Comme je vous l’ai dit en vous parlant du débat Poitiers, Patrimoine, stop ou encore?, le secteur sauvegardé de Poitiers et son plan de sauvegarde sont en cours de révision. L’enquête publique s’est déroulée en mars 2013 et s’est clôturée le 5 avril. Je n’ai pas pu rencontrer le commissaire-enquêteur (3 permanences en journée, aux heures où je travaille), mais avais pu aller consulter le document assez longuement en mairie et avais déposé un courrier le 28 mars 2013, en complément d’un mot avec les principaux thèmes dans le registre d’enquête. Le commissaire-enquêteur doit maintenant avoir rendu son avis, au moins son avis provisoire auquel la mairie peut répondre. Après mûre réflexion, j’ai décidé de rendre publique cette lettre, que j’agrémente ici de quelques liens et photographies pour que ceux qui ne sont pas familiers des lieux se rendent un peu compte, la lettre ne comportait bien sûr pas ces liens et illustrations qui vous conduiront sur divers articles… J’ai aussi ajouté quelques remarques entre crochets. C’est aussi l’occasion pour moi de voir qu’il y a beaucoup de monuments que je mentionne dans cette lettre et que je ne vous ai pas montré, même en plus de 300 articles sur Poitiers…
Poitiers, le 28 mars 2013,
Monsieur le commissaire enquêteur,
Je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint quelques remarques concernant la révision du secteur sauvegardé de Poitiers. Étant retenue par des rendez-vous en début d’après-midi le 5 avril, je ne pourrai pas venir comme je l’avais initialement prévu à votre permanence et vous transmets donc par écrit quelques observations.
Des conditions de consultation « limites »
Les conditions de consultation du document sont inacceptables.
Un seul tirage à disposition
La mise à disposition d’un seul document limite la possibilité de consultation. Je suis venue le 8 mars 2013, un monsieur s’est présenté et n’a pas pu avoir accès au document, à l’accueil, on lui a dit de revenir plus tard, je ne sais pas s’il l’aura fait.
Une table de consultation inadaptée
La table de consultation est si petite qu’il est impossible d’ouvrir un plan en entier, encore moins les huit plans ensemble ou un plan, le rapport de présentation et le règlement, cela limite fortement les possibilités de compréhension et d’analyse et impossible la prise de notes directement sur l’ordinateur portable que j’avais apporté. Mon propos ne concernera donc qu’une lecture très partielle du document, sur 2h30 de consultation.
Des erreurs manifestes
Des noms de lieux erronés et de nombreuses approximations
Il est particulièrement dommageable que le rapport de présentation ne donne pas les dénominations officielles de certaines adresses, ce qui est pour le moins léger dans un tel document… Il n’y a pas plus de « place de l’hôtel de ville » à Poitiers (cahier 2 p. 45) que de « square Magenta » (cahier 3, p. 26, il s’agit en fait du square du lycée jusque 1885 puis square de la République).
Quel est le « nouveau cinéma à Montierneuf » ? Le Ciné U existe depuis la fin des années 1950 dans la cité Dalesme, transformé en « Dietrich » en 1984. Si la salle a été réaménagée récemment, il ne s’agit en rien d’un « nouveau cinéma » ! Il y a de nombreux autres exemples, une relecture exhaustive et attentive devrait permettre de corriger toutes ces erreurs.
La cité Gabillet : bombardée ou à conserver ?
Une erreur de trame dans le rapport de présentation pourrait rendre incompréhensibles les prescriptions nombreuses concernant la cité Gabillet (plan réglementaire secteur A, îlot 4 et partie ouest du secteur 5). En effet, cette cité est tramée en « 8 / secteur bombardé » dans le rapport de présentation (cahier 1 page 105), alors que sur le règlement, il est demandé la destruction de nombreux garages et la restitution des clôtures et jardins d’origine. Est-il possible de mettre en cohérence le rapport de présentation ?
