son fils Valentin, 8 ans. Sa routine va être bouleversée par un appel téléphonique : un homme appelle du Canada pour lui avoir son adresse, son père, Jean, vient de mourir, ou plutôt de disparaître sur un lac et à confié à son meilleur ami, Pierre [Gabriel Arcand], un colis pour lui. Mathieu décide de rejoindre immédiatement Montréal pour faire la connaissance de ses demi-frères inconnus et assister aux obsèques de ce père dont sa mère, décédée huit ans plus tôt, ne lui a jamais révélé l’identité…

Mon avis : si le film met en scène d’autres personnages, les demi-frères de Mathieu, Sam [Pierre-Yves Cardinal] et Ben [Patrick Hivon], la femme de Pierre, Angie [Marie-Thérèse Fortin] et l’une de leurs filles, Bettina [Catherine de Léan], ce sont les deux acteurs principaux, Gabriel Arcand et Pierre Deladonchamps qui donnent toute la force à ce film. J’avais beaucoup aimé ce dernier dans L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie (deviendra-t-il l’acteur « des bords de lacs?), il revient ici tout en regards et en silences comme son partenaire. Ce film tout en lenteurs, en paysages (la ville de Montréal, un lac sans nom, domaine « des hommes » qui s’y retrouvent pour pêcher), nous amène tout doucement à découvrir des personnages, la souffrance du père qui n’a jamais eu le courage de faire la connaissance de ce fils, fruit d’un amour lors d’un congrès médical à Paris, le fils en quête de la découverte d’une famille, même si, quand il avait un an et demi, sa mère avait refait sa vie avec un homme qu’il considère comme son père. Un film reposant et apaisé après le très « actif » Divines de Houda Benyamina vu la semaine précédente… à découvrir dès maintenant au cinéma pour profiter au maximum d’une parenthèse en immersion – sans patauger 😉 – au bord d’un lac.

Divines de Houda Benyamina

Affiche de Divines de Houda BenyaminaSortie cinéma hier, avec une amie, nous avons hésité entre Divines de Houda Benyamina et Fils de Jean de Philippe Lioret et choisi le premier, qui a reçu la Caméra d’or au dernier festival de Cannes où il était sélectionné dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs.

L’histoire : de nos jours dans une banlieue. Dounia [Oulaya Amamra] vit dans un camp de Roms au bord de l’autoroute, chez sa tante, et doit gérer l’alcoolisme de sa mère [Majdouline Idrissi], trouver les moyens de subsister. Dans ce monde hostile, elle trouve amitié et réconfort auprès de Maimouna [Déborah Lukumuena], la fille de l’imam. Elles cachent leurs larcins dans les tringles techniques d’un théâtre, trouvant du répit à regarder un groupe de danseurs sélectionnés pour un spectacle, parmi lesquels elles reconnaissent Djigui [Kevin Mischel], le vigile de la supérette. Dounia claque la porte de l’école et décide de trouver une activité où l’argent est plus facile, elle entre au service de Rebecca [Jisca Kalvanda], la dealeuse en chef du quartier…

Mon avis : les deux actrices principales, Oulaya Amamra (sœur cadette de la réalisatrice) et Déborah Lukumuena, sont excellentes. La critique a beaucoup parlé de la violence de certaines scènes et le film a été interdit aux moins de 12 ans. Je trouve que cette violence est filmée avec « retenue » (quoique…), et la grande tension de certaines scènes est contrebalancée par des scènes qui détendent l’atmosphère par leur comique, comme le cours du BEP de vente, ou d’un grand esthétisme, comme les scènes de danse contemporaine vues depuis les passerelles techniques. La critique a beaucoup comparé ce film à Bande de filles de Céline Sciamma, je trouve que si le sujet est voisin, comment « faire son trou » en banlieue, surtout quand on est une fille, l’esthétisme et le traitement du sujet est assez différent. J’ai beaucoup aimé la première partie, jusqu’à l’entrée dans le trafic de drogue, la suite est moins originale. En tout cas, je pense que personne n’est resté indifférent dans la salle et que chacun avait besoin d’une transition à la sortie de la salle avant de repartir vaquer à ses occupations.