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Timbuktu de Abderrahmane Sissako

Affiche de Timbuktu de Abderrahmane SissakoJe ne suis pas allée au cinéma depuis le festival Télérama 2015 (il faut d’ailleurs que je vous parle des films que j’ai vus, dont Eastern Boys, qui était sélectionné plusieurs fois aux César) et n’avais pas eu trop envie de voir Timbuktu de Abderrahmane Sissako au moment de sa sortie, ayant envie de loisirs plus légers… Son triomphe aux César et sa sortie au cinéma commercial (après sa première sortie en art et essai) m’ont attirée dans la salle obscure samedi.

Avant de passer à mon avis sur Timbuktu, voici les liens pour rebondir sur les César et les Oscar, revoir mes avis sur les films que j’ai vus:

Timbuktu : César du meilleur film, du meilleur réalisateur pour Abderrahmane Sissako, du meilleur scénario original pour Abderrahmane Sissako et Kessen Tall, de la meilleure phogrpahie pour Sofian El Fani, du meilleur montage pour Nadia Ben Rachid, meilleur son pour Philippe Welsh, Roman Dymny et Thierry Delor, meilleure musique pour Amine Bouhafa

Mommy de Xavier Dolan: César du meilleur film étranger

Yves Saint-Laurent de Jalil Lespert : César du meilleur acteur pour

The Grand Budapest Hotel de Wes Anderson :  Oscar de la meilleure musique originale à Alexandre Desplat ; du meilleur décor, des meilleures coiffures et maquillage

Hippocrate de Lilti Thomas : César du meilleur acteur pour ,

Boyhood de Linklater Richard: oscar de la meilleure actrice dans un second rôle à Patricia Arquette

Ida de Paweł Pawlikowski: oscar du meilleur film étranger

Et parmi les films sélectionnés mais non primés aux César, vous pouvez aussi revoir mes avis sur Une nouvelle amie de François Ozon, La prochaine fois je viserai le cœur de Cédric Anger, Deux jours une nuit de Jean-Pierre et Luc Dardenne, Lulu femme nue de Sólveig Anspach, Un beau dimanche de Nicole Garcia, La chambre bleue de Mathieu Amalric, 12 years a slave de Steve McQueen, Winter sleep de Nuri Bilge Ceylan, Bande de filles de Céline Sciamma, Dans la cour de Pierre Salvadori, Gone girl de David Fincher, …

Le film, Timbuktu de Abderrahmane Sissako : à Timbuktu, un village de la banlieue de Tombouctou au Mali. Les intégristes musulmans sont entrés dans le village et font régner la charria et la terreur. Ils tentent d’imposer l’interdiction de fumer, de jouer ou écouter de la musique, de jouer au football, d’imposer aux femmes le port du voile intégral mais aussi des gants et des chaussettes. Certain(e)s résistent, l’imam tente de les appeler à la modération en leur rappelant le vrai islam, beaucoup seront condamnés au cours de procès expéditifs. A proximité, dans le désert, la plupart des éleveurs nomades Touaregs ont fui, il ne reste que la tente de Kidane [Ibrahim Ahmed dit Pino Desperado], de sa femme Satima [Toulou Kiki] et de leur fille Toya, accompagnés de Issan, un petit vacher orphelin.Un jour, ce dernier laisse échapper GPS, la vache préférée du couple, qui s’aventure dans les filets d’Amadou le pêcheur… Ce dernier l’abat d’un coup de sagaie. De retour au campement, Issan raconte la mésaventure, Kidane part s’expliquer en emportant une arme et tue Amadou au cours de la bagarre…

Mon avis: une gazelle court dans le désert, poursuivie par un 4×4 avec des hommes qui lui tirent dessus à la mitraillettes; les statuettes en bois posées sur le sable sont détruites par des tirs. Dès les premiers plans, le spectateurs est plongé dans l’ambiance… créée par ces fous de Dieu. La scène de football est surréaliste. Les gamins s’entraînent sans ballon, quand apparaît une voiture de la police religieuse, cette séance se transforme illico en entraînement de gymnastique… pour revenir au foot sans ballon dès qu’ils ont tourné le dos. L’emprise sur le quotidien est totale, l’imam tente bien de s’opposer aux mariages forcés, de jouer son rôle de sage qui interprète les textes et règle les conflits au quotidien, d’interdire aux extrémistes d’entrer armés et en chaussure dans le lieu de culte, en vain. Les Djihadistes apparaissent comme un ramassis de toutes les nations (y compris des Français), ils parlent plusieurs langues, parfois mal l’arabe, pas les dialectes locaux, ils ont besoin d’interprètes. Ils ont parfois même du mal à respecter leurs propres préceptes: Abdelkrim [Abel Jafri] fume en cachette, tente de courtiser -sans succès- Satima dès que son mari a le dos tourné. Mais leurs exactions sont immenses, les tentatives de résistance vite réprimées dans le sang, à coups de fouet, de lapidations, d’extorsion de repentirs devant la caméra pour des vidéos de propagande… Le crime ordinaire de Kidane (l’éleveur itinérant qui tue le pêcheur sédentaire, remake du meurtre d’Abel le berger par son frère Caïn de paysan) sera jugé selon la charia, le juge laisse entendre qu’il pourrait vivre s’il obtient le pardon de la famille de la victime et paye le prix du sang… ce qui pourrait presque sembler clément après la lapidation du jeune couple non marié surpris dans la même chambre et lapidés en place publique (une histoire vraie qui s’est passée au nord du Mali dans la région d’Aguel’hoc et qui a inspiré l’idée de ce film à Abderrahmane Sissako).