Un document déjà obsolète
Je sais que l’élaboration de ce document s’est étalée sur plusieurs années. Une actualisation finale aurait cependant été la bienvenue, d’autant plus qu’elle a été faite quand cela arrangeait le propos, par exemple pour justifier la destruction de l’aménagement du grand paysagiste Édouard André par une évolution des fonctions du square (c’est désormais une place, si l’on considère la définition d’un square dans le dictionnaire, à savoir « Jardin public généralement peu étendu, entouré d’une grille, au milieu d’une place »), mais pas pour de nombreux autres secteurs concernés par Cœur d’agglomération :
- la façade de l’hôtel de ville est indiquée « à restaurer » (rapport de présentation, cahier 1) [pour cet article, une vue après rénovation mais avant Poitiers coeur d’agglomération, coeur de pagaille…]
- les maisons indiquées comme « à démolir » rue de Puygarreau (plan, section E, prescription concernant les n° 9, 11 et 11bis de la rue de Puygarreau) sont détruites depuis des mois
- la chambre de commerce a quitté le boulevard Jean-Jaurès depuis plus de deux ans, la réhabilitation du bâtiment est presque achevée la remarque n° 141 page 73 du cahier 3 devrait donc être mise à jour.
Il y a beaucoup d’autres exemples que je n’ai pas eu le temps de relever par écrit.
Au passage, pourquoi avoir choisi d’illustrer l’église Saint-Hilaire avec un chapiteau refait au 19e siècle alors qu’il y a une si belle sculpture roman au chevet de l’église (illustration en bas à droite de la planche p. 121) ?
Une interrogation sur le périmètre retenu
Quitte à avoir considérablement agrandi le périmètre du secteur sauvegardé, je ne comprends pourquoi il n’a pas inclus la ville dans ses anciens remparts. Si j’ai bien compris lors de réunions publiques sur le projet de demande d’inscription de la ville sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO (et dans un premier temps sur la liste représentative de la France), le périmètre Unesco devrait coïncider avec le secteur sauvegardé [réaffirmé au cours du débat Poitiers, Patrimoine, stop ou encore?]. Pourquoi alors avoir exclu du périmètre :
- le parc de Blossac
- le rempart sud en marge de la rue des Douves et en revenant rue des Remparts, en incluant le mur de clôture de l’IRTS, l’ancienne porte de pont Achard, la tour médiévale conservée en arrière du boulevard Pont-Achard, le long de la voie ferrée
- l’ancien château de Poitiers, bien connu par les Riches-Heures du Duc de Berry, dont il reste la porte de Paris mais également des tours entre le boulevard de l’abbé Frémond et le Clain et donc l’espace entre le boulevard et le Clain
- les tours au nord-ouest, donc la partie située entre le boulevard Chasseigne et le Clain.
La prise en compte du patrimoine du 20e siècle
Actuellement, seuls deux édifices du 20e siècle sont protégés au titre des monuments historiques à Poitiers : l’hôtel Gilbert, 5 rue de Blossac, et l’église Saint-Cyprien, hors secteur sauvegardé. La révision du secteur sauvegardé n’aurait-elle pas été l’occasion de revoir la protection de ce type de patrimoine ? La plupart des constructions du 20e siècle font l’objet de recommandations d’adaptation (cahier 3, page 54 et suivantes, les constats et recommandations par immeuble concernent pour la plupart des constructions du 20e siècle voire de ces dernières années), mais la qualité de certains bâtiments aurait pu faire l’objet à cette occasion d’une demande de protection au titre des monuments historiques, le délai de réalisation de la modification du secteur sauvegardé étant parfaitement compatible avec l’instruction de dossier de protection au titre des monuments historiques. Je pense en particulier à plusieurs immeubles :
- la « grande poste », à l’angle de la rue Arthur-Ranc et de la rue des Écossais, en dépit de la dénaturation des guichets et des mosaïques par des travaux récents (îlot F8, protection 3a)
- l’ancien théâtre, îlot E3, protection 3b très insuffisante pour garantir l’organisation interne du bâtiment d’Édouard Lardillier, spécialiste de la construction de lieux de spectacles dans l’immédiate après-guerre, et le grand verre églomisé des ateliers Pansart, d’autant plus que le règlement E03-47-M01 prévoit l’autorisation de modifications significatives du bâtiment [voir une parodie de concertation pour son avenir]. L’ancien théâtre mériterait une protection au titre des monuments historiques ou au moins un marquage en 3a plutôt que 3b
- un ou plusieurs immeubles des frères Martineau. Une étude approfondie permettrait de sélectionner celui ou ceux qui seraient les plus intéressants. À titre d’exemple, on peut citer dans cette catégorie l’ancienne chambre de commerce de 1935 devenue immeuble de commerce et d’habitation rue du marché, avec la sculpture de Raymond Couvègnes et les peintures de Henri-Pierre Lejeune, l’immeuble 13 rue des Écossais (ou le temple protestant voisin), l’immeuble Rat 21 et 23 rue d’Alsace-Lorraine ou encore l’ancienne banque nationale de crédit rue du marché, construite en relation avec les frères Perret, puisqu’il est trop tard pour la maison Vannier conçue par leur père (devenu îlot des Cordeliers).
