Industrie osseuse et parures du Solutréen au Magdalénien en Europe
Angoulême (Charente)
28-30 mars 2003
Résumés
Marian VANHAEREN et Francesco D'ERRICO : Là où elle ne devrait pas être : la parure de la Dame de Saint-Germain-la-Rivière. Implications sociales d'une parure exceptionnelle dans un contexte magdalénien “ moyen ” en Gironde
L'analyse archéozoologique et technologique des objets de parure de la Dame de Saint-Germain-la-Rivière, datée directement par 14C AMS à 15 780 ± 200 BP, révèle le caractère exceptionnel de cet ensemble. Les 69 croches de cerf de la sépulture proviennent de 63 individus, 55 mâles et 8 biches. Ces croches correspondent à une accumulation de dents prélevées sur des animaux abattus au cours d'une période relativement longue et probablement pendant plusieurs saisons de chasse. Pourtant l'importance prise par cette espèce dans la parure associée à la sépulture contraste avec son absence presque totale dans les assemblages fauniques du site de Saint-Germain-la-Rivière, dominés par l'antilope saïga, le renne et le cheval. À cela s'ajoute le fait que les ensembles fauniques issus de ces couches présentent une forte cohérence écologique (association saïga, renne, cheval) indiquant un environnement steppique sec et froid. Cet environnement est un habitat peu propice au cerf et ne correspond sans doute pas au milieu dans lequel les cerfs nécessaires à la réalisation de la parure associée à la sépulture ont été chassés. La contradiction entre la présence des croches et la faune du site est encore plus frappante en considérant les classes d'âges représentées et la proportion mâles/femelles. On pourrait s'attendre, dans un milieu où les cerfs étaient rares, à voir les artisans magdaléniens profiter de toutes les croches disponibles. Or c'est l'inverse que l'on observe dans cette sépulture. La courbe de mortalité établie à partir des croches de cerfs mâles indique une distribution qui rappelle celle en forme de “ L ” (forte proportion de jeunes accompagnée d'une faible présence des autres classes d'âge) généralement interprétée comme le reflet d'une chasse non sélective tout le long de l'année, mais qui est, par rapport au profil classique, appauvrie en très vieux individus. La proportion de biches, pour sa part, est la plus faible que nous avons rencontré dans les collections que nous avons pu étudier à ce jour. Même chez les croches associées à la nécropole de l'aven des Iboussières, où une chasse épargnant les biches en âge de reproduction a été identifiée, le pourcentage des croches de femelle est trois fois supérieur à celui de croches de Saint-Germain-la-Rivière. Cet ensemble se caractérise par un choix délibéré pour des croches de jeunes mâles. Ces dents sont celles qui produisent un plus fort impact visuel en raison de leur morphologie arrondie et leur taille. Nous devons donc conclure que l'individu inhumé à Saint-Germain-la-Rivière avait, en dépit de l'absence de cerfs dans le milieu environnant, accès à un nombre consistant de croches et pouvait même choisir celles qui correspondaient le plus à ses souhaits symboliques et/ou esthétiques. Deux hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ce fait. Les croches proviennent de cerfs chassés par les Magdaléniens de Saint-Germain-la-Rivière ailleurs que dans la région ou elles ont été acquises par échange. La première hypothèse est envisageable en considérant l'étendue des territoires de chasse de chasseurs-cueilleurs de milieu steppique et en sachant que même dans les périodes les plus froides du OIS 2, le cerf a toujours été un gibier chassé dans des sites localisés 200 km au sud de Saint-Germain-la-Rivière, notamment dans le piémont pyrénéen, au Pays Basque et le long de la côte cantabrique. La deuxième hypothèse est également plausible en considérant que les sites contemporains situés plus au sud ont livré des croches présentant, comme celles de Saint-Germain-la-Rivière, des grandes perforations obtenues par rotation et des décors constitués de séries d'entailles gravées sur la surface occlusale de la couronne. Il est actuellement difficile de choisir entre ces deux hypothèses. Une chose est claire : d'une part la forte homogénéité technique et dimensionnelle des perforations sur les croches provenant du même cerf indique que chaque paire a été perforée par la même personne ; d'autre part l'homogénéité, moindre mais assez marquée, dans la technique, la taille et la localisation des perforations sur l'ensemble de la collection suggère qu'elles ont été perforées par les membres d'un même groupe. Le nombre très élevé de croches non appariées doit être attribué au fait qu'elles ont été échangées au sein ou à l'extérieur du groupe qui les a perforées. En effet, si une perte occasionnelle était la cause des dents non appariées nous devrions nous attendre à rencontrer plus au moins le même nombre de dents appariées et non appariées, ce qui n'est pas le cas. Il semble plus raisonnable, en considérant que chaque paire a été perforée par une même personne, de penser qu'à un certain moment, après la perforation, une des deux croches a été donnée à un autre individu. Quoi qu'il en soit, l'étude des croches met en évidence le caractère exceptionnel de cette parure. Elle est là où elle ne devrait pas être et c'est sans doute ce qui devait attribuer un statut social particulier à l'individu inhumé.
Références bibliographiques :
BLANCHARD R., PEYRONY D., VALLOIS H.V. (1972) - Le gisement et le squelette de Saint-Germain-la-Rivière, Archives de l'Institut de Paléontologie humaine, Mémoire 34, Masson, Paris.
D'ERRICO F., VANHAEREN M. (2002) - Criteria for Identifying Red Deer (Cervus elaphus) Age and Sex from Their Canines. Application to the Study of Upper Palaeolithic and Mesolithic Ornaments, Journal of Archaeological Science, 29, p. 211-232.
GAMBIER D., VALLADAS H., TISNERAT-LABORDE N., ARNOLD M., BESSON F. (2000) - Datation de vestiges humains présumés du Paléolithique supérieur par la méthode du carbone 14 en spectrométrie de masse par accélérateur, Paléo, 12, p. 201-212.