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Moi, Daniel Blake, de Ken Loach

Affiche de Moi, Daniel Blake, de Ken LoachHier, je suis allée au cinéma voir Moi, Daniel Blake, de Ken Loach, qui a reçu la palme d’or au dernier festival de Cannes (voir ou revoir mon avis sur Jimmy’s Hall).

L’histoire : de nos jours à Newcastle. Daniel Blake [Dave Johns], menuisier de 59 ans, veuf depuis peu, se remet doucement d’une crise cardiaque. Son médecin le juge encore inapte à reprendre le travail, mais une évaluation téléphonique par une société prestataire de pôle emploi estime qu’il n’a plus le droit aux indemnités d’invalidité et doit à nouveau chercher du travail. Le voici à pôle emploi, qui le renvoie à une inscription sur internet. Alors qu’il tente de reprendre ses esprits dans cette situation ubuesque, il tente de venir en aide à Katie [Hayley Squires], mère célibataire de deux enfants, qui est mise à la porte pour être en retard ; elle vient d’être relogée à 450 km au nord de Londres et s’est perdue dans la ville. Se sortiront-ils de cette situation?

Mon avis : un très beau film sur l’absurdité de l’administration de l’aide sociale en Angleterre, mais ce n’est sans doute pas très différent chez nous (voir ci-dessous). Quoi de mieux qu’une administration bornée (ou ses sous-traitants, plateforme d’appel ou gestionnaire de site internet) pour faire baisser les indemnisations pour inaptitude au travail ou les allocations chômage? Venir en aide aux plus précaires devrait être leur mission, la direction ne l’entend pas ainsi et remet à sa place l’employée qui tente de faire preuve d’humanité, comme les bénévoles de la banque alimentaire ou les usagers de la bibliothèque qui vont tenter de guider Daniel sur sa découverte d’internet – ou plutôt du formulaire en ligne de pôle emploi. Ken Loach filme avec justesse ce fossé entre la mission de pôle emploi et la capacité d’adaptation et de survie de ses deux personnages principaux, cabossés par des accidents de la vie. Quand on est une jeune femme et que l’on s’enfonce au fond du trou, devinez l’ultime solution proposée par un vigile de supérette un peu mac sur les bords? Les deux enfants donnent le contrepoint au film, le garçonnet agité après des mois passés dans une chambre en foyer à Londres, la fillette qui souffre du regard des autres à l’école, évoluent grâce à toute la gentillesse de Daniel Blake.

Il ne faut pas rire de l’absurdité du questionnaire qui ouvre le film, en disant ah ces Anglais, chez nous aussi, les formulaires d’évaluation des maisons départementales du handicap commencent par l’autonomie de la marche (50 m, 100 m etc.), de la réalisation des mouvements ou de « l’évacuation » [des sphincters], comme ils disent. C’est le même formulaire pour tout le monde, adapté sans doute aux personnes à mobilité réduite, pas du tout au handicap lié aux maladies. Le score obtenu (comme le 12 de Daniel Blake alors qu’il lui fallait 15) vous classera handicapé ou pas bien davantage que les certificats médicaux, dans certains départements -sans doute débordés, plusieurs mois d’attente d’instruction-, ceux-ci ne semblent lus que lors de l’appel des décisions lors des recours!

 

Jimmy’s Hall de Ken Loach

Affiche de Jimmy's Hall de Ken LoachJe vous le disais lundi, il y a des semaines « avec » et des semaines « sans », côté cinéma. Pour la première fois, le TAP Castille (3 des 4 salles d’art et essai à Poitiers) fermera 15 jours, du 2 au 17 août 2014, puis je serai en vacances, donc pas ou très peu de cinéma en août, si je souhaite voir certains films, c’est maintenant, ils ne passeront plus en septembre! Je suis donc allée voir Jimmy’s Hall de Ken Loach [du même réalisateur, voir aussi mon avis sur Moi, Daniel Blake].

Le film: 1932 dans la campagne irlandaise, dans le comté de Leitrim. Jimmy Gralton [Barry Ward] revient dans la ferme familiale tenue par sa mère après 10 ans d’exil aux États-Unis. Il y a dix ans, il avait ouvert un bal (« Hall ») monté par la communauté et animée par elle, avec cours de dessins, d’apprentissage de la lecture, de chant et bien sûr danses. Menés par le curé, le Père Sheridan [Jim Norton] et les propriétaires terriens, les « bien-pensants » de la commune avait obtenu l’exil de Jimmy Gralton. Après la guerre civile et la nomination d’un nouveau gouvernement, et à la demande des « anciens jeunes », en tête desquels Oonagh [Simone Kirby], l’amour de sa vie qu’il a abandonnée et qui s’est mariée après son départ, il rouvre le lieu, le jazz rapporté grâce à un gramophone et des leçons de danse et de musique trouve sa place à côté de la musique traditionnelle. Les conservateurs, curé en tête, ne l’entendent toujours pas de cette oreille…

Mon avis: entre musique irlandaise et jazz, la bande son est remarquable! Que Ken Loach ait choisi de raconter cet épisode de l’histoire irlandaise (d’après une histoire vraie racontée par Paul Laverty), qui montre l’emprise de l’église sur la société, n’est sans doute pas un hasard! L’Église catholique reste très influente en Irlande, qui reste l’un des pays les plus rétrogrades d’Europe en matière d’avortement, autorisé seulement depuis août 2013 suite à un scandale (octobre 2012, mort de Savita Halappanavar au cours d’une fausse-couche après un refus d’avortement) dans les cas où la mère est en danger, mais pas en cas de viol ou d’inceste. Elle est à peine écornée par les scandales qui éclatent, pédophilie couverte par la hiérarchie et découverte de charniers d’enfants dont elle avait la charge, dont l’un de 800 bébés et enfants à Tuam (enfants souvent de mère célibataires, recueillis par l’Église, dénutris, objets de mauvais traitements, guère mieux que le sort réservé aux enfants qui ne naissaient pas parfaits dans les Lebensborn, voir Dans le berceau de l’ennemi de Sara Young). Point de ces scandales ici, mais une emprise insidieuse et durable de l’Église. Pas question pour le curé que d’autres que ceux qu’il a agréés enseignent à lire (quels livres?), à penser indépendamment, en respectant la liberté de conscience et de religion! Dénonciation en prêche de ceux qui fréquentent le Hall, union avec les propriétaires terriens (dont l’expulsion des fermiers pauvres est remise en cause par les progressistes), encouragement à la haine, Ken Loach montre ici toute la capacité de nuisance de l’Église! La guerre civile de 1922/1923 est à peine esquissée, c’est pourtant elle qui a entériné la partition de l’Irlande avec la partie nord qui est restée britannique. Ken Loach a choisi de montrer la vie d’un village, la campagne vallonnée, paisible s’il n’y avaient pas ces haines.