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L’Inca et le Conquistador au musée du quai Branly à Paris

Jardin de Gilles Clément au musée du quai Branly, juin 2015Fin juin 2015, j’ai vu trois expositions au musée du quai Branly à Paris (ici le jardin de Gilles Clément): deux expositions-dossiers sur les mezzanines, qui se poursuivent encore quelques semaines (Tatoueurs-tatoués et L’Inca et le Conquistador, dont c’était le deuxième jour de présentation) et une grande exposition terminée mais dont je vous parlerai certainement, Les maîtres de la sculpture de Côte-d’Ivoire.

L’Inca et le Conquistador

Affiche de L'Inca et le Conquistador au musée du quai Branly à ParisA voir jusqu’au 20 septembre 2015.

L’exposition : 1520. Deux empires en pleine expansion. D’un côté, Charles Quint en Europe (des Pays-Bas à l’Espagne en passant par le Saint-Empire romain germanique, la Bourgogne et le Royaume de Naples), en Afrique-du-Nord et vers l’Amérique, où il envoie le conquistador Francisco Pizarro. De l’autre, l’empire inca Tawantinsuyu (« l’empire des quatre quartiers ») qui s’étend du centre du Chili au sud de la Colombie (si on considère les pays actuels) sous le règne de Huayna Capac. A sa mort, une guerre de succession mène sur le trône son fils l’Inca Atahualpa. L’exposition présente les forces en présence et retrace la confrontation en 1532 entre les conquistadors et le dernier inca à travers des objets mais surtout les récits qui en ont été faits, l’arrestation d’Atahualpa le 16 novembre 1532, sa détention (dorée, jusqu’au versement d’une époustouflante rançon) puis son exécution (1533) et la récupération de son corps par les siens, jusqu’à la guerre civile entre les conquérants, l’assassinat de Pizarro par ses compatriotes en 1541.

Mon avis : les deux premières parties présentent de nombreux objets, les suivantes plus de documents dont une belle série de gravures. L’exposition met en avant le choc de deux cultures. D’un côté les Espagnols, avides d’or et de richesse (ce qui amènera à la mort fratricide de plusieurs d’entre eux), perfides (ils tuent l’Inca malgré le versement de la rançon), de l’autre les autochtones qui ne comprennent pas que leurs codes de déférence et autres rapports hiérarchiques ne sont pas partagés par les conquérants. Bien que peu nombreux, mais disposants d’armes beaucoup plus dangereuses, les Conquistadors s’approprient les richesses de l’empire Inca. J’ai trouvé la dernière partie, sur les conséquences de la conquête, un peu décevante en n’insistant pas sur le problème de la colonisation, c’est récurrent dans ce musée, voir déjà mon commentaire sur Polynésie en 2008.

Il est également dommage que les gardiens (invisibles sauf à l’entrée) ne disent rien quand une visiteuse pousse tout le monde (c’était à l’ouverture donc pas trop de monde, mais quand même une dizaine de personnes gênées) pour prendre en photographie chaque vitrine et chaque cartel, avec un appareil photo numérique compact qui fait un bruit artificiel d’appareil argentique à chaque cliché, sans même regarder le contenu des vitrines, j’ai fini par l’interroger, pourquoi prend-elle autant de clichés? Pour en profiter chez elle (mais je vous promets, elle n’a rien vu de l’exposition en dehors du viseur de son appareil photo)!!! Je lui fais remarquer qu’elle ferait mieux d’acheter le catalogue (il y a les photographies de tous les objets à la fin, avec une notice plus complète que les cartels), qu’elle gêne tout le monde par son attitude (elle n’avait pas remarqué). Quant au bruit de son appareil, elle ne sait pas comment l’éteindre… Grrrr! Elle a fini par comprendre que son comportement égoïste ne serait plus toléré par les autres visiteurs et a fui « devant tant d’incompréhension et de tolérance »: elle a sauté toute la dernière section, après mes questions et le renfort d’autres visiteurs aussi agacés mais muets au début. Je ne sais pas si elle a acheté le catalogue, mais je vous le recommande aussi 😉

Sur le musée du Quai Branly à Paris, voir aussi

Sur Gilles Clément

Exhibitions au musée du quai Branly à Paris

La façade sur Seine et le jardin du musée du quai Branly Le musée du quai Branly à Paris (ici une photographie de 2009…) organise jusqu’au 3 juin 2012 sur la mezzanine ouest (entrée dans le musée, billet collections permanentes) intitulée L’invention du sauvage, exhibitions.

