Pour une fois, j’ai trouvé à la médiathèque parmi les nouvelles acquisitions un titre qui figure dans le TOP BD des blogueurs organisé par Yaneck / Les chroniques de l’invisible. Il a reçu plusieurs prix littéraires / BD en 2013.
Le livre: Un printemps à Tchernobyl d’Emmanuel Lepage, éditions Futuropolis, 166 pages, 2012, ISBN 9782754807746.
L’histoire: Avril 2008. Dans un train en partance pour l’Ukraine. Un homme lit un témoignage de l’un des premiers hommes sur place lors de l’explosion du réacteur de Tchernobyl le 26 avril 1986. Emmanuel Lepage a alors 19 ans et suivi le nuage radioactif et les informations rassurantes ou pas à la télévision. Novembre 2007 à Saint-Brieuc, l’association les Dessin’acteurs souhaite organiser une résidence d’artistes le plus près possible de la zone interdite de Tchernobyl, en lien avec l’association Les enfants de Tchernobyl. Doutes sur les risques, ses responsabilités de jeune père de famille, mais aussi sur le fait qu’il n’est pas un militant anti-nucléaire, juste sensibilisé au sujet… il finit quand même par accepter. Le voici à Volodarka avec Gildas Chasseboeuf, dessinateur, et Pascal Rueff et Morgan Touzé, comédiens. Première incursion en zone interdite, dans le cadre d’un « voyage organisé », dosimètre en main, la ville de Tchernobyl, la centrale, dont les réacteurs 5 et 6 devaient ouvrir fin 1986, Pripiat, la ville désertée, retour dans le village où il est hébergé. Au cours du séjour, il va retourner clandestinement en zone interdite, dessiner la nature qui profite de la quasi absence de l’homme.
Mon avis: au fil des pages, l’auteur s’interroge sur sa légitimité à effectuer le voyage, à témoigner de la vie sur place, dure mais finalement sans doute pas plus qu’ailleurs en Ukraine, si l’on exclut la maladie des liquidateurs (comme Vassia) et les « enfants de Tchernobyl », nés après la catastrophe, ayant vécu en zone contaminée ou ceux qui sont nés de parents contaminés, comme les enfants de Vassia et Viera. La menace invisible de la radioactivité, l’omniprésence des dosimètres au début, puis peu à peu oubliés (jusqu’à la réalité, le test final de retour en France pour vérifier s’il a « pris de la dose » ou pas), le nucléaire est bien là, la catastrophe aussi, qui s’est passée dans une centrale quasi neuve, rappelons-le, d’autres réacteurs devaient ouvrir peu après à Tchernobyl, la fête foraine de Pripiat jamais inaugurée est là pour le rappeler, figée dans la poussière accumulée… De très belles planches (quelques doubles pages pleines) rendent compte de ce voyage un peu surréaliste. Tout le début est en noir et blanc, à l’encre et lavis, avec juste quelques couleurs, ocre, rouge, orange, qui mettent en relief des éléments inquiétants, par exemple les panneaux des barrières de la route d’accès à la zone interdite ou la poupée démembrée abandonnée, ou moins, comme la caisse rose de l’épicerie au décor kitch. Puis à partir de la page 106, les couleurs varient plus, les verts explosent, du plus vif au plus foncé, témoins de la nature qui reprend ses droits, des sorties avec moins d’attention au dosimètre.
Quelques éléments inquiétants filtrent du récit, comme la récupération des métaux en zone contaminée, par des habitants qui se font quelques sous à la revente… métal qui est exporté, dispersant la radioactivité dans le monde: mais chez nous, les déblais peu radioactifs, notamment ceux du démantèlement des rares sites en cours de déconstruction, sont aussi disséminés, dilués dans les matériaux de construction, en tant que Breton, l’auteur ne doit pas oublier Brennilis… arrêté en 1985 et dont le démantèlement ne sera pas terminé avant 2025!
Cette BD sera soumise pour le classement du TOP BD des blogueurs organisé par Yaneck / Les chroniques de l’invisible. Mes chroniques BD sont regroupées dans la catégorie pour les BD et par auteur sur la page BD dans ma bibliothèque.