Exhibitions au musée du quai Branly à Paris

La façade sur Seine et le jardin du musée du quai Branly Le musée du quai Branly à Paris (ici une photographie de 2009…) organise jusqu’au 3 juin 2012 sur la mezzanine ouest (entrée dans le musée, billet collections permanentes) intitulée L’invention du sauvage, exhibitions.

Sur la présentation officielle, on peut lire :

« EXHIBITIONS met en lumière l’histoire de femmes, d’hommes et d’enfants, venus d’Afrique, d’Asie, d’Océanie ou d’Amérique, exhibés en Occident à l’occasion de numéros de cirque, de représentations de théâtre, de revues de cabaret, dans des foires, des zoos, des défilés, des villages reconstitués ou dans le cadre des expositions universelles et coloniales. Un processus qui commence au 16e siècle dans les cours royales et va croître jusqu’au milieu du 20e siècle en Europe, en Amérique et au Japon. »

 L'hôtel de ville de Niort, 4, le blason Mon avis : l’exposition mélange plusieurs choses… Au début de la période, il s’agit d’exhiber des « sauvages » comme on exhibe aussi des personnes difformes dans les foires, etc. Voyeurisme, pas de doute, mais à ce moment-là, il n’est pas sûr qu’il s’agisse d’un comportement raciste et de bourrage de crâne du visiteur de ces exhibitions comme cela semble être le discours tout au long de l’exposition. Pour l’image du « sauvage », au passage, je vous invite à revoir ceux qui portent les armoiries de Niort… Je vous remets l’image, si avez avec la flemme d’aller revoir l’article. Ils ne sont pas inintéressants, car ils sont présentés comme un souvenir des fêtes costumées données par le duc de Berry à la fin du 14e siècle… donc exactement dans le même mouvement que ce qui est présenté dans l’exposition. Et dans le même cliché, dénudés et armés de gourdins.

La deuxième partie montre un phénomène tout à fait différent, qui se développe du début du 19e siècle aux années 1950. A ce moment-là, il y a réellement une exploitation voire une industrie du « spectacle exotique ». Des figurants voire de véritables artistes, en troupes, font le tour de l’Europe et de l’Amérique du Nord, dans de véritables « zoos humains », que ce soient dans des parcs comme le jardin d’acclimatation à Paris ou lors des expositions coloniales. Au début, il y a vraiment une sorte d’esclavage de ces personnes exhibées, qui payent un lourd tribut en maladies et accidents. Mais peu à peu, ils deviennent de vraies troupes, avec mise en scène, costumes, répétitions, etc. Alors certes, il y a la barrière avilissante, mais ils reçoivent la plupart du temps à ce moment là un cachet. Est-ce bien différent des spectacles que donnent aujourd’hui les tribus Massaï ou les esquimaux du Canada aux visiteurs (j’aurai pu prendre beaucoup d’autres exemples)? On me rétorquera sans doute que dans ces spectacles « ethniques » sur place, il y a des retombées économiques positives pour ceux qui accueillent les « visiteurs ». Mais n’était-ce pas aussi le cas avec les troupes des années 1930?

Je pense que l’exposition aurait dû vraiment mieux séparer les choses. La présentation aurait aussi gagné à être différente… Le visiteur de 2012 qui regarde les cires à caractère racial et raciste n’est guère dans une situation différente du spectateur de ces cires dans des cabanes de foire un siècle plus tôt. Restez un peu au bout de la salle, et vous verrez, il y a ceux qui passent vite, comme gênés, et ceux qui semblent fascinés, en situation de voyeurisme, qui les scrutent les unes après les autres… Je vous passe même un commentaire entendu et qui devait être le commun des commentaires à l’époque, visiblement, le discours anti-raciste qui est censé accompagner l’exposition n’était pas passé pour ce papa qui expliquait à son fils qu’il avait devant lui la preuve de la supériorité des blancs (pas au deuxième degré, comme j’ai pu le constater dans la salle suivante où il tenait impunément des propos très racistes). Je ne sais pas comment il aurait fallu présenter ces cires, mais certainement pas comme elles le sont, les commissaires de l’exposition auraient dû mieux faire entendre leur point de vue auprès des muséographes. C’est également le cas pour la dernière salle, qui n’a absolument rien à voir et mélange tout.