Sur la présentation officielle, on peut lire :

« EXHIBITIONS met en lumière l’histoire de femmes, d’hommes et d’enfants, venus d’Afrique, d’Asie, d’Océanie ou d’Amérique, exhibés en Occident à l’occasion de numéros de cirque, de représentations de théâtre, de revues de cabaret, dans des foires, des zoos, des défilés, des villages reconstitués ou dans le cadre des expositions universelles et coloniales. Un processus qui commence au 16e siècle dans les cours royales et va croître jusqu’au milieu du 20e siècle en Europe, en Amérique et au Japon. »

 L'hôtel de ville de Niort, 4, le blason Mon avis : l’exposition mélange plusieurs choses… Au début de la période, il s’agit d’exhiber des « sauvages » comme on exhibe aussi des personnes difformes dans les foires, etc. Voyeurisme, pas de doute, mais à ce moment-là, il n’est pas sûr qu’il s’agisse d’un comportement raciste et de bourrage de crâne du visiteur de ces exhibitions comme cela semble être le discours tout au long de l’exposition. Pour l’image du « sauvage », au passage, je vous invite à revoir ceux qui portent les armoiries de Niort… Je vous remets l’image, si avez avec la flemme d’aller revoir l’article. Ils ne sont pas inintéressants, car ils sont présentés comme un souvenir des fêtes costumées données par le duc de Berry à la fin du 14e siècle… donc exactement dans le même mouvement que ce qui est présenté dans l’exposition. Et dans le même cliché, dénudés et armés de gourdins.

La deuxième partie montre un phénomène tout à fait différent, qui se développe du début du 19e siècle aux années 1950. A ce moment-là, il y a réellement une exploitation voire une industrie du « spectacle exotique ». Des figurants voire de véritables artistes, en troupes, font le tour de l’Europe et de l’Amérique du Nord, dans de véritables « zoos humains », que ce soient dans des parcs comme le jardin d’acclimatation à Paris ou lors des expositions coloniales. Au début, il y a vraiment une sorte d’esclavage de ces personnes exhibées, qui payent un lourd tribut en maladies et accidents. Mais peu à peu, ils deviennent de vraies troupes, avec mise en scène, costumes, répétitions, etc. Alors certes, il y a la barrière avilissante, mais ils reçoivent la plupart du temps à ce moment là un cachet. Est-ce bien différent des spectacles que donnent aujourd’hui les tribus Massaï ou les esquimaux du Canada aux visiteurs (j’aurai pu prendre beaucoup d’autres exemples)? On me rétorquera sans doute que dans ces spectacles « ethniques » sur place, il y a des retombées économiques positives pour ceux qui accueillent les « visiteurs ». Mais n’était-ce pas aussi le cas avec les troupes des années 1930?

Je pense que l’exposition aurait dû vraiment mieux séparer les choses. La présentation aurait aussi gagné à être différente… Le visiteur de 2012 qui regarde les cires à caractère racial et raciste n’est guère dans une situation différente du spectateur de ces cires dans des cabanes de foire un siècle plus tôt. Restez un peu au bout de la salle, et vous verrez, il y a ceux qui passent vite, comme gênés, et ceux qui semblent fascinés, en situation de voyeurisme, qui les scrutent les unes après les autres… Je vous passe même un commentaire entendu et qui devait être le commun des commentaires à l’époque, visiblement, le discours anti-raciste qui est censé accompagner l’exposition n’était pas passé pour ce papa qui expliquait à son fils qu’il avait devant lui la preuve de la supériorité des blancs (pas au deuxième degré, comme j’ai pu le constater dans la salle suivante où il tenait impunément des propos très racistes). Je ne sais pas comment il aurait fallu présenter ces cires, mais certainement pas comme elles le sont, les commissaires de l’exposition auraient dû mieux faire entendre leur point de vue auprès des muséographes. C’est également le cas pour la dernière salle, qui n’a absolument rien à voir et mélange tout.

Alors oui, ces exhibitions ont participé à forger l’imaginaire du sauvage, à ancrer des thèses racistes dans la tête des gens, mais il y avait aussi les dessins, caricatures, articles de la presse (relire avec prudence les revues des ligues dans les années 1930), etc. Le phénomène est beaucoup plus complexe.

