Aujourd’hui, nous retournons voir l’église Notre-Dame-la-Grande à Poitiers. Je vous ai déjà assez abondamment illustré le rez-de-chaussée de la façade (voir les liens en fin d’article) et le Christ encadré du Tétramorphe avec le soleil et la lune dans la mandorle tout en haut. Aujourd’hui, je vous montre le deuxième niveau, partagé en deux registres. Je vous ai déjà montré une partie de la sculpture des chapiteaux ( ici et là), je vous détaille aujourd’hui quelques statues qui sont dans les arcatures. Elles représentent les douze apôtres, un évêque et un pape, répartis sur deux rangées. Tous ont la tête encadrée d’une auréole qui marque leur sainteté (je vous rassure, pas de neige à Poitiers aujourd’hui, c’est une vieille photo que j’ai utilisée…)
Les six personnages du haut sont représentés debout, de face, les pieds légèrement écartés. Voici d’abord les trois du côté nord (à gauche)…
… et les trois du côté sud.
Les huit du bas assis. On commence par le côté nord…
…et le côté sud.
Le pape et l’évêque sont chaussés, les apôtres, pieds nus. L’identification des douze apôtres (ce que l’on appelle le collège apostolique) n’est pas facile, d’autant plus qu’une partie des têtes et des attributs qu’ils tenaient dans les mains a disparu. Saint Pierre se reconnaît quand même facilement aux deux clefs (du Royaume des Cieux, voir Matthieu, 16, 18-19)
…qu’il porte dans la main gauche alors qu’il bénit les passants de la main droite. Il est situé à la droite du Christ de la mandorle, pour le spectateur, le troisième en partant de la gauche dans la rangée du haut.
Le pape est situé en haut à gauche.
Il se reconnaît à sa crosse et à la tiare (coiffe sur la tête). Il est situé vers la droite du Christ et de saint Pierre, donc dans une position hiérarchiquement plus élevée que l’évêque.
À l’opposé, en haut à droite, se tient un évêque.
Il est vêtu de ses vêtements liturgiques : une chemise assez serrée, que l’on aperçoit derrière le col carré de son aube, une chasuble recouverte du pallium (pièce de tissu en T, brodé et orné d’une croix à la rencontre des bords du T, portée pendant la célébration de la messe par le pape, les primats, les archevêques et quelques évêques auxquels le pape donne ce privilège) et une étole (attribut du prêtre par excellence, pas celle que vous portez pour faire joli!) portée sous la chasuble et dont les bords sont richement décorés.
Voici un rapide schéma pour vous aider à distinguer ces éléments sur la photographie précédente. Sa position est proche de celle du pape : il tient une crosse de la main gauche et semble bénir de sa main droite aujourd’hui fracturée.
Aux pieds, il porte des sandales liturgiques à lanière. On les distingue à peu près sur ce détail, admirez au passage le décor de l’étole…
Le message est donc le suivant : Dieu et le Christ transmettent leur pouvoir à saint Pierre et aux autres apôtres, qui à leur tour le transmettent au pape, successeur de saint Pierre, de qui les évêques tiennent leur légitimité. Ni le pape, ni l’évêque ne sont clairement identifiés, le message se veut universel. Mais les donateurs ont peut-être pensé à Urbain II, le pape qui prêcha la première croisade (lors de sa tournée de propagande en 1096, il inaugura, oups, consacra les autels majeurs de nombreuses églises en France, dont l’autel majeur de l’église Saint-Jean-de-Montierneuf à Poitiers ou celui de Saint-Sernin à Toulouse), et à son ami alors évêque de Poitiers de 1087 à 1115, Pierre II. Avant d’être le pape Urbain II, Eudes de Châtillon, prieur de Cluny, avait inauguré en 1086 l’autel majeur de Notre-Dame-la-Grande. La façade actuelle fut construite lors d’un agrandissement de la nef de deux travées vers l’ouest, 30 à 40 ans plus tard. Dès sa mort en 1099, le pape Urbain II avait été considéré comme un saint. Quant à Pierre II, sa sainteté est elle aussi souvent soulignée dans les textes. Il eut à plusieurs reprises maille à partir avec Guillaume le Troubadour (1071-1126), comte de Poitiers sous le nom de Guillaume VII et duc d’Aquitaine sous celui de Guillaume IX (c’est le grand-père d’Aliénor d’Aquitaine, plusieurs fois excommunié par Urbain II pour sa vie dissolue que l’on peut percevoir à travers certains de ses poèmes qui nous sont parvenus). D’autres hypothèses ont été émises pour l’évêque, saint Hilaire (premier évêque de Poitiers), saint Martin (fondateur de l’abbaye de Ligugé à la demande du précédent, et enterré à Tours), saint martial, Guillaume Gilbert ou encore Gilbert de la Porée (mais là, côté dates, c’est un peu tiré par les cheveux, il fut évêque de Poitiers en 1142, après la construction de la façade…).
Pour aller plus loin : un petit livre bien pratique, paru juste après les restaurations du début des années 1990, par Yves-Jean Riou : Collégiale Notre-Dame-la-Grande à Poitiers, Collection itinéraires du patrimoine, n° 85, éditions CCCPC, 1995, ISBN : 2-905764-12-0.
Beaucoup plus cher, très illustré, sous la direction de Claude Andrault-Schmitt et Marie-Thérèse Camus, Notre-Dame-la-Grande, l’œuvre romane, éditions Picard, CESCM, 2002.