La prise en compte du handicap
La prise en compte du handicap dans le secteur sauvegardé et les remarques sont plus qu’indigentes et absolument inadmissibles pour les personnes concernées, mais également pour la qualité de vie de tous (personnes âgées, personnes avec poussettes, personnes momentanément empêchées par une fracture par exemple). On ne peut se satisfaire des deux lignes p. 94 du cahier 3, en écrivant que la loi de 2005 « sera extrêmement difficile à mettre en œuvre » ni des quelques lignes p. 18 du volume « orientations d’aménagement et de programmation », constatant que l’accessibilité est un « sujet très difficile », mais sans proposer d’orientation positive. Avec la suppression de certains stationnements (par exemple grand-rue ou rue de la Cathédrale [la photo avait un autre but, mais vous voyez le trottoir minuscule]), il serait possible d’élargir les trottoirs et de supprimer les marches d’accès à un grand nombre de commerces et de logements.
PS: la délibération suite au rapport du commissaire enquêteur est en ligne… Il prend en compte certains points comme l’utilisation des noms officiels des noms de places et rues ou de corriger la mention « à rénover » de l’hôtel de ville (repris page 7 du document en lien). Décevant sur le théâtre (voir pages 10 et suivantes). Ma lettre est reprise pages 30 et suivantes avec les réponses… de la part du commissaire enquêteur « Les avis formulés me semblent pertinents », de la part de la commission et de la ville, je vous laisse en juger…
As-tu eu une réponse à ta lettre ? Penses-tu qu’ils en tiendront compte ?
Bonne soirée Véronique
J’espère que tu obtiendras une réponse à ton courrier.
Bizzzz
En effet, j’espère que ta lettre, tout à fait documentée et justifiée, trouvera un écho positif et qu’au moins tu auras une réponse. La rendre publique via ton blog aura peut-être pour effet de faire réagir l’intéressé !
J’espère que tu seras entendue….
je sais que tu nous diras si tu as eu une réponse; je suis très étonnée en effet que les lieux que tu cites ne soient pas « protégés », ça me paraissait une évidence; il est vrai que je ne suis ps compétente en la matière, mais quand même, les tours, les remparts… merci en tout cas pour ton travail, merci de « poitevine ».
comment çà s e passe, légalement?ta lettre est consignée dans un dossier visible par tous?
tu dois forcément avoir une réponse?ou c’est au choix?
je reconnais là ton oeil de lynx et ton sens aigu de la documentation….un pavé dans la mare de l’incompétence
Dans la procédure: le commissaire enquêteur doit lire toutes les lettres, toutes les remarques dans le registre et consigner les entretiens qu’il a eus lors de ses 3 permanences. Il a un mois (c’est écrit noir sur blanc dans l’arrêté préfectoral prescrivant l’enquête) pour rendre son avis au préfet avec une copie au président de la communauté d’agglomération (= notre cher cumulard député/maire), et au tribunal administratif, avec deux documents : une synthèse et des justifications. Dans ces dernières, il dit XXX suggère que YYY, et je pense que cette remarque devrait / ne devrait pas être prise en compte pour telle ou telle raison. En principe, ce délai s’achevait le 5 mai, les documents doivent être consultables par tous à la mairie au bureau de la communauté d’agglomération (porteuse du projet). Je suis passée à la mairie, on m’a dit NON, pas disponible. Dans la toute nouvelle procédure, le service de l’urbanisme peut faire des réponses au commissaire enquêteur. Je repasserai à la mairie la semaine prochaine, s’il n’y a pas de communication du dossier, je demanderai officiellement (lettre recommandée avec accusé de réception) la communication de ces documents en application du titre I de la loi du 17 juillet 1978 (celle sur la communication des actes administratifs et la saisie de la commission d’accès aux documents administratifs / CADA)…
Tes remarques sont détaillées, et bien étayées, j’espère que tu auras une réponse d’une qualité égale à celle de tes observations. Visiblement, même si le dossier s’est étalé sur une grande période, il n’a été fait ni actualisation, ni travail approfondi… l’erreur est humaine, certes, mais ils avaient le temps de rectifier…
Tiens-nous au courant.
Bises et belle journée.