Pour les visiteurs, il y a trois catégories:

– ceux qui connaissent le sujet et/ou sont au moins sympathisants de mouvements proches des droits de l’homme, ceux-ci vont glaner quelques pépites, approfondiront leurs connaissances…

– ceux qui viennent avec des a priori racistes et se trouvent littéralement confortés par cette exposition (cf. le discours du père à son fils devant les cires raciales)

– ceux qui n’ont pas vraiment d’avis, et qui ressortent en n’en sachant pas vraiment plus, parce qu’ils ont avalé un « gloubiboulga » (oups, les moins de 40 ans ne vont pas comprendre), une sorte de mixture qui mélange des choses qui ont pas toujours quelque chose à voir entre elles, un discours dense, mais qu’ils n’auront pas lu en entier (un visiteur fatigue dès qu’il y a plus de 600 à 800 signes sur un panneau).

Et puis, le musée du quai Branly aurait peut-être eu aussi à réfléchir sur la place du musée de l’Homme dont il est l’héritier, sur la salle d’anatomie comparée du musée des antiquités nationales (devenu d’archéologie nationale) dont une partie est également entrée dans les collections de Branly, et même sur son attitude dans des expositions récentes, je pense en particulier à Polynésie, qui présentait des objets rituels liés au cannibalisme… sans parler de cette pratique, excès inverse par rapport à Exhibitions, le « Bon sauvage » ne saurait plus être cannibale…

Pour le musée du Quai Branly, je vous ai déjà parlé de :

Sur le site de l’INA, voir ce petit film sur l’exposition coloniale de 1931 à Vincennes

 

Musée du Quai Branly à Paris contre musée royal d’Afrique à Bruxelles

Façade Sur Seine du musée du Quai Branly Lors de mon marathon parisien mi août, j’étais passée au musée du Quai Branly, où a toujours lieu l’exposition-dossier Planète métisse dont je vous ai déjà parlé. Je viens de recevoir à corriger les épreuves d’un article pour un colloque auquel j’ai participé l’année dernière à Bruxelles. À cette occasion, j’avais prolongé le séjour le week-end et mon père m’avait rejoint le dimanche. Nous avions alors visité le musée royal d’Afrique centrale à Tervuren. Alors, cela m’a donné envie de faire une petite comparaison… L’histoire coloniale de la France et de la Belgique est à l’origine de la constitution de la plus grande partie de ces deux collections, alors pourquoi ne pas les comparer ?


Domaine Musée du Quai Branly à Paris Musée royal d’Afrique centrale à Bruxelles
Accès Soit à pied par les quais de la Seine, soit par le métro, avec le flux des visiteurs de la Tour Eiffel voisine Par un charmant trajet dans un vieux tramway à travers la banlieue bruxelloise (prévoir une bonne demi-heure depuis le parc du centenaire)
Architecture Résolument contemporaine, due à Jean Nouvel Dans un château daté de 1910 qui fait l’objet d’un projet de rénovation, travaux à partir de 2010 sans fermeture du musée
Environnement Un jardin contemporain de Gilles Clément et la Seine Un grand parc, avec étang, canal et de nombreux visiteurs. Idéal pour une promenade ou un pique-nique.
Les collections Sur tous les continents à part l’Europe Sur l’Afrique centrale et notamment le Congo
La présentation Résolument Beaux-Arts, ceux qui veulent avoir une idée du fonctionnement des objets ou de leur fabrication, etc., doivent regarder des films sur de minuscules écrans sans confort le plus souvent (debout, avec les bruits de la salle et des autres visiteurs). De belles vitrines, de beaux soclages, un bel emballage pour de beaux objets sans vie Des vitrines à l’ancienne, mais des fiches pédagogiques qui mettent l’accent sur le côté ethnographique
Le restaurant Chic, branché et un peu cher, avec peu de choix, et une partie seulement de la carte rappelle le thème du musée Façon cafétéria pour le service, mais plats variés, copieux et pas chers. Des plats africains, c’était excellent

Les deux se complètent bien, en fait… L’un ultra moderne et qui oublie que ces objets ont eu une vie. L’autre au charmant charme désuet. Pour mes amies lectrices belges, n’hésitez pas à aller à Tervuren si vous ne connaissez pas ! Et vous me raconterez votre impression.

