Je vous ai déjà montré plusieurs monuments commémoratifs des guerres à Metz (revoir : monument aux morts de 1914-1918, hommage aux Hommes de fer, Albert Ier roi des Belges). Aujourd’hui, je vous présente le Poilu libérateur, qui se dresse au bout de l’Esplanade. Et vous allez avoir trois monuments aux morts (voire quatre monuments avec Guillaume Ier) pour le prix d’un! Comme pour les autres monuments de Metz, il a eu une histoire mouvementée.
Le sculpteur Henri Bouchard (Dijon, 1875 – Paris, 1960), grand prix de Rome en 1901 [revoir le monument à Audouin-Dubreuil à Saint-Jean d’Angély], était lieutenant à Nancy, où il fabriquait des arbres de camouflage [renvoi l’exposition 1917 qui abordait le sujet] et rejoint Metz pour l’entrée des Poilus libérateurs le 19 novembre avec le maréchal Pétain à leur tête. En secret, il réalise entre le 2 et le 7 janvier 1919 ce monument à la façon d’un maquette grandeur nature, en bandes plâtrées (serpillières trempées dans le plâtre) posées sur une armature en fer et grillage, prêt pour la grande parade sur l’emplacement du monument à Guillaume Ier dont il a gardé une partie du socle en remplaçant l’inscription allemande « On les a ». Fragile, le monument n’est jamais fondu en bronze et ne résiste pas aux intempéries mais plusieurs cartes postales l’ont immortalisé.
Une carte postale propose même un «avant» (monument à Guillaume Ier) et après (monument aux Poilus) qui ne correspond pas au monument de Henri Bouchard mais le suivant…
Suite à des bisbilles, la municipalité avait en effet décidé de ne pas faire couler en bronze (avec le matériau récupéré des statues allemandes déboulonnées) le Poilu de Bouchard mais de passer commande à un sculpteur local, Emmanuel Hannaux (Metz, 1855 – 1934). Sa maquette est définitivement choisie en 1921 et c’est son Poilu libérateur, inauguré le 5 juin 1922, que l’on peut voir sur cette carte postale et qui sera détruit pendant la Deuxième Guerre mondiale, fondu dès 1940. Il est composé d’un haut socle sur lequel pose un soldat et à sa base, une allégorie de la France victorieuse les bras levés…
Henri Bouchard n’avait toujours pas renoncé à son Poilu et il avait été retenu en 1937 pour le monument aux morts place du Trocadéro (cimetière de Passy). La Deuxième guerre mondiale en décida autrement et ce fut après guerre le projet de Paul Landowski qui fut retenu à Passy…
En 1945, le Souvenir français aurait voulu voir ériger une nouvelle œuvre dédiée aux poilus mais la municipalité se contente d’une stèle. Henri Bouchard est recontacté. En 1956, suite à une souscription publique, le monument d’Henri Bouchard est réalisé par le fondeur Hohwiller et inauguré par le maréchal Juin.
Il s’agit d’une version un peu différente : alors que le Poilu de 1919 écrasait du pied droit un casque à pointe allemand, il est désormais représenté les deux pieds au sol, une partie du barda et de l’armement (grenade notamment) posé par terre…
… ainsi que deux casques, mais dans une position moins « écrasante » par rapport au vaincu…
La signature de Bouchard est bien visible et l’inscription sur le socle fixe le titre: « Au Poilu libérateur – Le Souvenir Français de la Moselle 1918 ».
Le modèle en ciment-pierre qui a servi à cette fonte se trouve à Maizières-lès-Metz.
Pour aller plus loin : Voir l’article en ligne de Jean-Claude Jacoby, Le Poilu libérateur, l’œuvre messine du sculpteur Henri Bouchard
Photographies août 2012.
Quelle histoire mouvementée, en effet ! merci pour le partage de ces infos.
Bises, belle journée.
Pour te répondre, j’en pense avant-tout qu’il est à contre-jour 😉
… et que je ne suis pas le seul à raconter des histoires compliquées !! (tu as suivi celle du manoir dans le dernier n° de la revue ?)
L’allégorie de la France sur les cartes anciennes semble assez amusante… on dirait La Danse de Carpeaux exécutant là une danse orientale dans ses voiles volant au vent 😀
Bien sûr le bronze de Bouchard est assez massif, mais plutôt pas mal à ce que j’en vois avec sa forme pyramidale, mieux sans doute que celui disparu d’Hannaux
une sacrée histoire….en plus de l’Histoire….
Pour me rendre en ville à pied par le plan d’eau, je passe au moins une fois par semaine devant la statue du poilu. Un jour je me suis imaginé ce qu’il pourrait dire à un passant comme moi. Cela m’a inspirer le poème ci-dessous:
LE POILU DE L’ESPLANADE
Toi qui passe devant moi sans même lever les yeux,
Souviens-toi que c’est moi, allié à tes aïeux,
Qui avons défendu au péril de nos cœurs,
Ce qu’aujourd’hui pour toi sont beauté et douceur.
Laisse-moi te conter la descente aux enfers
De nos générations vouées à Lucifer.
J’ai couru les tranchées de Verdun à la Somme,
J’ai vu souffrir les hommes comme bêtes de somme,
J’ai vu tous les combats et cent mille batailles,
J’ai vu mes compagnons fauchés par la mitraille.
J’ai vu la bête immonde excitée par ces crimes,
Dévorer les entrailles des héros anonymes.
J’ai marché dans le sang des enfants innocents
Que des Nations indignes ont jeté au néant.
Pour nous pas de répits, pas l’espoir d’une trêve,
On giclait de la boue et c’était marche ou crève.
Mes yeux hallucinés, aveuglés par l’horreur,
Ont tant versé de larmes en ces temps de fureur,
Que j’en ai renié, dans l’éclat des rafales,
Nos Dieux bien à l’abri au fond des cathédrales.
Mais le temps a passé sur les terres de Lorraine,
Oubliées les folies et oubliées les haines.
Même si dans le marbre on grave l’épopée,
La mémoire de l’Histoire fini par s’estomper,
Et les hommes affairés à leurs passions vénales
Ne voient plus les dangers des rancœurs ancestrales.
Toi qui marche tranquille avec sérénité,
Si l’air que tu respires en toute liberté
T’apporte le bonheur et te rempli d’espoir,
Pense, que c’est à moi que tu dois ta victoire.
Maintenant au repos, l’âme parée d’airain,
Je contemple le monde rassuré et serein.
Pourtant je n’abdique pas les devoirs de ma charge,
Mon regard vigilant est tourné vers le large.
J’ai toujours l’arme au pied et l’épée à mon flanc,
Prêt à porter plus haut l’étendard triomphant,
Prêt à défendre encore la Terre de mes parents
Pour la léguer intacte à mes petits enfants.
Dormez peuples de France, je garde la maison,
Je veille, l’amour au cœur et l’œil sur l’horizon.
Kolb Alain Avril 2013
Magnifique poème qui m’a beaucoup touchée ! Merci Monsieur Kolb Alain !