Finalement, la violence est ici montrée avec beaucoup plus de retenue (mais pas moins de force) que dans 12 years a slave de Steve McQueen, pas la peine de faire dégouliner l’hémoglobine sur l’écran pour montrer la cruauté de certains hommes. Un film à voir, si ce n’est pas encore fait!

Jimmy’s Hall de Ken Loach

Affiche de Jimmy's Hall de Ken LoachJe vous le disais lundi, il y a des semaines « avec » et des semaines « sans », côté cinéma. Pour la première fois, le TAP Castille (3 des 4 salles d’art et essai à Poitiers) fermera 15 jours, du 2 au 17 août 2014, puis je serai en vacances, donc pas ou très peu de cinéma en août, si je souhaite voir certains films, c’est maintenant, ils ne passeront plus en septembre! Je suis donc allée voir Jimmy’s Hall de Ken Loach [du même réalisateur, voir aussi mon avis sur Moi, Daniel Blake].

Le film: 1932 dans la campagne irlandaise, dans le comté de Leitrim. Jimmy Gralton [Barry Ward] revient dans la ferme familiale tenue par sa mère après 10 ans d’exil aux États-Unis. Il y a dix ans, il avait ouvert un bal (« Hall ») monté par la communauté et animée par elle, avec cours de dessins, d’apprentissage de la lecture, de chant et bien sûr danses. Menés par le curé, le Père Sheridan [Jim Norton] et les propriétaires terriens, les « bien-pensants » de la commune avait obtenu l’exil de Jimmy Gralton. Après la guerre civile et la nomination d’un nouveau gouvernement, et à la demande des « anciens jeunes », en tête desquels Oonagh [Simone Kirby], l’amour de sa vie qu’il a abandonnée et qui s’est mariée après son départ, il rouvre le lieu, le jazz rapporté grâce à un gramophone et des leçons de danse et de musique trouve sa place à côté de la musique traditionnelle. Les conservateurs, curé en tête, ne l’entendent toujours pas de cette oreille…

Mon avis: entre musique irlandaise et jazz, la bande son est remarquable! Que Ken Loach ait choisi de raconter cet épisode de l’histoire irlandaise (d’après une histoire vraie racontée par Paul Laverty), qui montre l’emprise de l’église sur la société, n’est sans doute pas un hasard! L’Église catholique reste très influente en Irlande, qui reste l’un des pays les plus rétrogrades d’Europe en matière d’avortement, autorisé seulement depuis août 2013 suite à un scandale (octobre 2012, mort de Savita Halappanavar au cours d’une fausse-couche après un refus d’avortement) dans les cas où la mère est en danger, mais pas en cas de viol ou d’inceste. Elle est à peine écornée par les scandales qui éclatent, pédophilie couverte par la hiérarchie et découverte de charniers d’enfants dont elle avait la charge, dont l’un de 800 bébés et enfants à Tuam (enfants souvent de mère célibataires, recueillis par l’Église, dénutris, objets de mauvais traitements, guère mieux que le sort réservé aux enfants qui ne naissaient pas parfaits dans les Lebensborn, voir Dans le berceau de l’ennemi de Sara Young). Point de ces scandales ici, mais une emprise insidieuse et durable de l’Église. Pas question pour le curé que d’autres que ceux qu’il a agréés enseignent à lire (quels livres?), à penser indépendamment, en respectant la liberté de conscience et de religion! Dénonciation en prêche de ceux qui fréquentent le Hall, union avec les propriétaires terriens (dont l’expulsion des fermiers pauvres est remise en cause par les progressistes), encouragement à la haine, Ken Loach montre ici toute la capacité de nuisance de l’Église! La guerre civile de 1922/1923 est à peine esquissée, c’est pourtant elle qui a entériné la partition de l’Irlande avec la partie nord qui est restée britannique. Ken Loach a choisi de montrer la vie d’un village, la campagne vallonnée, paisible s’il n’y avaient pas ces haines.