J’avais un peu abordé, en novembre 2014, puis en 2015, la possibilité de retrouver ou pas, l’odorat que j’ai perdu suite à l’opération de l’un de mes méningiomes (dus à l’Androcur de Bayer), celui qui est indiqué par la flèche rouge.
J’ai eu un certain nombre de questions sur le sujet, je pense qu’il est utile de faire un nouveau point. L’anosmie existe pour d’autres causes, traumatisme crânien, grippe (et son vaccin dans de très rares cas), anosmie primaire dans certaines maladies rares, avancée en âge. C’est une cause importante de dépression. Perdre l’odorat (anosmie), ce n’est pas perdre le goût (agueusie), c’est-à-dire la sensation de l’acide, du sucré, du salé, de l’amer et de l’umani, mais c’est perdre la rétro-olfaction qui participe beaucoup au goût. Sans odorat, plus de plaisir pour préparer les repas ou manger… et beaucoup de plats brûlés, faute d’être alertée par l’odeur ! Comme je ne sentais toujours pas le gaz, l’année dernière, j’ai changé de cuisinière pour passer à l’électricité.
La cause de mon anosmie est identifiée: pour passer et enlever le méningiome (la boule au centre sur cette IRM avant opération), le neurochirurgien était obligé de pousser l’ethmoïde et notamment sa plaque criblée pour atteindre le jugum du sphénoïde (… poétiques, les noms des os du crâne). Ce faisant, il a soit étiré, soit rompu les petites terminaisons du nerf olfactif, qui ne conduit plus l’information. L’ORL m’avait dit que tout n’est pas perdu, qu’il pouvait y avoir des récupérations jusqu’à 18 à 24 mois. Un an après mon opération, j’avais de très rares sensations olfactives (même pas une odeur par jour, pas toujours les mêmes), inconstantes et seulement à de fortes concentrations. Deux 2 ans après, je pensais avoir déjoué les prédictions du neurochirurgien et de l’ORL du CHU de Poitiers, je progressais beaucoup, percevais de plus en plus de signaux olfactifs, arrivais à faire le lien signal perçu / odeur à attribuer, à forte concentration. Même si l’ORL est sceptique, j’ai vu grâce à ce site consacré à l’anosmie qu’il existait une consultation spécialisée à Garches, avec un programme expérimental de stimulation de l’odorat chez des traumatisés crâniens même après plusieurs années d’anosmie, mais cette consultation n’existait plus quand je me suis renseignée. Merci à Alexia Blondel qui anime les voyages olfactifs au CHU de Poitiers, qui m’a fait découvrir les sticks et les huiles essentielles en évitant celles qui sont le plus neurotoxiques (la majorité des menthes) et celles qui sont « hormon like » (risque de perturbateurs endocriniens et/ou de molécules qui se fixent sur les récepteurs hormonaux des méningiomes). Merci au rééducateur du CHU de Bordeaux avec qui j’ai échangé par messagerie, qui m’a encouragé à acheter le loto des odeurs. Et merci aussi à l’endocrinologue italien qui travaille sur une maladie endocrine rare, le syndrome de Kallmann, maladie qui est associée à une anosmie : il m’a expliqué que l’on pouvait récupérer des compétences olfactives via le trijumeau, notamment le menthol, les agrumes et tout ce qui est lié aux huiles, ce qui correspondait à ce que j’avais commencé à récupérer empiriquement avant de le rencontrer.
