Alors que l’exposition Une fenêtre sur le monde, Jean-Richard Bloch à la Mérigotte se poursuit encore une quinzaine de jours (jusqu’au 31 octobre 2014) et que la dernière conférence aura lieu demain (16 octobre) à la médiathèque de Poitiers (voir le programme d’animations), j’ai lu plusieurs ouvrages de Jean-Richard Bloch (rééditions ou originaux issus de sa bibliothèque). Si j’ai lu chez moi la réédition de Espagne, Espagne!, j’ai lu plusieurs ouvrages au fond patrimoine de la médiathèque, qui a bien voulu déplacer pour moi le lourd visioagrandisseur de la salle des revues où il est habituellement et me mettre de côté les ouvrages sur plusieurs jours, ne pouvant pas lire plus de 50 à 100 pages à la fois. Après la traduction de Karl et Anna, de Leonhard Frank, voici Sur un Cargo, en attendant Cacaouettes et bananes.
Le livre: Sur un cargo, de Jean-Richard Bloch, Documents bleus n° 10, Nouvelle revue Française, éditions Gallimard, 229 pages, 1924 (réédité en 2009, ISBN 9782070127122, lu en édition originale).
L’histoire: Avril 1921. Convalescent, Jean-Richard Bloch embarque à Saint-Nazaire sur un cargo, La Pantoire. Après une maladie, Jean-Richard Bloch a l’idée de passer sa convalescence à bord d’un cargo, La Pantoire, à destination de Dakar. Mais le cargo part d’abord charger du charbon à Cardiff. , puis dans divers ports bretons, jusqu’à Dakar. Grève, problème de fret, avarie, le voici qui fait des ronds dans l’eau entre l’Angleterre, Le Croisic, Ambleteuse, Gand, Rotterdam, retour à Saint-Nazaire! Et enfin les Canaries et l’Afrique…
Mon avis: relevant de maladie (il fut toujours souffrant après ses trois blessures au cours de la première guerre mondiale et en à sans doute rapporté des cauchemars, voir page 218: « Réveil en pleurs d’un cauchemar que vous me dispenserez de vous raconter« ), Jean-Richard Bloch embarque sur un cargo. A côté des ragots de marins, des histoires de naufrage, de descriptions de la mer ou du mal de mer, des conditions de travail (dimanche payé double, page 189), il rapporte des réflexions que je n’aurais pas pensé trouver ici, comme une digression sur Marcelin Boule sur la Préhistoire, les hommes fossiles et Homo alpinus (p. 39 et suivantes), mais ce n’était visiblement pas un sujet qui lui était familier: « Une photographie me retient longtemps. Elle représente une vertèbre d’homme paléolithique du Cro-Magnon, percée d’une flèche néolithique » (c’est moi qui souligne…).. Il cite également Marcelin Boule, à replacer dans le contexte de la montée du nazisme et de l’antisémitisme et les discussions sur l’existence ou non de « races »: « il n’y a pas une race bretonne mais un peuple breton, pas une race française mais une nation française, pas une race aryenne mais des langues aryennes, pas une race latine mais une civilisation latine« . Je pense que cette phrase devrait toujours être méditée… Page 70, il poursuit la réflexion avec Henri Bergson autour de Homo sapiens et Homo faber (l’ouvrier). A bord de son cargo qui fait des ronds dans l’eau, il lit, descend à terre. Ainsi, à Gand (qui lui rappelle son arrivée à Marseille, enfant, avec ses parents), il va au cinéma: « Charlot voyage est un film mal composé » et il poursuit avec deux pages de critique (p. 123 et suivantes). Plus loin, il se moque de l’éducation nationale (rappelons qu’il est professeur d’histoire-géographie, même s’il a arrêté d’enseigner peu après son arrivée à Poitiers, avant la première guerre mondiale: « Le nouvel inspecteur de P… exige des maîtres qu’ils ne racontent pas, à des enfants de 6 ans, l’histoire de Proserpine sans en tirer une morale. Ce doit être un homme bien intelligent » (page 159). Une lecture agréable, qui mêle des sujets très variés, entre le rapport de ce qu’il observe et ce qu’il lit, ses réflexions, etc.