Sophie TYMULA : Éléments lithiques perforés du Roc de Sers (Charente) : outil ou parure ?

Le site du Roc de Sers (Charente) a livré 17 objets répondant à la fragile définition communément admise des objets de parure (Taborin, 1990, p. 20 ; Tymula, 2002, p. 91-99). Ces artefacts, aujourd'hui conservés au Musée des Antiquités nationales, ont été mis au jour au cours des fouilles pratiquées par le Dr Henri-Martin, de 1924 à 1929, dans les trois principales unités d'habitation de la rive droite de la vallée du Roc : talus sous-jacents aux grottes du Roc et de la Vierge et plate-forme de l'abri-sous-roche intermédiaire (Henri-Martin, 1928).
Dans cet ensemble, 7 éléments lithiques perforés peuvent également être rattachés, par les traces de façonnage qu'ils conservent, à des outils spécifiques, en rapport avec les préoccupations symboliques des groupes qui occupèrent cette portion de la vallée du Roc (recherche de poudre colorante, abrasion et régularisation de surfaces rocheuses sculptées...). Cet aspect, à la fois dualiste et polyvalent, est développé dans cette étude où est envisagée l'histoire “ technique ” et “ fonctionnelle ” de ces “ parures-outils ” sur support lithique : ont-ils toujours été outil-parure, ou d'abord outil, puis parure, ou d'abord parure, puis outil ?
Quatre de ces éléments sont en bioxyde de manganèse, ce qui leur confère un caractère exceptionnel car il ne semble pas exister d'autres exemplaires de ce type dans les ensembles du Paléolithique supérieur, alors que plusieurs sites ont livré des morceaux d'oligiste perforés (San Juan, 1990, p. 229-242 ; Groenen, 1991, p. 13 et 21). Deux autres objets sont issus d'un bloc de lignite. La rareté de ce matériau confirme le rôle de la matière première dans les préoccupations symboliques de ces groupes. Enfin, un galet de quartz, muni d'une perforation, complète cette “ panoplie ” inédite. Une prospection sélective à l'intérieur d'une aire géographique de grande amplitude et des échanges intergroupes supposés ont contribué vraisemblablement à l'originalité, voire au non-conformisme, de cet ensemble d'éléments lithiques perforés.
Chargés d'une symbolique complexe, identitaire, individuelle ou collective, ces objets, éminemment sociaux, ont tous été recueillis sur la plate-forme de l'abri-sous-roche où ont été mis au jour les éléments d'une frise sculptée pariétale attribuée au Solutréen supérieur (Tymula, 2002). Cette localisation est lourde de sens et tend à renforcer l'idée d'une relation étroite et d'une stricte contemporanéité entre les manifestations graphiques pariétales et l'espace domestique, en d'autres termes, entre le vécu quotidien et l'exceptionnel. Bien qu'il difficile d'aller au-delà dans l'interprétation, en raison de l'indigence des données contextuelles à l'échelle du site et du Solutréen en général, où le faible nombre d'ossements humains retrouvés ne permet pas d'envisager la nature des rituels funéraires, cet ensemble apporte toutefois de nouvelles données sur l'univers symbolique et l'investissement technique de ces groupes au cours du dernier maximum glaciaire.

Bibliographie

GROENEN M. (1991) - Présence de matières colorantes dans l'Europe paléolithique, Bulletin de la Société royale belge d'Anthropologie et de Préhistoire, 102, p. 9-25, 2 tabl.

HENRI-MARTIN L. (1928) - La frise sculptée et l'atelier solutréen du Roc (Charente), Archives de l'Institut de Paléontologie humaine, Mémoire 5, Masson et Cie, Paris, 86 p., 37 fig., 5 pl. h.t.

SAN JUAN C. (1990) - Les matières colorantes dans les collections du Musée national de Préhistoire des Eyzies, Paléo, 2, p. 229-242, 5 ph.

TABORIN Y. (1990) - Le Décor des objets de parure, L'art des objets au Paléolithique, t. 2 : Les voies de la recherche, colloque international, Foix-Le Mas d'Azil, 16-21 nov. 1987, Actes des colloques de la direction du Patrimoine, 8, Ministère de la Culture, de la Communication, des Grands Travaux et du Bicentenaire, Paris, p. 19-37, 8 fig.

TYMULA S. (2002) - L'Art solutréen du Roc de Sers (Charente), Document d'archéologie française, 91, Éditions de la Maison des sciences de l'Homme, Paris, 288 p., ill., tabl.,cartes.

Version du 31 octobre 2002
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