Qu’en est-il presque six ans après mon opération? Même si j’ai un tout petit peu progressé, je dirais que je perçois des odeurs à peine quelques minutes (voire quelques dizaines de secondes) par jour, et seulement si je me prépare des repas en fonction de ce que je peux percevoir et que je me colle le nez dans le jet de vapeur de la casserole. Cela me gêne encore beaucoup, notamment dans les relations sociales : quand je déjeune au restaurant ou chez des amis, que faut-il répondre à la question : « c’était bon? ». Je n’en ai absolument aucune idée, car je ne sais absolument pas ce que je mange la plupart du temps si je ne sais pas ce qu’il y a dans l’assiette. Seule exception, l’année dernière, au salon de Moncoutant, avec Maryse, nous avons déjeuner au restaurant sur la place, en entrée, une soupe jaune, vue la saison et l’indication de la carte, l’ingrédient principal était le potimarron. Je sentais autre chose et j’ai proposé le curcuma, dont j’abuse comme d’autres plantes aromatiques. Je pose la question à la serveuse, elle ne sait pas, elle va demander au chef, gagné!!! Il s’inquiète, « j’en ai mis trop? ». « Euh… non, sans doute pas », mais comme je n’ai pas été perturbée par l’odeur des autres ingrédients, j’ai pour une fois réussi à identifier celui-ci à l’aveugle et en conditions réelles! Disons même que c’est l’unique fois en 6 ans.
Donc, entre la première et la deuxième année, à force de stimulations quotidiennes, avec mes boîtes à odeur, des sticks aux huiles essentielles et deux jeux de loto des odeurs, j’arrivais à séparer les sticks aux agrumes de ceux aux menthes, à percevoir parfois le fumet au-dessus des casseroles. Cela au prix d’une stimulation intensive, sentir une boîte le matin (les yeux fermés pour ne pas voir le contenu), s’il n’y a pas de signal, changer à la stimulation suivante, une heure après. S’il y a un signal, essayer d’identifier l’odeur puis vérifier si c’est bon sur l’étiquette au dos (sticks et loto des odeurs) soit en regardant le contenu (boîtes maison). Recommencer toutes les heures. Après un an intensif, j’ai un peu relâché la stimulation, mais je la fait toujours chaque soir et plusieurs fois dans le week-end. Maryse a essayé de me stimuler avec son baeckeoffe et son cake aux clémentines confites et chocolat, avec des soupes dont j’essaye de deviner les ingrédients. J’ai aussi suivi des cours de cuisine pour malades atteints du cancer (même si le méningiome opéré était de grade I c’est-à-dire non cancéreux, j’ai pu y participer), et qui ont aussi le goût perturbé par leurs traitements.
Voici donc la liste des odeurs que je perçois, à condition qu’elles soient à forte concentration :
- les « huiles », romarin, thym, lavande, pin, laurier, résine de bouleau, clou de girofle, cumin, eucalyptus (feuilles), anis étoilé ou badiane pétrole mal brûlé, certains solvants (acétone, white spirit) ;
- agrumes, mais cela reste difficile de les distinguer (citron / orange / pamplemousse / bergamote) ;
- menthes ;
- épices : vanille (Madagascar), gingembre, curcuma, curry (pas tous), graines de moutarde (pilon), cannelle (Mexique), anis, graines de coriandre ;
- autre dans la cuisine : crêpes, certains plats mijotés, chocolat chauffé, beurre fondu, café juste torréfié, pommes juste coupées ou enfermées dans un sac, poivrons, certains fromages quand ils fondent (Maroilles, Munster, Vieux-Lille, fromage de chèvre très sec -de la ferme du Marais à Chauvigny-, sans distinction devant le fromager sous les halles), carottes et céleri au moment de les râper, fraises, poulet rôti, pain frais (dans la boulangerie), pain grillé (au-dessus du grille-pain, coriandre fraîche, certaines tomates, persil, livêche, gâteau juste sorti du four, chou et urine après avoir mangé des asperges (composantes soufrées) ;
- dans la nature : chèvrefeuille, seringua, herbe juste coupée, ammoniaque (étable, bergerie, cuir, épandage de fumier, mauvaises odeurs corporelles dans le bus), pétards et fumigènes, humus en forêt après la pluie, varech sur la plage.
Comparé à toutes les odeurs possibles, ce n’est pas beaucoup, mais c’est toujours un peu mieux que rien du tout.