Exposition Planète métisse au musée du quai Branly à Paris

La façade sur Seine et le jardin du musée du quai Branly Le musée du quai Branly à Paris organise jusqu’au 19 juillet 2009 une exposition dossier (donc entrée avec l’entrée du musée) dans la galerie suspendue ouest, exposition intitulée Planète métisse : to mix or not to mix. Certes, vous avez encore du temps pour la visiter. Je l’ai vue lors de mon marathon d’expositions à Paris mi août. Alors qu’il y avait du monde dans le musée et à l’exposition Polynésie, cet espace était quasiment désert. Le pari de l’exposition est de montrer les métissages, ce que la découverte d’un peuple a apporté à l’autre et vice-versa. Par exemple, un saint Sébastien en ivoire venant de Goa en Inde, vêtu d’un pagne, ou des poires à poudre à décor orientalisant. Surtout, ne ratez pas les codex d’Amérique du Sud, qui sont des pièces rarement montrées en raison de leur fragilité (l’un d’eux devra d’ailleurs faire un séjour de quelques mois à l’abri de la lumière au milieu du temps de cette exposition). À la fin du parcours, il y a un module avec des projections de films genre arts martiaux ou conquête de l’ouest. Juste à côté, un petit module avec un dispositif que j’ai adoré. un arbre à musique. Il est composé de tuyaux aux couleurs vives avec les petits hauts-parleurs qui diffusent de la musique de type samba. Les rares visiteurs qui y sont entrés n’ont pas vu que cet arbre diffusait des musiques, alors, tentez l’expérience !

Exposition Polynésie au musée du quai Branly à Paris

La façade végétale du musée du Quai Branly Le musée du quai Branly à Paris organise jusqu’au 14 septembre 2008 une exposition dossier (donc entrée avec l’entrée du musée) dans la galerie suspendue est, exposition intitulée Polynésie, arts et divinités, 1760-1860. S’il y a certes de très beaux objets, à voir absolument, le parti pris par le musée me dérange beaucoup. À nouveau, il s’agit de présenter les objets pour leur « beauté », mais ils sont absolument déconnectés de leur contexte ethnographique ou de leur usage. Si le visiteur veut comprendre ce qu’est un battoir à écorce ou comment se fabrique le papier en écorce (en fait, c’est à peu près comme la fabrication du papyrus), il n’a aucune explication dans l’exposition ni dans le catalogue. Pas sûr non plus que dans les salles du musée, il arrive à trouver dans la multitude de minuscules écrans le petit film qui en parle… Et les masques en plume, comment étaient-ils fabriqués ?
De même, il y a un long développement sur la collecte de ces objets et la christianisation de ces îles, mais rien sur le cannibalisme dont ont été victimes certains de ces missionnaires. Si, quand même un petit post-it de 20 cm de long montre l’usage des grands tambours avec en arrière-plan une scène de cannibalisme. Et pourtant, la maladie de Creutzfeldt-Jakob a été décrite pour la première fois dans ces îles, chez des cannibales qui avaient mangé des cerveaux de personnes trop âgées atteintes de cette maladie ! Pourquoi ne pas en parler ? Cela fait partie de la culture de certaines de ces îles, et certains objets ne peuvent pas se comprendre en dehors des cérémonies très particulières qui ont pourtant été décrites très tôt par les voyageurs et les missionnaires… Sans doute les responsables de cette exposition pensent-ils que ça dévalorise les hommes (et les femmes, on n’en parle jamais) qui ont créé ces  » beaux objets  » que de dire que certains étaient liées à des pratiques cannibales.
Si vous êtes à Paris ou si vous y passez dans les prochains jours, allez quand même voir cette exposition, certains objets sont vraiment exceptionnels. mais si vous voulez savoir à quoi ils servent, comment ils ont été fabriqués, ne comptez ni sur le catalogue, ni sur l’audioguide. Passez un peu de temps dans la section Polynésie, sur les petits écrans en bordure de salle, ou renseignez-vous par d’autres moyens.
En guise de clin d’œil, retrouvez le phare de Pointe Vénus à Tahiti que je viens de broder en marque-page !
Petit indice pour la devinette de ce matin : ce n’est pas un poisson, ni un doudou, ce ne sont pas des rubans, des boutons, du tissu ou autre kit de survie de brodeuse… ça a un rapport avec la région Poitou-Charentes… De nouvelles idées ?