Alors que la morale va faire son retour à l’école et que les impôts ont été au cœur des discussions parlementaires (et de nos porte-monnaie) ces dernières semaines, je ne résiste pas à partager avec vous cette leçon de morale extraite de Éléments d’instruction morale et civique, par Gabriel Compayré, 112e édition (et oui! je n’ai pas trouvé l’année de parution, mais l’exemplaire a appartenu à Edmond Sardiev, acheté en brocante il y a longtemps, la 99e édition avait été publiée en 1897), conforme au programme officiel… du 27 juillet 1882 (Paris, librairie classique Paul Delaplane)… article classé (je vous l’accorde, un peu tiré par les cheveux) en rubrique Poitiers… l’auteur étant à l’époque recteur de l’académie de Poitiers (tout comme Léon Pineau un peu plus tard) 😉 ! L’ouvrage se présente comme l’histoire de Georges, au fil de sa vie, à l’école puis par correspondance avec son ancien instituteur… Direction la partie La société et la patrie, chapitre Les devoirs envers la patrie, III Le devoir de payer l’impôt (pages 92-94). Je vous recommande tout particulièrement le résumé à la fin (à recopier sur votre cahier et à apprendre par cœur…) et prévoie une petite surprise à celui/celle qui me distraira le plus en répondant aux questions des exercices! Faut pas déc…er, la morale, c’est sérieux! Les impôts aussi! Et méditez sur cette phrase: « vous devez vous préparer à payer, de bon cœur et sans murmure, des impôts qu’on exige de vous que pour vous assurer tous les bienfaits de la vie sociale ». Qui proposera la nouvelle leçon de morale 2013/2014 sur l’impôt?
Vous savez déjà, mes enfants, que la patrie entretient des écoles pour vous instruire, une armée pour vous défendre: l’armée seule lui coûte plus de 500 millions par an.
Mais l’intérêt général exige beaucoup d’autres dépenses. C’est la patrie qui s’en charge. Elle fait des routes, creuse des canaux, bâtit des digues pour contenir le cours des eaux. Elle paie les magistrats qui rendent la justice, les gendarmes qui intimident ou arrêtent les malfaiteurs. Enfin, elle rémunère tous les services publics, police, administration, instruction, etc.
Mais pour tout cela il faut de l’argent, beaucoup d’argent. A qui la patrie le demandera-t-elle, sinon à ceux qui précisément profitent de toutes ces dépenses, c’est-à-dire les citoyens? Il est juste que tous les citoyens, chacun pour sa part et à proportion de ses ressources, participent à des dépenses dont tous bénéficient.
Voilà pourquoi l’impôt est légitime. Sans doute il est quelquefois dur de le payer: l’année est mauvaise, le travail ne va pas, et il faut tout de même le payer. C’est que la patrie toujours continue son œuvre. Vous avez toujours besoin qu’elle protège vos personnes, vos propriétés publiques et privées, qu’elle tienne vos chemins, vos rues, en bon état.
L’impôt est comme le salaire que vous devez à la patrie en échange des services qu’elle vous rend.
Quand vous venez à l’école, vous avez le droit de vous dire : « Cette école, c’est un peu moi; car c’est avec les contributions de mes parents, ajoutées à celles des autres citoyens, qu’on l’a bâtie. » De même pour la route qui vous conduit à la ville voisine, de même pour l’église, de même pour mille choses.
L’impôt n’est du reste légitime que quand il frappe ceux qui possèdent en proportion de ce qu’ils possèdent. Il y a par suite divers impôts: l’impôt foncier, atteint ceux qui sont propriétaires d’immeubles, c’est-à-dire de maisons, de vignes, de bois, de champs; l’impôt mobilier, ceux qui, sans posséder d’immeubles, occupent des chambres, un appartement dans une maison; l’impôt personnel enfin frappe tout le monde, parce que nous avons tous, pauvres ou riches, cette première propriété qui est notre personne. Cet impôt n’est d’ailleurs pas bien lourd, il varie entre 1fr.50 et 4fr.50.
Il était permis autrefois de protester contre l’impôt, quand il servait à satisfaire les caprices d’un monarque et n’était pas employé pour le bien de tous: de même qu’il était permis de protester contre les armées permanentes, quand elles servaient non à la défense de la nation, mais aux entreprises ambitieuses d’un conquérant. Aujourd’hui au contraire que la nation est souveraine, vous devez vous préparer à payer, de bon cœur et sans murmure, des impôts qu’on exige de vous que pour vous assurer tous les bienfaits de la vie sociale.
– Quand j’aurai payé l’impôt, rempli le devoir militaire et le devoir d’aller à l’école, serai-je quitte envers la patrie? demanda Georges – Non, reprit le maître, sans parler de vos devoirs politiques, il vous restera encore à être un homme digne de votre nom d’homme, un homme juste et charitable, un honnête homme enfin, c’est ce que je vais maintenant vous apprendre.
Résumé: l’impôt est la participation pécuniaire de chaque citoyen aux dépenses communes qu’exigent les divers services publics. La patrie, qui entretient une armée, des magistrats, des fonctionnaires de toute espèce, a besoin pour tout cela de beaucoup d’argent, et c’est aux citoyens de lu fournir, chacun selon ses moyens et proportionnellement à sa fortune.
Exercices: qu’arriverait-il dans un pays, si on abolissait l’impôt? – Pourquoi l’impôt s’appelle-t-il aussi contribution? – Quelles sont les diverses formes de l’impôt? Quelles sont les principales conditions nécessaires pour que les impôts soient justes?
A la fin du livre, il y a un autre chapitre sur l’impôt, livre La société politique, chapitre Les questions d’économie sociale, VIII, les diverses formes de l’impôt…
Pour vous donner une idée des chiffres donnés dans l’article, si l’on utilise le convertisseur de l’Insee, en francs/euros constants, après correction de l’inflation etc.,selon la table utilisée (nous devons être autour de 1900, la 99e édition du livre en 1897, ici, c’est la 112e édition), 1,5 francs de 1901 (le convertisseur ne remonte pas plus haut) correspond quand même à 5,72 € de 2012 (si on est plus tard pour cette édition, 1,5 francs de 1914 correspond à 4,95 €, Gabriel Compayré étant décédé en 1913, on doit être dans le bon créneau). Le budget de l’armée, 500 millions, correspond donc à moins de 2 milliards d’euros (1907427584,72 en francs de 1901 ou 1651792959,96 € en francs de 1914), mais ce chiffre me paraît bizarre, nous sommes dans la course à l’armement entre la défaite de 1870 et la première guerre mondiale (le budget militaire de 1914 fut couvert par un emprunt de 815 millions de francs, le budget actuel de la Défense tourne autour de 60 milliards d’euros, alors même si un uniforme garance coûte moins cher qu’un Rafale, ça fait un sacré écart).