Alors oui, ces exhibitions ont participé à forger l’imaginaire du sauvage, à ancrer des thèses racistes dans la tête des gens, mais il y avait aussi les dessins, caricatures, articles de la presse (relire avec prudence les revues des ligues dans les années 1930), etc. Le phénomène est beaucoup plus complexe.

Pour les visiteurs, il y a trois catégories:

– ceux qui connaissent le sujet et/ou sont au moins sympathisants de mouvements proches des droits de l’homme, ceux-ci vont glaner quelques pépites, approfondiront leurs connaissances…

– ceux qui viennent avec des a priori racistes et se trouvent littéralement confortés par cette exposition (cf. le discours du père à son fils devant les cires raciales)

– ceux qui n’ont pas vraiment d’avis, et qui ressortent en n’en sachant pas vraiment plus, parce qu’ils ont avalé un « gloubiboulga » (oups, les moins de 40 ans ne vont pas comprendre), une sorte de mixture qui mélange des choses qui ont pas toujours quelque chose à voir entre elles, un discours dense, mais qu’ils n’auront pas lu en entier (un visiteur fatigue dès qu’il y a plus de 600 à 800 signes sur un panneau).

Et puis, le musée du quai Branly aurait peut-être eu aussi à réfléchir sur la place du musée de l’Homme dont il est l’héritier, sur la salle d’anatomie comparée du musée des antiquités nationales (devenu d’archéologie nationale) dont une partie est également entrée dans les collections de Branly, et même sur son attitude dans des expositions récentes, je pense en particulier à Polynésie, qui présentait des objets rituels liés au cannibalisme… sans parler de cette pratique, excès inverse par rapport à Exhibitions, le « Bon sauvage » ne saurait plus être cannibale…

Pour le musée du Quai Branly, je vous ai déjà parlé de :

Sur le site de l’INA, voir ce petit film sur l’exposition coloniale de 1931 à Vincennes

 

8 réflexions sur « Exhibitions au musée du quai Branly à Paris »

  1. Marnie

    Bonsoir, je découvre votre blog grâce à la Tribune de l’art et votre dénonciation du décapage du monument de 1870 à Poitiers. Sur ce sujet comme vous je suis outrée.

    Je suis également d’accord avec vous sur le point de vue simpliste de l’expo « Exhibition ». Et je suis contente de voir que quelqu’un a le même raisonnement que moi : si on pense aux expositions coloniales des années 30 ou aux zoos humains avec reconstitutions de villages et coutumes, même s’il y avait une part de racisme (inhérente à l’esprit et aux connaissances scientifiques de l’époque), je pense qu’il y avait aussi de la curiosité et de l’intérêt pour des cultures qu’il était impossible pour tout un chacun de découvrir. Aujourd’hui, le tourisme de masse renverse la situation : les gens vont dans les pays directement mener les mêmes observations que dans les années 30 : voir des artisans au travail, des danses et rituels, etc…. pour moi c’est la même chose ! et je trouve ça plus indécent encore, les occidentaux vont faire étalage de leur niveau de vie et puis s’en vont, tout en ayant la bonne conscience de faire marcher l’économie du pays. Ou alors, quand on pense aux foires expos ou aux salons du tourisme qui invitent un pays avec démonstrations artisanales ou autres : c’est aussi du même acabit que les expos coloniales.

    Répondre
  2. dalinele

    tout ça est en effet complexe, sans aucun doute… comment pourrait-il en être autrement? ce qui m’agace c’est qu’on veut mettre un discours « simpliste », trop net, tranché… l’humain est bien plus ambigü…

    Répondre
  3. Bidouillette/Tibilisfil

    Encore une fois cliquer deux fois, pour pouvoir laisser un commentaires, pffft, çà décourage, mais bon lol! Tu liras mon coup de gueule demain matin… Ceci dit, j’ai entendu parler de cette expo, sur trois chaines différentes. Le matin sur France2, cela semblait nickel. Puis j’ai entendu un reportage à la radio, belge, disant qu’on était pas replongé dans l’ambiance de l’époque et que cela pouvait paraitre plus que désuet alors que le fond était là. Troisième reportage, à la télé, belge, et là, effondrement, justement parce qu’un jeune, particulièrement, ne pouvait pas comprendre la finalité d’une telle expo. Sauf un jeune black… Ils mettaient justement en parallèle les deux jeunes…

    Répondre

Répondre à dalinele Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.